Si le mouvement et les idées écologistes sont très
majoritairement ancrés à gauche, les liens entre les questions environnementales
et les thèmes de l’extrême droite sont anciens, et se renouvellent.
« Penser ensemble l’élévation des
températures et la montée de l’extrême droite » : telle est l’ambition d’un
ouvrage intitulé Fascisme fossile (1). Un opus salutaire, l’œuvre
d’un groupe de chercheurs et militants disséminés en Europe : le collectif
Zetkin, créé en 2018 en Suède. Ces deux émergences de notre temps obligent à
poser la question du rapport entre l’écologie et l’extrême droite. Celui-ci est
relativement ancien et assez diversifié. Toutefois, rappelle le collectif
Zetkin, il existe un préalable : « Le répertoire de positions
climatiques de l’extrême droite n’est pas malléable à l’infini. Il ne débordera
pas l’horizon fondamental de son dévouement à la nation, entendue comme
ethniquement pure. »
Son versant le plus radical,
dramatiquement mis en lumière par l’actualité récente, est l’éco-fascisme. Brenton Tarrant, l’auteur de l’attentat
de Christchurch,
en 2019 en Nouvelle-Zélande, l’écrit dans son manifeste de
revendication : « Je me considère comme un éco-fasciste. » Il
associait alors « l’immigration et le réchauffement climatique (qui)
sont les deux faces d’un même problème : l’environnement est détruit par la
surpopulation, et nous, les Européens, sommes les seuls qui ne contribuent pas
à la surpopulation. Il faut tuer les envahisseurs, tuer la surpopulation, et
ainsi sauver l’environnement ». Une vision qui correspond à la pensée
de l’un des pères de l’éco-fascisme, le Finlandais Pentti Linkola, mort en
avril dernier. Son credo : une restriction radicale de l’immigration, un retour
aux modes de vie préindustriels, et des mesures autoritaires pour maintenir la
vie humaine dans des limites strictes.
Depuis l’après-guerre, il a été notamment porté par
l’ancien SS français Maurice Martin, connu sous le pseudo de Robert Dun, qui
théorise l’écologie comme devant être radicale, enracinée et racialiste,
souvent couplée à la critique de la société marchande.
STÉPHANE
FRANÇOIS, DOCTEUR EN SCIENCES POLITIQUES,
MEMBRE DE L’OBSERVATOIRE DES RADICALITÉS POLITIQUES
Dans Fascisme fossile, les
auteurs citent la professeure Cara Daggett, de l’université américaine de
Virginia Tech, qui alerte sur « la possibilité que le changement
climatique ne catalyse le désir fasciste de sécuriser un “Lebensraum”, un
espace vital, un foyer barricadé face aux spectres des autres menaçants ». En
France, cet écofascisme demeure marginal mais il n’est pas nouveau, comme le
décrit dans une note de 2016 (2) l’historien Stéphane François, docteur en
sciences politiques et membre de l’Observatoire des radicalités politiques : « Depuis
l’après-guerre, il a été notamment porté par l’ancien SS français Maurice
Martin, connu sous le pseudo de Robert Dun, qui théorise l’écologie comme
devant être radicale, enracinée et racialiste, souvent couplée à la critique de
la société marchande. » Une écologie qui remonte aux fondements du
nazisme et se rapproche des idéaux « Völkisch », c’est-à-dire « à la
fois raciste, païen et proche de la nature », analyse l’historien.
Alain de Benoist, une des principales figures de la « Nouvelle Droite », s’y
intéresse dès les années 1970, et développe une écologie identitaire.
Une écologie nationaliste fondée sur trois axes
Autant de courants de pensée qui ont
ouvert à la voie aux écologies d’extrême droite actuelles, qui ont en commun de
lier la défense de l’environnement et la « nation pure ». Le collectif Zetkin
rappelle qu’au FN, après une timide tentative de creuser le sillon écologique
de la part de Bruno Mégret, c’est en 1994 qu’est fondé le « Collectif Nouvelle
Écologie ». Il s’agit alors de parler de la protection de « la famille,
la nature et la race ». Un collectif sans véritable activité, prélude
au greenwashing du FN. « La dimension écologique du patriotisme est
certaine, la gauche a en quelque sorte vidé de sa substance la véritable
écologie », assénait Marion Maréchal en mai dernier.
Concevoir les populations comme des groupes ethniques
essentialisés, se partageant des territoires qui leur seraient propres. En ce
sens, l’écologie de l’extrême droite est une écologie des populations, régie
par une mixophobie.
STÉPHANE
FRANÇOIS, DOCTEUR EN SCIENCES POLITIQUES,
MEMBRE DE L’OBSERVATOIRE DES RADICALITÉS POLITIQUES
Un lien que Stéphane François analyse
ainsi : « Concevoir les populations comme des groupes ethniques
essentialisés, se partageant des territoires qui leur seraient propres. En ce
sens, l’écologie de l’extrême droite est une écologie des populations, régie
par une mixophobie. » Passant sous silence les enjeux de biodiversité
ou énergétiques, cette « vraie écologie » apparaît surtout
comme « un maintien des grandes “races” dans leur environnement
naturel », selon l’historien. Une écologie nationaliste fondée sur
trois axes : le localisme, la « grande séparation » voulue comme une réponse au
« grand remplacement » et, pour certains militants, une décroissance, pensée
d’abord comme un refus du modernisme.
« Faire de l’Europe la première civilisation écologique au monde »
Le collectif Zetkin distingue aussi « un
courant catholique (qui) a émergé de l’opposition au mariage pour tous avant de
se rassembler sous le concept d’“écologie intégrale”, qui renvoie à l’idée de
protéger homme et femmes du technicisme et de la marchandisation modernes en
les préservant dans leur état naturel ». D’où le rejet de
l’immigration et des « théories du genre », de l’homosexualité,
l’homoparentalité, le changement de sexe ou l’avortement. L’année dernière, le
programme du RN pour les élections européennes indiquait vouloir « faire
de l’Europe la première civilisation écologique au monde ». Un RN où
Hervé Juvin, théoricien de cette « grande séparation », est la pierre angulaire
de cette « écologie des populations ».
Et si l’on ancre souvent l’écologie à
gauche, elle devient, selon Stéphane François « un point doctrinal
majeur des formations d’extrême droite, allant des cathos tradi à l’extrême
droite païenne et/ou néonazie ». Car, comme le rappelle le collectif
Zetkin, elle pourrait, « en abandonnant tout objectif éco-socialiste,
pencher, significativement à droite », citant notamment les partis
écologistes du Danemark et d’Autriche.
(1) Fascisme fossile, du Zetkin
Collective, traduit de Lise Benoist. Éditions la Fabrique, 2020. (2)
« L’écologie, un enjeu pour l’extrême droite », de Stéphane François.
Fondation Jean Jaurès-Observatoire des radicalités politiques, février 2016.

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