mardi 29 septembre 2020

Budget. Comment aider les entreprises sans jeter l’argent par les fenêtres


Le gouvernement a dévoilé, ce lundi, son projet de loi de finances 2021 qui intègre le plan de relance. Une fois encore, des milliards vont être accordés aux entreprises sans contrepartie, ce que dénoncent syndicats et partis politiques.

Un « budget de relance », dont le « principe fondateur est de baisser les impôts (…) pour rendre la France attractive ». Ce lundi, lors de la présentation du budget, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a affiché fièrement toute la « cohérence » de sa politique. Il a rappelé que, en trois ans, « les impôts (des ménages et des entreprises – NDLR) ont baissé de 45 milliards d’euros », soit la « plus forte baisse d’impôts engagée en France depuis vingt ans ».  Une prétendue rupture visant à faire de la France « la première économie la plus compétitive », 230 000 emplois supplémentaires en deux ans à la clé.

C’est oublier un peu vite la centaine de milliards d’euros déversés depuis 2013 au titre du crédit d’impôt compétitivité emploi (Cice), sans aucune contrepartie, malgré une promesse du Medef de créer un million d’emplois. Une des « grandes erreurs du quinquennat Hollande », reconnaît désormais Olivier Faure, secrétaire national du Parti socialiste. D’autant que tous les rapports publiés depuis n’ont jamais démontré une quelconque efficacité du dispositif sur l’emploi ou l’investissement des entreprises. « L’échec du crédit d’impôt impose de mettre en place une nouvelle doctrine, en matière d’aides publiques aux entreprises, articulée autour du triptyque suivant : conditions, contrôle, sanctions », notent les parlementaires communistes dans leur projet de relance publié début septembre. 

Malgré les traces laissées par le Cice, le gouvernement persiste et signe. Mais, à l’heure où les lits de réanimation manquent, la pluie de milliards passe de plus en plus mal. D’autant que plusieurs multinationales n’ont pas tardé, malgré l’aide apportée, à sabrer dans l’emploi, à l’image de Renault ou Air France.

Un arsenal législatif défaillant, des contrôles inexistants

Dans son budget 2021, le gouvernement prévoit ainsi de distribuer le tiers de son plan de relance aux entreprises, soit 34 milliards d’euros (dont une baisse de 20 milliards d’euros sur deux ans en impôts de production). Cette manne publique, qui correspond à plus du double du budget « Travail et emploi » de 13,2 milliards d’euros prévu en 2021, est un véritable chèque en blanc aux entreprises.  

« Des aides publiques aux entreprises, il y en a beaucoup, mais elles en font ce qu’elles veulent ! tonne Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT. C’est du déjà-­entendu (...) il faut être plus ferme, que ce soit notifié : je vous donne de l’argent, pour combien d’emplois, quels investissements ? Que ce soit un genre d’accord écrit, avec des sanctions, y compris pénales. » Pour tenter de calmer les esprits, Bruno Le Maire a annoncé, lundi matin, un suivi du plan de relance, « transparent et accessible à tous ». Mais pas une ligne n’apparaît dans le projet de loi de finances sur une quelconque « charte des contreparties » évoquée quelques semaines auparavant.

L’opposition a bien l’intention de faire de la conditionnalité des aides aux entreprises un axe central de la bataille. Un premier pavé dans la mare a été lancé au Sénat, début septembre, lorsque le groupe CRCE (Communistes, républicains, citoyens et écologistes) a déposé un amendement afin de priver toute entreprise enregistrée dans un paradis fiscal du bénéfice des aides Covid. Le gouvernement a fait front en réussissant à faire sauter l’amendement et en le remplaçant par une simple lettre d’« intention ». À gauche, tous sont pourtant conscients que les cris d’orfraie et les appels à légiférer ne sont pas suffisants, tant l’impuissance politique face aux multinationales est bel et bien une réalité. Les commissions régionales de contrôle mises en place par les élus communistes dans les régions au début des années 2000 n’ont « pas été très efficaces », reconnaît d’ailleurs le député communiste André Chassaigne. À l’exception de quelques cas se comptant sur les doigts d’une main, les tentatives pour récupérer l’argent reçu par les grandes entreprises ont de nombreuses fois été vaines.

