La proposition de loi dite de « sécurité globale » est
discutée jusqu’à mardi à l’Assemblée. Elle génère une fracture de fond entre
les défenseurs des droits humains et le pouvoir.
Réussir à cristalliser l’impopularité,
c’est un exploit dont les ministres de l’Intérieur d’Emmanuel Macron semblent
goûter. Après les fanfaronnades musclées de Christophe Castaner, c’est Gérald
Darmanin qui, avec sa proposition de loi sur la sécurité globale, rassemble
contre lui les syndicats et associations de journalistes, collectifs de défense
des droits humains, ainsi que les partis de gauche, la Défenseuse des droits Claire
Hédon, l’ONU, la Commission nationale consultative des droits de l’homme. En
ligne de mire, notamment l’ article 24 du texte déposé par des
députés LaREM et du groupe Agir ensemble, qui pourrait coûter de graves ennuis
aux auteurs d’images filmées de policiers (45 000 euros d’amende et un an
de prison avec sursis). L’article a été voté vendredi à l’Assemblée nationale,
par 146 voix contre 24.
Un amendement caduc
Gérald Darmanin, devant une telle bronca,
a déjà dû revoir sa copie, a minima. Le premier ministre Jean Castex a convoqué
d’urgence jeudi, à Matignon, le ministre de l’Intérieur, les présidents de
groupe de la majorité (LaREM, Modem et Agir) et les rapporteurs du texte,
Jean-Michel Fauvergue (ancien du Raid) et Alice Thourot.
Un amendement a été ajouté à
l’article 24 pour l’adoucir : l’adjectif « manifestement » a
été rajouté. Ainsi, le policier qui arrête un manifestant ou un journaliste en
train de filmer ne pourra le faire que s’il porte « manifestement
atteinte à son intégrité physique ou psychique ». Le policier est toujours
seul à décider de la portée de cette atteinte, ce qui rend l’amendement caduc,
estiment les collectifs de journalistes et des droits humains.
La liberté de la presse, mais...
Les rouages de cette loi sont grippés, et
même dans la majorité, cela commence à se dire. À l’Assemblée, le débat a été
très tendu. Gérald Darmanin a prononcé dans l’Hémicycle ces mots très
équivoques : tout en affirmant « la totale conviction du gouvernement
de la grande et belle liberté de la presse, liberté d’informer », il ajoute
que « si la liberté de la presse peut être attaquée, les policiers et
les gendarmes peuvent l’être également ». La liberté de la presse,
mais… Ce qui rappelle un sinistre discours beaucoup entendu après l’attentat de
2015 contre Charlie Hebdo.
Marine Le Pen applaudit des deux mains
La gauche s’est levée tout entière contre
l’article 24. Jean-Luc Mélenchon a déjà annoncé qu’il abrogerait
entièrement la loi s’il devait être élu en 2022. À droite, le député Éric Diard
(« Les Républicains »), qui soutient la mesure, s’est posé la question de
sa « constitutionnalité ». Marine Le Pen a évidemment applaudi des
deux mains l’article de loi. Le Modem, allié de la majorité, a réclamé de
« supprimer cet article et de se remettre autour d’une table pour
résoudre cette équation difficile », selon le député du Finistère Erwan
Balanant.
