À partir du 10 novembre, les lycées pourront
fonctionner en demi-groupes. Le ministre de l’Éducation accède ainsi à une des
principales revendications des profs et des élèves mobilisés. Mais le compte
n’y est pas, et l’appel à la grève pour le 10 novembre est maintenu. DÉCRYPTAGE DES MESURES ANNONCÉES.
Une semaine. Il a fallu une semaine de
rapport de force, et la menace d’un appel intersyndical à une « grève
sanitaire » qui s’annonçait puissante le 10 novembre, pour enfin tordre le
bras de Jean-Michel Blanquer, ce ministre prototype de l’autoritarisme macronien.
Dans une lettre parvenue le soir du 5 novembre aux chefs d’établissement,
le ministre de l’Éducation nationale a enfin concédé que les seuls lycées, pour
le moment, pourront dès le 9 novembre passer en mode d’enseignement
« hybride », alternant présence en cours dans l’établissement et enseignement à
distance. Sur son élan, il a également annoncé l’annulation pour cette année
des trois périodes d’évaluations communes (les ex-E3C), prévues pour les
classes de première et de terminale.
Il s’agit là de certaines des principales
revendications qui se sont exprimées tout au long de la semaine dans les
établissements, se traduisant par des assemblées générales, des droits de
retrait ou des grèves du côté des enseignants et, du côté des lycéens, par des
tentatives de blocage.
Ces dernières ont d’ailleurs été, jusqu’à
vendredi 6 novembre inclus, systématiquement réprimées par la force, à
Paris et en banlieue comme en province : nassages, gazages, verbalisations
abusives pour non-respect du confinement, et même arrestations, à l’encontre de
lycéens qui, au final, ne faisaient que demander l’application de mesures…
approuvées par le ministre. Comme si, à l’égard de la jeunesse, la nouvelle
doctrine du maintien de l’ordre avait pour unique règle de cogner, quoi qu’il
arrive.
Au moins 50 % d’enseignement en présentiel
Dans le détail, le ministre autorise les
chefs d’établissements à établir « un plan de continuité pédagogique, mis en
œuvre jusqu’aux prochaines vacances scolaires, qui garantisse au moins
50 % d’enseignement en présentiel pour chaque élève ». Il ne s’agit donc
pas d'instaurer une organisation en demi-groupes, comme le demandaient le
Snes-FSU ou SUD Éducation depuis l’été et des équipes éducatives de plus en
plus nombreuses depuis la rentrée du 3 novembre. Celle-ci, refusée
systématiquement par les rectorats jusqu’à vendredi, devient toutefois
possible… parmi d’autres : le choix entre « l’accueil en demi-groupes ;
l’accueil par niveau (…) ; le travail à distance un ou deux jours par semaine »
est laissé, précise la lettre du ministre, à l’appréciation des chefs
d’établissement. Mais chacun d’entre eux devra faire valider sa décision par le
rectorat. Plus inquiétant encore, le ministre, mettant en avant le cas des
lycées professionnels « pour lesquels la mise en œuvre de l’enseignement à
distance est rendue plus complexe », précise qu’« un établissement avec une
plus faible densité d’élèves peut ainsi parfaitement garder l’organisation
actuelle ».
L'annulation des épreuves du bac
Concernant les épreuves du bac, le
ministre décide l’annulation, pour les premières et les terminales, des
épreuves communes qui devaient commencer dès janvier. Cela concerne, pour la
voie générale, l’histoire-géographie, les langues et les enseignements
scientifiques, auxquels s’ajoutent les mathématiques dans la voie
technologique. Toutes ces matières basculent sur une évaluation en contrôle
continu, sur la base des notes obtenues dans l’année. Partisans et adversaires
du contrôle continu ne manqueront pas d’échanger leurs arguments sur le sujet,
mais il est certain que cette disposition ne fera que fragiliser un peu plus le
caractère national du bac. Avec toutes les conséquences que cette évolution
emporte, à commencer par l’après-bac, où l’on sait que Parcoursup laisse toute
latitude aux établissements du supérieur pour sélectionner leurs étudiants en
fonction de leur lycée d’origine… Les autres disciplines – y compris, pour les
classes de première, celle de leurs trois spécialités qu’ils doivent décider de
ne pas poursuivre en terminale – seraient évaluées comme prévu en mars.
Bien entendu, le ministre met en avant la
seule « aggravation de la situation sanitaire » pour justifier qu’il annule le
5 novembre, dans les lycées, l’organisation dont il avait lui-même
commandité la mise en place… à partir du 2 novembre. L’argument est
d’autant plus ridicule que les mesures qu’il concède aujourd’hui étaient
réclamées par les syndicats depuis bien avant la rentrée de septembre… et
considérées jusqu’ici avec le plus grand des mépris.
