La principale organisation lycéenne explique comment
le ministère de l’Éducation nationale a subventionné, depuis 2018, Avenir
lycéen, un syndicat à ses ordres. Une affaire qui met Jean-Michel Blanquer sur
le gril… Entretien.
MATHIEU DEVLAMINCK, Président de l’Union
nationale lycéenne
Comment réagissez-vous aux révélations de Mediapart et Libération sur la
création, en 2018, d’Avenir lycéen, une organisation relayant les propos
du ministère ?
MATHIEU DEVLAMINCK : Ce que nous avons découvert, c’est
que le ministre a décidé en 2018 de contrer la contestation de ses
réformes en créant de toutes pièces une association lycéenne : Avenir
lycéen (AL). Concrètement, il a demandé à son directeur général de
l’enseignement scolaire (Dgesco), Jean-Marc Huart, de contacter des lycéens
engagés, et à des recteurs d’académie de leur parler de cette association et de
leur faire passer des mots d’ordre pour organiser une contestation au mouvement
de blocage des établissements en cours. Il y a eu des réunions régulières entre
les fondateurs d’AL et le ministère. Le lien était tel que, quand Clairanne
Dufour, une des fondatrices d’AL, s’est rapprochée à titre amical de notre
ancien président Louis Boyard, il y a un an et demi, elle a été convoquée dans
le bureau du ministère. Pour nous, il y a une ingérence. Quand un ministre
décide d’aller voir des lycéens pour faire passer ses propres éléments de
langage, il y a un vrai frein à l’indépendance des élus lycéens et à la
démocratie.
Quelles autres questions pose cette affaire ?
MATHIEU DEVLAMINCK : Le ministère a aussi largement
subventionné AL et a fermé les yeux sur la façon dont ces fonds étaient
utilisés pour payer les frais de bouche de ses membres. Tout ça est révélateur
des valeurs éthiques de notre ministre de l’Éducation nationale. Cela va bien
au-delà d’un détournement de fonds publics par des lycéens pour se payer des
restaurants et hôtels de luxe. Il y a aussi l’aspect corruption de mineurs.
Avenir lycéen a reçu d’importantes subventions. Qu’est-ce que cela vous
inspire ?
MATHIEU DEVLAMINCK : Il y a eu un vrai favoritisme.
En 2019, Avenir lycéen, qui est une organisation de 30 personnes, a
reçu 65 000 euros de subventions puis de nouveau 30 000 en 2020. En
parallèle, l’UNL, présente dans 25 départements, a vu les siennes divisées
des deux tiers, passant de 80 000 euros en 2019 à 20 000
en 2020. Les raisons d’un tel écart sont politiques. Si nos subventions
ont baissé, c’est parce qu’on s’opposait notamment aux réformes Blanquer, et
qu’on appelait les lycéens à se mobiliser. Nous préparons une plainte qui sera
déposée prochainement. On sait que le ministère était au courant de la
situation puisque le délégué à la vie lycéenne avait reçu les membres d’AL pour
leur expliquer comment gérer l’argent public.
À l’époque, aviez-vous été surpris par la création de ce nouveau mouvement
lycéen ?
MATHIEU DEVLAMINCK : On se doutait qu’il y avait des
liens un peu troubles avec le ministère de l’Éducation nationale : on voyait
bien qu’AL relayait toujours les éléments de langage du gouvernement dans les
instances. Il était, aussi, déjà clair qu’il y avait une stratégie du ministère
pour tuer le mouvement lycéen et ne pas avoir à discuter avec ses
représentants. À cette période, nous n’avons été reçus que deux fois par le
ministère : le 10 et le 17 décembre 2018. Nous ne l’avons plus jamais été
ensuite, jusqu’à la semaine dernière. Dans le même temps, le gouvernement se
servait d’AL pour montrer qu’il était à l’écoute des lycéens et qu’il n’y avait
aucun souci de démocratie. Plutôt que de dialoguer avec une organisation
représentative, ils ont préféré créer une organisation factice.
Cette affaire peut-elle ébranler Jean-Michel Blanquer ?
MATHIEU
DEVLAMINCK : Pour le moment, le ministre n’a
pas l’air de réagir beaucoup. Tous les fonctionnaires de l’éducation nationale
se renvoient la balle. À l’UNL, nous demandons clairement sa démission, car
nous jugeons que le ministre a largement outrepassé ses fonctions. On espère
que la commission d’enquête qui va potentiellement se lancer à l’Assemblée nationale
réussira à le faire tomber. Pour nous, il n’a plus aucune légitimité à être
ministre de l’Éducation. Il a fait des réformes totalement impopulaires et la
façon dont il les a fait passer est totalement scandaleuse.
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