Alors que les députés ont adopté une version amendée
de l’article 24 du projet de loi soutenu par Gérald Darmanin,
qui restreint le droit de filmer la police, la mobilisation grandit, à Paris
comme en région.
Réussir à faire l’unanimité contre soi, c’est un exploit dont les ministres de l’Intérieur d’Emmanuel Macron semblent goûter. Après les fanfaronnades de Christophe Castaner, c’est Gérald Darmanin qui, par son soutien à la proposition de loi sur la sécurité globale, rassemble contre lui les syndicats et associations de journalistes, profession pourtant peu organisée, les associations et les collectifs de défense des droits humains.µ
À l’instar de la Défenseuse des droits, Claire Hédon, l’ONU, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, les élus de gauche (PCF, FI, EELV). En ligne de mire, l’article 24 du texte déposé par des députés LaREM et du groupe Agir ensemble, qui pourrait coûter de graves ennuis aux auteurs d’images filmées de policiers (45 000 euros d’amende et un an de prison avec sursis). L’article a été voté vendredi à l’Assemblée nationale, par 146 voix contre 24. Ce samedi, à partir de 14 h 30 jusqu’à 17 heures, un rassemblement est prévu place du Trocadéro, à Paris. À Rennes, ce samedi matin, 1 500 personnes se sont rassemblées. D’autres mobilisations ont lieu en régions (1).
Gérald Darmanin, devant une telle bronca,
a déjà dû revoir sa copie. Le premier ministre Jean Castex a convoqué d’urgence
jeudi, à Matignon, le ministre de l’Intérieur, les présidents de groupe de la
majorité (LaREM, Modem et Agir), et les rapporteurs du texte, Michel Fauvergue
et Alice Thourot. Il a été décidé d’apporter quelques modifications à la
proposition de loi, via un amendement, pour l’adoucir : l’adjectif « manifestement » a été rajouté.
Ainsi, le policier qui arrête un manifestant ou un journaliste en train de
filmer, ne pourra le faire que s’il porte « manifestement atteinte à
son intégrité physique ou psychique ». Le policier est toujours seul à
décider de cette atteinte, ce qui rend l’amendement caduc, estiment les
journalistes. Il faudrait aussi qu’il caractérise l’intention de nuire… Le
tout, quatre jours après une manifestation de protestation contre ce projet de
loi qui a donné lieu à 33 interpellations, et pendant laquelle cinq
journalistes ont été bousculés, molestés ou mis en garde à vue simplement pour
exercer leur métier.
Les rouages de cette loi sont grippés, et
même dans la majorité, cela commence à se dire. À l’Assemblée, le débat a été
très tendu. Gérald Darmanin a prononcé ces mots très équivoques : tout en
affirmant « la totale conviction du gouvernement de la grande et belle
liberté de la presse, liberté d’informer », il ajoute que « si la
liberté de la presse peut être attaquée, les policiers et les gendarmes peuvent
l’être également ». La liberté de la presse, mais… Ce qui rappelle un
sinistre discours beaucoup entendu après l’attentat de 2015 contre Charlie
Hebdo.
La gauche s’est levée tout entière contre
l’article 24. À droite, le député Eric Diard (Les Républicains), qui
soutient la mesure, s’est posé la question de sa « constitutionnalité ». Marine
Le Pen a évidemment applaudi des deux mains l’article de loi. Le Modem, allié
de la majorité, a réclamé de « supprimer cet article et de se remettre
autour d’une table pour résoudre cette équation difficile », selon le
député du Finistère Erwan Balanant.
Lors d’une conférence de presse, samedi,
au siège de la Ligue des droits de l’homme, à Paris, les collectifs et
associations organisatrices de la manifestation de ce 21 novembre se sont
inquiétés des dérives liberticides de cette loi dans sa globalité. L’avocat
Arié Halimi s’est dit préoccupé, comme les syndicats de magistrats, par un
texte qui « tend à changer l’État de droit », puisqu’il est
question, dans ces différents articles, de généraliser l’utilisation des
drones, pourtant interdite jusqu’alors, ou encore de centraliser les caméras de
surveillance piétonnes « alors que bientôt, la reconnaissance faciale
sera en place ». « Dans le Code pénal et la loi de 1881 (sur la
liberté de la presse - NDLR), il y a déjà des dispositions pour protéger
les policiers » qui, de fait, sanctionnent bien plus fort les auteurs
de violences, puisque punies de cinq ans de prison, contre un an dans l’article
de loi voté hier. L’avocat alerte : « On entend ceux qui tendent à
changer la Constitution, le cadre constitutionnel de l’État de droit, en
supprimant la liberté d’informer, et après, quelles autres libertés ? » Dominique
Pradalié, du Syndicat national des journalistes (SNJ), a de son côté rappelé
que 200 journalistes ont été arrêtés, molestés ou empêchés de travailler,
d’après un comptage effectué par son syndicat. « On a l’impression que
la police est en roue libre, qu’elle fait ce qu’elle veut, quand elle veut et
où elle veut, avec les journalistes comme avec les opposants » au
gouvernement, a noté la syndicaliste, qui a décompté le vote de « quinze
lois sur la sécurité ces dix dernières années ». Elle proteste aussi contre
le schéma de maintien de l’ordre adopté le 16 septembre dernier, et qui
donne l’obligation aux journalistes de se signaler auprès de la préfecture pour
exercer leur métier. « Bonjour la liberté dans notre travail, et la
protection des sources », amplifiée par les caméras de surveillance et les
drones, s’est insurgée la responsable du SNJ.
Une représentante des réalisateurs et
journalistes indépendants a cité Albert Londres : « Notre métier n’est
pas de faire plaisir » ( « mais de porter la plume dans la
plaie », citation complète). « Faire de l’image aujourd’hui, c’est
de la transmission du réel. Si, demain, on nous interdit de filmer, cela
interdit de transmettre toutes les exactions commises », a expliqué la
journaliste. Des représentants de la société des réalisateurs de films se sont
émus de cette remontée du réel, « des quartiers populaires, des
campements de réfugiés, de chaque recoin de la République », et trouvent
effarants ces dispositions liberticides « dans le pays qui a inventé le
cinéma ». Pablo Aiquel, pour le SNJ-CGT, s’est aussi inquiété du
signal donné au monde : « Selon quelle légitimité va-t-on demander à la
Pologne ou à la Hongrie de respecter l’État de droit ? » Un
représentant d’un syndicat de police CGT a expliqué pourquoi son organisation
conteste cette loi, qui donne des pouvoirs importants aux polices municipales
alors que la police nationale a connu 35 000 suppressions de postes en dix ans.
Par ailleurs, le ministère de l’Intérieur
a demandé à rencontrer la coordination des journalistes, lundi après-midi.
(1) En région, les rassemblements auront
lieu à 14 heures au Vieux-Port, à Marseille ; à Lille à 11 heures,
place de la République ; à Montpellier à 11 heures, devant le
commissariat central de Melgueil ; à Rouen à 14h30, devant le Palais de
Justice ; à Niort à 10h30, devant la mairie ; à Brest à 14 heures,
place de la Liberté ; à Rennes à 11 heures, place de la République ; à
Périgueux à 10 heures, sous l’arbre de la Liberté ; à Limoges à
11 heures, devant la préfecture…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire