Sécu, ce déjà-là communiste…
Absolu. Avec une constance
inégalable, à chaque fois que le bloc-noteur pense à la naissance de la
Sécurité sociale, donc à son créateur Ambroise Croizat, une citation de George
Bernard Shaw lui traverse l’esprit: «Dans la vie, il y a deux
catégories d’individus: ceux qui regardent le monde tel qu’il est et se
demandent pourquoi, et ceux qui imaginent le monde tel qu’il devrait être et
qui se disent: pourquoi pas?» L’humanité n’est pas du relatif mais de
l’absolu. Voilà comment nous pourrions résumer l’action communiste de cet homme
hors du commun, non réductible à sa seule fonction de ministre. À
soixante-quinze ans de distance, son énergie continue de nous fasciner. Sans
parler de son ambition. L’ouvrier, devenu acteur majeur de l’histoire sociale
de notre pays au moment du Conseil national de la Résistance, portait à la
sortie de la Libération un projet de société qui dépassait de loin les
générations de l’époque. Il voyait plus haut que l’horizon, n’anticipant le
monde que pour les générations futures. La Sécu s’érigea sur ce principe
universel, qui, selon Croizat lui-même, devait «mettre fin à
l’obsession de la misère» et voulait que «chacun cotise selon
ses moyens et reçoive selon ses besoins». Cette «trace» n’est pas
qu’une trace, mais un héritage. À condition de ne pas oublier que cet
« instant » singulier de 1944-1945 fut le fruit de circonstances
exceptionnelles ayant permis un meilleur partage des richesses entre le capital
et le travail au bénéfice des travailleurs. N’ayons pas peur de parler d’une
période révolutionnaire, puisque le mode de production fut mis en cause: ce qui
se joua alors n’était pas la répartition de ce qui était produit, mais la
production en tant que telle.
Honte. Croizat disait: «Jamais
nous ne tolérerons que soit mis en péril un seul des avantages de la Sécurité
sociale, nous défendrons à en mourir et avec la dernière énergie cette loi
humaine et de progrès.» Depuis notre ici-et-maintenant, la parenthèse
en question paraît loin, très loin. Trois générations plus tard, un continuum
de plans de casse n’a cessé de mettre à mal cette pierre angulaire de notre
pacte social. C’est un peu comme si cette histoire révolutionnaire nous avait
été volée par bouts successifs, sans que sa mémoire ne s’altère pour autant.
Preuve, les ennemis de classe n’hésitent pas à s’en référer, comme si par ce
supplément d’âme (référencé) ils se dédouanaient. Souvenons-nous d’Édouard
Philippe, qui, au nom du «peuple», osa déclarer, concernant la réforme des
retraites: «L’ambition portée par ce gouvernement est une ambition de
justice sociale. (…) Et surtout la seule chose qui compte, c’est la
justice.» Et il ajoutait: «Nous proposons un
nouveau pacte entre les générations, un pacte fidèle dans son esprit à celui
que le Conseil national de la Résistance a imaginé et mis en œuvre
après-guerre.» Un pacte fidèle? Sans commentaire. Et comment qualifier
la phrase du sénateur LaREM de Paris, Julien Bargeton, qui reprit à son compte
une citation d’Ambroise Croizat: «L’unité de la Sécurité sociale est la
condition de son efficacité.» Honte à ceux qui dévoient les mots
jusqu’à insulter ceux qui les écoutent et savent ce qu’ils entendent. Mépris
pour ceux qui s’enveloppent dans le CNR alors que tout préside à la destruction
froide et méthodique de ses conquis.
Vision. Reste le déjà-là
communiste, que nous ne voyons même plus. Ambroise Croizat et les autres nous
ont laissé une genèse et une méthode. Elle est toujours là, sous nos yeux et
pas uniquement dans les livres d’histoire: salaire à la qualification, statut
de la fonction publique, régime général de la Sécurité sociale, subvention de
l’investissement, socialisation de la valeur dans des cotisations ou des impôts
permettant le salaire à vie des soignants ou la subvention d’équipements de
service public, sortie du travail du carcan de la mise en valeur d’un capital…
Repartir de ces bases, les généraliser, les étendre: voici le projet, donc le
chemin pour vaincre la contre-révolution en cours. Nos aïeux du CNR visaient
haut. Le XXIe siècle réclame la même vision.
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