Les associations mettent les bouchées doubles lors des
fêtes de fin d’année pour venir en aide aux plus démunis, touchés de plein
fouet par la crise économique et sanitaire.
Sous une pluie froide, à l’entrée d’un
hôtel géré par le Samu social et planté au milieu d’une zone industrielle de
Tigery, petite ville d’Essonne, Madame D. attend l’arrivée imminente d’une
équipe du Secours populaire français. Tous les quinze jours, l’association
vient distribuer des produits alimentaires et pour bébés à une cinquantaine de
familles, en majorité des femmes seules avec leurs enfants. La plupart d’entre
elles attendent ici depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, une réponse
à leur demande d’asile ou d’un logement plus décent.
Ce matin de la fin du mois de décembre, à
l’approche du jour de Noël, le Secours populaire a aussi apporté des jouets
pour les enfants de l’hôtel. Beaucoup ont moins de 3 ans et dorment dans
le dos de leurs mères venues patienter dans le hall avant la distribution.
Cette année a été « difficile », souffle Madame D. en
choisissant des jouets pour son fils et sa fille. La crise sanitaire a aggravé
l’isolement de cette femme, qui se sentait déjà « méprisée » avant
la pandémie. « L’école pour les enfants, les rendez-vous à la
préfecture… avec le Covid tout est devenu plus compliqué », explique-t-elle.
Arrivée de Côte d’Ivoire avec son mari il
y a quelques années, cette mère de famille confie ne tenir « que pour
(ses) enfants », scolarisés à Tigery. Le 24 décembre au soir,
elle aimerait partager « un moment de joie », et a prévu
d’aller à la messe dans une église non loin de l’hôtel. Mais, dans sa chambre
trop petite, où s’empilent tant bien que mal vêtements, nourriture et matériel
de cuisine, elle avoue « perdre le sommeil » lorsqu’elle pense
à sa situation qui ne se débloque pas. « Je suis là, c’est Noël, et je
ne peux même pas acheter de cadeaux à mes enfants alors que j’aimerais pouvoir
le faire », glisse-t-elle.
Devant l’hôtel, l’équipe du Secours
populaire achève la distribution. « On essaie de mettre un peu de baume
au cœur », veut croire Marie-Reine, bénévole, qui observe un « afflux
supplémentaire de bénéficiaires » arrivés cette année dans les rangs
de l’aide alimentaire. La crise sanitaire et économique touche violemment les
plus fragiles. Elle a également fait basculer plusieurs milliers de personnes
dans la pauvreté. « Cette année, j’ai aidé des gens que je n’aurais
jamais pensé aider avant le Covid, des étudiants, des familles qui vivent en
pavillon mais qui n’arrivent plus à payer leur crédit… », détaille
Leila, une autre bénévole.
Une initiative pour « retrouver le sens du service public »
Les associations, plus que jamais
mobilisées, ont vu leurs bénévoles âgés rester chez eux par crainte du virus et
les dons alimentaires des grandes enseignes baisser. Parallèlement, plusieurs
bénévoles affirment avoir assisté à de véritables « élans de solidarité », notamment
chez les jeunes adultes. Raison de plus de vouloir marquer le coup et inviter,
en ce Noël 2020 très attendu par beaucoup de Français pour pouvoir souffler en
famille après des mois de confinement, à ne pas oublier les plus précaires.
C’est le moment choisi par le conseil départemental de Seine-Saint-Denis pour
communiquer sur un dispositif permettant aux agents de s’investir deux jours
par mois dans l’association de leur choix, payés sur leur temps de travail. Une
initiative pensée pour « retrouver le sens du service public » et
aider les associations en manque de bras solidaires.
Responsable du secteur de valorisation des
archives, Caroline Andreani a décidé d’y participer et transformé son
salon « en lieu de stockage pour le Secours populaire en prévision
d’une maraude le 24 décembre », détaille-t-elle. « Noël
est un moment important, qui rompt avec le quotidien et partagé par tous », commente
l’agente, « mais la fête, si elle peut être un moment inclusif, peut
aussi être excluante pour une partie de la population ». Pour cette engagée
associative de longue date c’est l’occasion de libérer encore plus de temps.
Cette année éprouvante est aussi ce qui a
décidé la section d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) du Parti communiste à
organiser un « noël solidaire » samedi 19 décembre. Une distribution de
jouets, issus de dons d’habitants de la ville, pour offrir « un moment
chaleureux aux enfants, qui n’ont pas à subir la crise économique et sociale », affirme
Aurélie Le Meur, secrétaire de la section. Lorsque le petit Ibrahim,
4 ans, pénètre les yeux écarquillés dans le local rempli de jouets, il
s’avance directement vers une cuisinière en plastique, qui le dépasse d’une
tête. « C’est exactement ce qu’il voulait », sourit sa mère.
Comme lui, 200 enfants ont pu choisir un cadeau. La section communiste
albertivillarienne attendait « deux fois moins d’inscrits ».
Aurélie Le Meur a pourtant constaté dès le premier confinement une explosion de
la précarité dans sa ville. « Beaucoup d’habitants travaillent dans
l’hôtellerie, la restauration, des secteurs très touchés par la crise », observe-t-elle.
« Sans cette initiative, je ne sais pas
comment j’aurais fait pour offrir quelque chose à mon fils », lance Soraya en préparant du café dans son petit
appartement HLM, après s’être rendue à la distribution avec son fils de
13 ans, Mehdi. Ce dernier a pu choisir un clavier pour son ordinateur et
profite de l’après-midi pour jouer à Fortnite. « J’ai pu
m’arranger avec le voisin pour avoir sa connexion Internet », glisse
Soraya. À 52 ans, elle touche le RSA. Ses problèmes de santé l’empêchent
de travailler. Considérée comme une personne à risque, elle se demande à
quoi va bien pouvoir ressembler Noël cette année, où elle ne pourra pas se
réunir en famille.
La solitude est une autre plaie remuée par
la pandémie et que les associations essaient tant bien que mal de panser. Dans
le 20e arrondissement de Paris, différents collectifs occupant l’ancienne
salle de spectacle de la Flèche d’or ont hâte de pouvoir accueillir à nouveau
ceux et celles à qui ils proposent quotidiennement des plats chauds. Avant le
confinement, les distributions offraient aux personnes la possibilité de se
poser à l’intérieur de la salle pour se reposer ou échanger. Depuis le
28 octobre, elles ont lieu à l’extérieur. Des maraudes sont également
organisées par l’ensemble des occupants, à l’initiative de l’association les
Repas solidaires, née de la volonté d’un restaurateur du
20e arrondissement, au chômage technique pendant le premier confinement,
de continuer à cuisiner pour les personnes dans le besoin. Devenue la Flèche
d’or solidaire, l’action se poursuit grâce à l’aide apportée par
200 bénévoles du quartier pour la cuisine et les maraudes.
« La dignité passe aussi par le plaisir »
Kévin, 30 ans, se rend tous les jours à la
distribution. Le jeune homme explique chercher du travail dans l’informatique
et estime qu’il ne pourrait pas s’en sortir sans ce lieu dont il a vu « la
fréquentation augmenter » à mesure que le pays s’enfonçait dans la crise
sanitaire. Un colis alimentaire comprend une entrée, un plat et un dessert,
préparés par les bénévoles sous la houlette de professionnels de la
cuisine. « La dignité passe aussi par le plaisir », sourit
Marie, membre de l’association les Repas solidaires et qui regrette le temps où
bénévoles et bénéficiaires se côtoyaient indistinctement à l’intérieur de la
salle. Une manière de casser la verticalité de l’aide et « d’éviter
l’infantilisation des publics », détaille la jeune femme, qui tient
à « l’inclusion de toutes les populations du quartier dans ce lieu » et
souligne que « certains bénéficiaires viennent également donner un coup
de main quand ils le peuvent ». Si un colis spécial, « avec des
douceurs », est prévu pour une distribution le 23 décembre, la
jeune femme reconnaissant la « portée symbolique » de cette
soirée, la Flèche d’or refuse « l’appellation “Noël solidaire” »,
précise-t-elle. « Nous n’acceptons pas que l’accès aux besoins
élémentaires soit conditionné à une date ou à une période comme le
confinement. »
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