En réalité, tout est fait pour que les sommes versées par les pouvoirs publics aux boîtes échappent à tout contrôle. Sur le terrain, il arrive que des salariés attaquent en justice des grands groupes qui suppriment des postes ou délocalisent après avoir empoché des millions d’euros de subsides (Cice, crédit d’impôt recherche, etc.). Mais ces batailles tournent court, faute d’une législation défaillante : « Jamais une entreprise n’a été condamnée, relève l’avocate spécialisée en droit du travail Marie-Laure Dufresne-Castets. La raison est simple : la loi est muette sur le sujet. Dans le cadre du Cice, par exemple, l’entreprise bénéficie du crédit d’impôt mais n’est tenue à rien en contrepartie. Je ne vois pas comment un syndicat pourrait imposer aux employeurs ce que la loi ne leur impose pas ! »

Investir dans la transition écologique et sociale

Il faut donc renforcer notre arsenal législatif. Pour Emmanuel Dockès, professeur de droit français spécialiste du droit du travail, c’est uniquement une affaire de volonté politique : « Je ne vois pas de difficultés juridiques particulières. La seule question est politique : est-ce que l’on continue d’accorder de l’argent aux entreprises sans vérification, ni contrepartie ? On le voit, les employeurs sont très friands d’aides publiques mais refusent de donner quoi que ce soit en échange qui restreindrait leur pouvoir. » Pourtant, il suffirait de conditionner les aides, continue le spécialiste : « La sagesse commanderait d’abonder des fonds de soutien à l’économie, auxquels les entreprises pourraient postuler. À cette occasion, on négocierait au cas par cas des contreparties à ce soutien, en termes de maintien de l’emploi par exemple. Tout cela peut se faire à différentes échelles, locales ou nationales, et en tenant compte de la situation économique des entreprises. »

Outre l’écriture de textes de loi et le ciblage particulier des PME ou TPE, une des réponses consiste à intervenir en amont. Il faudrait « flécher les investissements, les aides publiques » vers la transition écologique et sociale, notamment « en donnant aux salariés un droit de veto, un droit d’intervention sur les modalités d’utilisation des aides publiques », indiquait le député communiste Sébastien Jumel lors de l’université d’été du PCF. Avec l’obligation que toute aide publique soit conditionnée à l’interdiction des plans sociaux et des licenciements boursiers, donc au maintien de l’emploi.

Cela implique « une tout autre démocratie sociale dans l’entreprise », souligne Marie-­Claire Cailleteau, élue pour la CGT au Conseil économique, social et environnemental, en charge des questions industrielles. « Car, il ne suffit pas seulement que les élus du personnel disposent de l’information, comme cela avait été le cas pour le Cice, mais il faut qu’ils donnent également leur avis sur la stratégie de l’entreprise, le projet d’investissement, le type de production, les anticipations à venir et le montant de l’aide prévue. À défaut, les aides aux entreprises ne seront qu’un puits sans fond, de l’arge nt public gaspillé. »

En ce qui concerne les multinationales, les parlementaires communistes vont plus loin. « Pour les plus grandes entreprises, les aides doivent être conditionnées à la mise en place d’une stratégie bas carbone, ainsi qu’à la publication d’un reporting pays par pays des activités de l’entreprise permettant de mettre en évidence son exemplarité fiscale », mentionne leur projet de relance.

« Le temps est à l’action (...) pour montrer qu’un autre choix de société est à l’ordre du jour », affirmait Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, à la Fête de l’Humanité Autrement.  

 

Clotilde Mathieu

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