Un texte qui « tend à changer l’État de droit »
Lors d’une conférence de presse, samedi,
au siège de la Ligue des droits de l’homme, à Paris, les collectifs et
associations organisateurs de la manifestation du 21 novembre se sont
inquiétés des dérives liberticides de cette loi, dans sa globalité. L’avocat
Arié Alimi s’est dit préoccupé, comme les syndicats de magistrats, par un texte
qui « tend à changer l’État de droit », puisqu’il est question,
dans ses différents articles, de généraliser l’utilisation des drones, pourtant
interdite jusqu’alors, ou encore de centraliser les caméras de surveillance
piétonnes « alors que bientôt, la reconnaissance faciale sera en
place ». « Dans le Code pénal et la loi de 1881 (sur la liberté de
la presse – NDLR), il y a déjà des dispositions pour protéger les policiers » qui,
de fait, sanctionnent bien plus fort les auteurs de violences, puisque punies
de cinq ans de prison, contre un an dans l’article de loi voté hier. L’avocat
alerte : « On entend ceux qui tendent à changer la Constitution, le
cadre constitutionnel de l’État de droit, en supprimant la liberté d’informer,
et après, quelles autres libertés ? »
On a l’impression que la police est en roue libre,
qu’elle fait ce qu’elle veut, quand elle veut et où elle veut, avec les
journalistes comme avec les opposants. DOMINIQUE PRADIÉ (SNJ)
Dominique Pradalié, du Syndicat national
des journalistes (SNJ), a de son côté rappelé que 200 journalistes ont été
arrêtés, molestés ou empêchés de travailler, d’après un comptage effectué par
son syndicat. « On a l’impression que la police est en roue libre,
qu’elle fait ce qu’elle veut, quand elle veut et où elle veut, avec les
journalistes comme avec les opposants » au gouvernement, a noté la
syndicaliste, qui a décompté le vote de « quinze lois sur la sécurité
ces dix dernières années ».
Des dispositions liberticides effarantes
Une représentante des réalisateurs et
journalistes indépendants a cité Albert Londres : « Notre métier n’est
pas de faire plaisir. » « Faire de l’image aujourd’hui, c’est
de la transmission du réel. Si, demain, on nous interdit de filmer, cela
interdit de transmettre toutes les exactions commises », a expliqué la
journaliste. Des représentants de la Société des réalisateurs de films se sont
émus de cette remontée du réel, « des quartiers populaires, des
campements de réfugiés, de chaque recoin de la République », et trouvent
effarantes ces dispositions liberticides « dans le pays qui a inventé
le cinéma ». Pablo Aiquel, pour le SNJ-CGT, s’est aussi inquiété du
signal donné au monde : « Selon quelle légitimité va-t-on demander à la
Pologne ou à la Hongrie de respecter l’État de droit ? » Un
représentant d’un syndicat de police CGT a expliqué pourquoi son organisation
conteste cette loi, qui donne des pouvoirs importants aux polices municipales
alors que la police nationale a connu 35 000 suppressions de postes en dix ans.
Ce lundi, à 17 h 30, Gérald Darmanin doit rencontrer
une délégation des collectifs de journalistes et de citoyens.
Une police armée partout, même en dehors
du service…
L’Assemblée
nationale a voté, le 20 novembre, un article de la loi de « sécurité
globale » qui autorise l’accès aux établissements publics aux policiers armés,
y compris en dehors de leur service. Le rapporteur de la loi, Jean-Michel
Fauvergue, a justifié cette mesure en évoquant l’attentat du 13 novembre : « Il
y avait trois policiers » dans le Bataclan, a raconté l’ancien patron du Raid
devenu député LaREM, « ils n’ont pas pu intervenir ». Un argument qui ressemble
fort à une ancienne sortie du futur ex-président Donald Trump, qui estimait que
« si une personne avait eu une arme de l’autre côté, le bilan aurait très bien
pu être complètement différent ». Votée, cette autorisation donnée aux
policiers de porter leur arme à feu quasiment en permanence a fait grincer des
dents, y compris dans la majorité. « Avec une arme qu’on échappe (sic) dans une
boîte de nuit, on peut créer la panique, avoir l’effet contraire à celui
recherché », a pris en exemple le macroniste Sacha Houlié. « On n’est pas sûr
que ce soit une vraie protection, il peut y avoir des dérapages », a alerté le
député PCF Stéphane Peu. Mais le député Fauvergue et sa corapportrice Alice
Thourot aiment les pistolets : en 2018, ils proposaient d’« acter le principe
que, de base, une police municipale est armée », avant de rétropédaler et de
laisser ce choix aux maires.
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