dimanche 25 octobre 2020

Covid-19. Dans les Ehpad, « la situation est dramatique »


Alexandra Chaignon

Selon Santé publique France, le nombre de clusters explose dans les établissements pour personnes âgées, où les décès liés au coronavirus repartent à la hausse. Les professionnels craignent pour l’avenir, explique Gaël Durel, président de Mcoor, l’association nationale des médecins coordonnateurs en Ehpad. ENTRETIEN.

Les Ehpad font face à « une augmentation particulièrement importante » des nouveaux cas de Covid. Le 11 octobre, l’agence recensait 6 290 cas, contre 3 635 une semaine auparavant. Un bond de 73 %, la plus forte hausse depuis la fin du confinement. 

D’après Santé publique France, le nombre de clusters dans les Ehpad augmente très rapidement. Quelle est la situation ?

GAËL DUREL : Les situations sont très disparates sur le territoire. Oui, depuis quinze jours, le nombre de clusters explose. Au printemps, un Ehpad sur deux était touché, avec en moyenne un ou deux résidents positifs. Aujourd’hui, c’est plus d’une dizaine de cas par établissement, voire les deux tiers des résidents… Jeudi, j’ai visité un Ehpad où il y avait 52 cas, avec à la fois des résidents et des personnels touchés, ces derniers étant essentiellement asymptomatiques. C’est un problème, car ils sont contaminants sans le savoir. L’autre souci, c’est le manque de respect des mesures barrières. Entre 10 % et 20 % des familles ne sont pas respectueuses, continuent de baisser le masque en présence de leurs proches, d’échanger des cadeaux, de s’embrasser…

 

Icon QuotePour nous, la grande inquiétude c’est : si j’ai un premier cas, est-ce que l’équipe et l’isolement suffiront pour contenir la propagation ?

Quelles sont les préconisations quand il y a des cas positifs avérés ?

GAËL DUREL Dès qu’il y a un cas, on ferme les visites. Seuls restent autorisés l’accompagnement pour des personnes en fin de vie ou certaines situations psychologiques particulières. Ensuite, on teste l’ensemble de l’établissement pour voir s’il y a d’autres cas. Et on teste à nouveau une semaine plus tard. Cela peut durer quinze jours, comme cela peut prendre plusieurs semaines. Pour nous, médecins coordonnateurs, la grande inquiétude c’est : si j’ai un premier cas, est-ce que l’équipe et l’isolement suffiront pour contenir la propagation ?

 

Avez-vous l’impression que le virus est moins virulent ?

GAËL DUREL : C’est strictement la même chose pour nos résidents. Ce matin, deux personnes ont décompensé dans l’Ehpad que je visitais. Elles n’avaient que quelques heures d’espérance de vie. Si le Covid arrive dans un établissement, on est sur les mêmes 30 % de risque de décès qu’au printemps.

Dans ce contexte, les personnes âgées accèdent-elles aux services d’urgences et de réanimation ?

GAËL DUREL : Dans les hôpitaux, de plus en plus de secteurs Covid sont déjà pleins. Ils ne parviennent même pas à accueillir des patients classiques. En Ehpad, la procédure veut qu’on hospitalise les trois premiers cas. Mais, même ça, on n’y arrive pas. J’entends dire que créer 10 000 places de réanimation résoudrait le problème. Je n’en suis pas sûr. La plupart de nos résidents ne supporteraient pas une réanimation. Sachant que, pour ces personnes, c’est une prise en charge qui peut durer deux mois. Quand on voit l’embolie actuelle des services…

Icon QuoteLes agences d’intérim ne sont pas capables de fournir du personnel formé. Ce qui oblige ceux qui sont en poste à faire des heures supplémentaires.

Les Ehpad sont-ils dans la même situation que lors de la première vague ?

 

GAËL DUREL : Non. Une plateforme gériatrie a été mise en place, avec des conseils adaptés permettant de ne plus laisser un Ehpad seul. En outre, la plupart des établissements ont anticipé concernant le matériel. Hormis quelques problèmes d’approvisionnement en gants, on a de l’oxygène, on a acheté des respirateurs. Il n’y a pas de pénurie de morphine, d’anxiolytiques. Mais on a un problème au niveau du personnel. Tous n’ont pas récupéré de la crise, et leurs conditions de travail ne se sont pas améliorées. Porter un masque implique de parler plus fort, d’être plus attentif face au résident, qui ne vous reconnaît pas toujours. Il faut plus de temps pour expliquer et réexpliquer la situation : pourquoi on porte un masque, pourquoi on doit les laisser seuls en chambre. Un sur deux a des problèmes de mémoire… Et le personnel n’est toujours pas en nombre suffisant. Certains établissements n’osent pas anticiper leurs besoins, alors qu’au sein des ARS il existe bien une ligne budgétaire Covid. Sauf qu’ils considèrent qu’accompagner une famille, se laver les mains, se changer, c’est un temps d’organisation administrative et non pas du temps « Covid ». Alors que ce temps est bel et bien lié à la crise. Et les agences d’intérim ne sont pas capables de fournir du personnel formé. Ce qui oblige ceux qui sont en poste à faire des heures supplémentaires.

 

Comment envisagez-vous les semaines à venir ?

 

GAËL DUREL : Ce qui nous inquiète, c’est la prise en charge. Si les hôpitaux sont débordés, nous aussi. Et dans un mois toutes les places de réanimation seront prises. On doit déjà faire face à des situations alarmantes et on peut craindre pour l’avenir. On n’aura pas d’autres solutions que d’anticiper sur la non-hospitalisation, de travailler avec les équipes pour accompagner les familles. Aujourd’hui, j’ai dû mettre en place deux sédations. C’est dramatique.

Entretien réalisé par Alexandra Chaignon

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire