Mourir d’enseigner… Qui eut cru cela possible dans un pays comme le nôtre qui a placé l’instruction publique au cœur de son modèle ? En assassinant sauvagement Samuel Paty, fonctionnaire de l’Education nationale qui ne faisait qu’exercer son métier, le terroriste a ébranlé la France dans des proportions nouvelles. Les nombreux enseignants mêlés aux milliers de citoyens réunis dans toute la France et à Paris dimanche dernier, ont autant témoigné de leur tristesse que de leur colère, se sentant désormais, pour nombre d’entre eux qui officient dans les territoires les plus durs, cibles potentielles du fanatisme islamiste.
C’est
le meurtre de trop, celui par lequel toute une société se met en branle pour
protéger ses fondements. Le propre de ce type d’évènements, et l’une des
motivations de leurs auteurs et prescripteurs, est de faire baisser pavillon à
la raison pour laisser place aux mouvements d’humeurs, aux réactions de colère,
à la négation de la pensée. Si les réactions populaires prouvent l’heureuse capacité
d’une société à manifester son refus clair et net de la barbarie fascisante,
elles ne sauraient suffire pour dépasser l’épreuve et en sortir par le haut.
Au
nom d’une religion, une minorité d’incendiaires cherche à poser les fondements
d’une guerre civile et religieuse, opposant la communauté des croyants à celle
de la nation, en tentant d’enfermer les musulmans de France dans une identité
cloisonnée, réfractaire à la loi des Hommes et au principe de laïcité. C’est
elle qui arme le bras des assassins. Les manifestations d’hostilité répétées à
l’égard de Samuel Paty, organisées par des associations cultuelles
réactionnaires et relayées sur les réseaux sociaux, ont de toute évidence créée
un terreau propice au passage à l’acte. Elles devront répondre de cette cabale
organisée, et la justice s’attacher à remonter la chaîne des connivences qui
ont actionné la main du meurtrier. Comme à établir les négligences qui ont
laissé le malheureux professeur sans protection.
Samuel
Paty n’avait fait que son devoir, s’employant à faire ce que des milliers
d’enseignants font, à savoir exposer les principes qui régissent la liberté
d’expression en France. C’est cette tache ô combien nécessaire, et
seulement elle, qui lui a valu une mort atroce. De toutes nos forces nous devons
nous dresser pour protéger l’Education nationale et ses agents de la moindre
menace.
Ils
sont au cœur du pacte laïc. « La démocratie a le devoir d’éduquer l’enfance ;
et l’enfance a le droit d’être éduquée selon les principes mêmes qui assureront
plus tard la liberté de l’homme. Il n’appartient à personne, ou particulier, ou
famille, ou congrégation, de s’interposer entre ce devoir de la nation et ce
droit de l’enfant » lançait Jean Jaurès lors d’un grand discours à Castres le
30 juillet 1904. L’animosité exprimée vis-à-vis de l’instruction publique,
l’impossibilité faite à certains enseignants de prodiguer des savoirs reposant
sur une approche rationnelle et scientifique sont choses inacceptables.
Il
y a donc nécessité à combattre la dérive obscurantiste par laquelle est
entretenue la menace terroriste. Mais comment s’y prendre ? Pour combattre
le terrorisme organisé, la France s’est dotée d’un arsenal judicaire et
policier colossal, a renforcé son renseignement. Lutter contre l’obscurantisme
est chose moins évidente en démocratie. Cela appelle d’abord à mieux faire
comprendre et respecter la laïcité comme condition de l’émancipation, de la
démocratie, de l’exercice des droits de la personne humaine ainsi que de
« l’affirmation souveraine de l’esprit ».
C’est
donc à la société dans son ensemble de se prémunir contre l’obscurantisme. On
peut douter à cet égard des annonces relatives au projet de loi dit, une
fois le mot « séparatisme » supprimé, de « renforcement de la
laïcité ». La laïcité suppose une mise à distance du fait religieux.
L’Etat n’a pas à vouloir se faire tuteur d’un culte comme l’a préconisé le
président de la République. C’est mêler la religion au fonctionnement de
l’Etat. C’est en rabaisser sur le principe de séparation institué en 1905 et
prendre des risques immenses qui menacent de s’avérer contre-productifs.
Il
convient d’opérer sur plusieurs fronts. Tout d’abord en menant une chasse aux
organisations qui financent le fanatisme et poussent aux logiques factieuses.
Le droit tel qu’il existe le permet amplement. Il faut ensuite s’atteler à
rebâtir une République sociale qui mette un terme à la relégation urbaine des
populations immigrées ou françaises d’origine immigrée, poussées à une
solidarité intra-communautaire propice à l’enfermement dogmatique et à
l’obscurantisme. L’Education nationale doit être soutenue dans sa vocation
universelle, protégée, dotée des moyens dont elle manque cruellement pour
remplir son rôle émancipateur. Pourquoi ne pas réfléchir a une nouvelle
alliance entre la société et les enseignants afin de faire respecter leur
expertise professionnelle et leur liberté de parole ? La nécessité d’une
formation à l’éducation des médias pour faire cesser cette ambiance de haine et
de chasse à l’homme sur des réseaux trop souvent asociaux est à l’ordre du
jour. La défense du pluralisme des médias, et des expressions en leur
sein, devrait accompagner une telle réflexion. La France, enfin, doit cesser
ses pas de deux avec les Etats théocratiques qui financent et prodiguent à travers
le monde un islam fanatique à visée politique, et s’affirmer comme force de
paix et de règlement des conflits au lieu de jouer les seconds couteaux de
l’OTAN dans des pays à majorité musulmane.
Ce
meurtre horrible est sans doute un tournant. L’aborder avec lucidité et
détermination, audace et courage, est aujourd’hui tâche urgente.
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