Les collèges, oubliés
Reste que le compte n’y est toujours pas
pour assurer aux 12 millions d’élèves et d’enseignants de France – et à
leurs familles – la sécurité sanitaire à laquelle ils ont droit. Ni pour
empêcher que l’école devienne l’un des principaux moteurs de l’épidémie de
Covid-19 en France. Premier souci : le cas des collèges n’est même pas évoqué
par le ministre. « Un collège ça peut être 600 à 800 élèves qui se croisent
dans les couloirs, et 400 à 500 élèves qui peuvent se croiser à la cantine »,
rappelait vendredi matin sur France Info Sophie Vénétitay, secrétaire générale
adjointe du Snes-FSU. « Il faut donc des mesures fortes et claires sur les
effectifs au collège », poursuivait la syndicaliste, estimant qu’« il
faut aussi basculer sur un fonctionnement en demi-groupe parce qu’il y a aussi
des classes de 28 à 30 élèves ».
Le même syndicat, lors d’un live avec des
scientifiques organisé le 4 novembre au soir, rappelait que la classe
d’âge 11-17 ans – incluant aussi bien les lycéens que les collégiens – est
tout aussi contaminée et contaminante – que
la population générale, les
seules différences étant que les jeunes de cette classe d’âge sont plus souvent
asymptomatiques et développent beaucoup plus rarement des formes graves de la
maladie. Continuer à prétendre, comme le fait le ministre, que le risque en
milieu scolaire est moins élevé
qu’ailleurs relève donc de la plus pure fake news.
Le manque de personnels de vie scolaire
Autre souci : en alternant présentiel et
distanciel, les élèves ne pourront plus progresser au même rythme, alors que
les retards pris par certains lors du premier confinement n’ont pas toujours pu
être comblés. Or, le grand absent de la lettre de Jean-Michel Blanquer, c’est
l’allègement des programmes, réclamé par les syndicats et les profs mobilisés.
Tout aussi absent, le renforcement en ressources humaines, lui aussi exigé.
Pour mettre en place des demi-groupes, les syndicats demandent depuis le mois
d’août des recrutements en urgence, mettant en avant le vivier de personnel
compétent constitué aussi bien par les candidats aux concours 2020 placés sur
listes complémentaires, que par les 4 000 candidats admissibles aux concours
internes (sur 8 000) et arbitrairement recalés faute d’épreuves orales. Mais,
là encore, Jean-Michel Blanquer refuse de bouger. On pourrait aussi ajouter le
manque de personnels de vie scolaire, c’est-à-dire de ceux que l’on appelait
auparavant les surveillants (désormais AED, assistants d’éducation). Au contact
permanent des élèves et donc en première ligne, leurs absences pour cause de
Covid s’ajoutent désormais à leur sous-effectif chronique pour mettre en danger
l’organisation des établissements… et le respect des mesures barrières par les
élèves, devenu la première de leurs tâches.
Une défausse sur les collectivités locales
Restent enfin en suspens les questions du renforcement
du nettoyage des établissements et de la restauration scolaire, qui se posent à
tous les niveaux, y compris en primaire. Cette partie du dispositif sanitaire
ne fait l’objet d’aucune attention particulière du ministre, qui se défausse
intégralement sur les collectivités locales à qui elle incombe. Or, le
personnel manque pour assurer ces nouvelles tâches. Et même si une partie des
lycées passe dès le 9 novembre en fonctionnement par demi-groupes, cela ne
résoudra que partiellement le problème, et pas du tout pour les niveaux
inférieurs. Les ressources des collectivités pour recruter des agents ne sont
pas illimitées, d’autant que dans nombre d’endroits, elles en sont déjà à faire
appel aux agences d’intérim – quand ce n’est pas au Bon Coin…
La grève sanitaire maintenue
Autant dire que les syndicats de la FSU, à
l’initiative du large appel intersyndical à la « grève sanitaire » de mardi,
n’entendent pas baisser la garde à ce stade. Ils maintiennent leur appel, et
sont pour l’instant suivis par la plupart des autres organisations (SUD
Éducation, CGT Éduc’Action, Snalc et Fnec-FO). Parce que ce que le souvenir des
dégâts pédagogiques causés par le premier confinement reste vif, les personnels
veulent éviter à tout prix une nouvelle fermeture des établissements et des
écoles, tout en assurant la sécurité de tous. Le ministre est-il prêt à prendre
en compte cette exigence ? Réponse dans les prochains jours.

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