Selon Santé publique France, le nombre de clusters
explose dans les établissements pour personnes âgées, où les décès liés au
coronavirus repartent à la hausse. Les professionnels craignent pour l’avenir,
explique Gaël Durel, président de Mcoor, l’association nationale des
médecins coordonnateurs en Ehpad. ENTRETIEN.
Les Ehpad font face à « une augmentation
particulièrement importante » des nouveaux cas de Covid. Le
11 octobre, l’agence recensait 6 290 cas, contre 3 635 une semaine
auparavant. Un bond de 73 %, la plus forte hausse depuis la fin du
confinement.
D’après Santé publique
France, le nombre de clusters dans les Ehpad augmente très rapidement. Quelle
est la situation ?
GAËL DUREL : Les situations sont très
disparates sur le territoire. Oui, depuis quinze jours, le nombre de clusters
explose. Au printemps, un Ehpad sur deux était touché, avec en moyenne un ou
deux résidents positifs. Aujourd’hui, c’est plus d’une dizaine de cas par
établissement, voire les deux tiers des résidents… Jeudi, j’ai visité un Ehpad
où il y avait 52 cas, avec à la fois des résidents et des personnels touchés,
ces derniers étant essentiellement asymptomatiques. C’est un problème, car ils
sont contaminants sans le savoir. L’autre souci, c’est le manque de respect des
mesures barrières. Entre 10 % et 20 % des familles ne sont pas
respectueuses, continuent de baisser le masque en présence de leurs proches,
d’échanger des cadeaux, de s’embrasser…
Pour nous, la grande inquiétude c’est : si j’ai
un premier cas, est-ce que l’équipe et l’isolement suffiront pour contenir la
propagation ?
Quelles sont les
préconisations quand il y a des cas positifs avérés ?
GAËL
DUREL Dès qu’il y a un cas, on ferme les
visites. Seuls restent autorisés l’accompagnement pour des personnes en fin de
vie ou certaines situations psychologiques particulières. Ensuite, on teste
l’ensemble de l’établissement pour voir s’il y a d’autres cas. Et on teste à
nouveau une semaine plus tard. Cela peut durer quinze jours, comme cela peut
prendre plusieurs semaines. Pour nous, médecins coordonnateurs, la grande
inquiétude c’est : si j’ai un premier cas, est-ce que l’équipe et l’isolement
suffiront pour contenir la propagation ?
Avez-vous l’impression
que le virus est moins virulent ?
GAËL
DUREL : C’est strictement la même chose
pour nos résidents. Ce matin, deux personnes ont décompensé dans l’Ehpad que je
visitais. Elles n’avaient que quelques heures d’espérance de vie. Si le Covid
arrive dans un établissement, on est sur les mêmes 30 % de risque de décès
qu’au printemps.
Dans ce contexte, les
personnes âgées accèdent-elles aux services d’urgences et de réanimation ?
GAËL
DUREL : Dans les hôpitaux, de plus en plus
de secteurs Covid sont déjà pleins. Ils ne parviennent même pas à accueillir
des patients classiques. En Ehpad, la procédure veut qu’on hospitalise les
trois premiers cas. Mais, même ça, on n’y arrive pas. J’entends dire que créer
10 000 places de réanimation résoudrait le problème. Je n’en suis pas sûr. La
plupart de nos résidents ne supporteraient pas une réanimation. Sachant que,
pour ces personnes, c’est une prise en charge qui peut durer deux mois. Quand
on voit l’embolie actuelle des services…
Les agences d’intérim ne sont pas capables de fournir
du personnel formé. Ce qui oblige ceux qui sont en poste à faire des heures
supplémentaires.
Les Ehpad sont-ils dans
la même situation que lors de la première vague ?
GAËL
DUREL : Non. Une plateforme gériatrie a
été mise en place, avec des conseils adaptés permettant de ne plus laisser un
Ehpad seul. En outre, la plupart des établissements ont anticipé concernant le
matériel. Hormis quelques problèmes d’approvisionnement en gants, on a de
l’oxygène, on a acheté des respirateurs. Il n’y a pas de pénurie de morphine,
d’anxiolytiques. Mais on a un problème au niveau du personnel. Tous n’ont pas
récupéré de la crise, et leurs conditions de travail ne se sont pas améliorées.
Porter un masque implique de parler plus fort, d’être plus attentif face au
résident, qui ne vous reconnaît pas toujours. Il faut plus de temps pour
expliquer et réexpliquer la situation : pourquoi on porte un masque, pourquoi
on doit les laisser seuls en chambre. Un sur deux a des problèmes de mémoire…
Et le personnel n’est toujours pas en nombre suffisant. Certains établissements
n’osent pas anticiper leurs besoins, alors qu’au sein des ARS il existe bien
une ligne budgétaire Covid. Sauf qu’ils considèrent qu’accompagner une famille,
se laver les mains, se changer, c’est un temps d’organisation administrative et
non pas du temps « Covid ». Alors que ce temps est bel et bien lié à la crise.
Et les agences d’intérim ne sont pas capables de fournir du personnel formé. Ce
qui oblige ceux qui sont en poste à faire des heures supplémentaires.
Comment envisagez-vous
les semaines à venir ?
GAËL
DUREL : Ce qui nous inquiète, c’est la
prise en charge. Si les hôpitaux sont débordés, nous aussi. Et dans un mois
toutes les places de réanimation seront prises. On doit déjà faire face à des
situations alarmantes et on peut craindre pour l’avenir. On n’aura pas d’autres
solutions que d’anticiper sur la non-hospitalisation, de travailler avec les
équipes pour accompagner les familles. Aujourd’hui, j’ai dû mettre en place
deux sédations. C’est dramatique.
Entretien réalisé par Alexandra Chaignon
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