Le gouvernement a dévoilé, ce lundi, son projet de loi de finances 2021 qui intègre le plan de relance. Une fois encore, des milliards vont être accordés aux entreprises sans contrepartie, ce que dénoncent syndicats et partis politiques.
Un « budget de relance », dont
le « principe fondateur est de baisser les impôts (…) pour rendre la
France attractive ». Ce lundi, lors de la présentation du budget, le
ministre de l’Économie Bruno Le Maire a affiché fièrement toute la « cohérence » de
sa politique. Il a rappelé que, en trois ans, « les impôts (des
ménages et des entreprises – NDLR) ont baissé de 45 milliards
d’euros », soit la « plus forte baisse d’impôts engagée en
France depuis vingt ans ». Une prétendue rupture visant à faire
de la France « la première économie la plus compétitive », 230 000 emplois
supplémentaires en deux ans à la clé.
C’est oublier un peu vite la centaine de
milliards d’euros déversés depuis 2013 au titre du crédit d’impôt compétitivité
emploi (Cice), sans aucune contrepartie, malgré une promesse du Medef de
créer un million d’emplois. Une des « grandes erreurs du quinquennat
Hollande », reconnaît désormais Olivier Faure, secrétaire national du
Parti socialiste. D’autant que tous les rapports publiés depuis n’ont jamais
démontré une quelconque efficacité du dispositif sur l’emploi ou
l’investissement des entreprises. « L’échec du crédit d’impôt impose de
mettre en place une nouvelle doctrine, en matière d’aides publiques aux
entreprises, articulée autour du triptyque suivant : conditions, contrôle,
sanctions », notent les parlementaires communistes dans leur projet de
relance publié début septembre.
Malgré les traces laissées par le Cice, le
gouvernement persiste et signe. Mais, à l’heure où les lits de réanimation
manquent, la pluie de milliards passe de plus en plus mal. D’autant que
plusieurs multinationales n’ont pas tardé, malgré l’aide apportée, à sabrer
dans l’emploi, à l’image de Renault ou Air France.
Un arsenal législatif défaillant, des contrôles inexistants
Dans son budget 2021, le gouvernement
prévoit ainsi de distribuer le tiers de son plan de relance aux entreprises,
soit 34 milliards d’euros (dont une baisse de 20 milliards d’euros
sur deux ans en impôts de production). Cette manne publique, qui correspond à
plus du double du budget « Travail et emploi » de 13,2 milliards d’euros
prévu en 2021, est un véritable chèque en blanc aux entreprises.
« Des aides publiques aux entreprises, il
y en a beaucoup, mais elles en font ce qu’elles veulent ! tonne Philippe Martinez, secrétaire général de
la CGT. C’est du déjà-entendu (...) il faut être plus ferme, que ce
soit notifié : je vous donne de l’argent, pour combien d’emplois, quels
investissements ? Que ce soit un genre d’accord écrit, avec des sanctions, y
compris pénales. » Pour tenter de calmer les esprits, Bruno Le Maire a
annoncé, lundi matin, un suivi du plan de relance, « transparent et
accessible à tous ». Mais pas une ligne n’apparaît dans le projet de
loi de finances sur une quelconque « charte des contreparties » évoquée
quelques semaines auparavant.
L’opposition a bien l’intention de faire
de la conditionnalité des aides aux entreprises un axe central de la bataille.
Un premier pavé dans la mare a été lancé au Sénat, début septembre, lorsque le
groupe CRCE (Communistes, républicains, citoyens et écologistes) a déposé
un amendement afin de priver toute entreprise enregistrée dans un paradis
fiscal du bénéfice des aides Covid. Le gouvernement a fait front en réussissant
à faire sauter l’amendement et en le remplaçant par une simple lettre
d’« intention ». À gauche, tous sont pourtant conscients que les cris d’orfraie
et les appels à légiférer ne sont pas suffisants, tant l’impuissance politique
face aux multinationales est bel et bien une réalité. Les commissions
régionales de contrôle mises en place par les élus communistes dans les régions
au début des années 2000 n’ont « pas été très efficaces », reconnaît
d’ailleurs le député communiste André Chassaigne. À l’exception de quelques cas
se comptant sur les doigts d’une main, les tentatives pour récupérer l’argent
reçu par les grandes entreprises ont de nombreuses fois été vaines.
En réalité, tout est fait pour que les
sommes versées par les pouvoirs publics aux boîtes échappent à tout contrôle.
Sur le terrain, il arrive que des salariés attaquent en justice des grands
groupes qui suppriment des postes ou délocalisent après avoir empoché des
millions d’euros de subsides (Cice, crédit d’impôt recherche, etc.). Mais ces
batailles tournent court, faute d’une législation défaillante : « Jamais
une entreprise n’a été condamnée, relève l’avocate spécialisée en droit du
travail Marie-Laure Dufresne-Castets. La raison est simple : la loi est
muette sur le sujet. Dans le cadre du Cice, par exemple, l’entreprise bénéficie
du crédit d’impôt mais n’est tenue à rien en contrepartie. Je ne vois pas
comment un syndicat pourrait imposer aux employeurs ce que la loi ne leur
impose pas ! »
Investir dans la transition écologique et sociale
Il faut donc renforcer notre arsenal
législatif. Pour Emmanuel Dockès, professeur de droit français spécialiste du
droit du travail, c’est uniquement une affaire de volonté politique : « Je
ne vois pas de difficultés juridiques particulières. La seule question est
politique : est-ce que l’on continue d’accorder de l’argent aux entreprises
sans vérification, ni contrepartie ? On le voit, les employeurs sont très
friands d’aides publiques mais refusent de donner quoi que ce soit en échange
qui restreindrait leur pouvoir. » Pourtant, il suffirait de conditionner
les aides, continue le spécialiste : « La sagesse commanderait d’abonder
des fonds de soutien à l’économie, auxquels les entreprises pourraient
postuler. À cette occasion, on négocierait au cas par cas des contreparties à
ce soutien, en termes de maintien de l’emploi par exemple. Tout cela peut se
faire à différentes échelles, locales ou nationales, et en tenant compte
de la situation économique des entreprises. »
Outre l’écriture de textes de loi et le
ciblage particulier des PME ou TPE, une des réponses consiste à intervenir en
amont. Il faudrait « flécher les investissements, les aides
publiques » vers la transition écologique et sociale, notamment « en
donnant aux salariés un droit de veto, un droit d’intervention sur les
modalités d’utilisation des aides publiques », indiquait le député communiste
Sébastien Jumel lors de l’université d’été du PCF. Avec l’obligation que toute
aide publique soit conditionnée à l’interdiction des plans sociaux et des
licenciements boursiers, donc au maintien de l’emploi.
Cela implique « une tout autre
démocratie sociale dans l’entreprise », souligne Marie-Claire Cailleteau,
élue pour la CGT au Conseil économique, social et environnemental, en charge
des questions industrielles. « Car, il ne suffit pas seulement que les
élus du personnel disposent de l’information, comme cela avait été le cas pour
le Cice, mais il faut qu’ils donnent également leur avis sur la stratégie de
l’entreprise, le projet d’investissement, le type de production, les
anticipations à venir et le montant de l’aide prévue. À défaut, les aides aux
entreprises ne seront qu’un puits sans fond, de l’arge nt public
gaspillé. »
En ce qui concerne les multinationales,
les parlementaires communistes vont plus loin. « Pour les plus grandes
entreprises, les aides doivent être conditionnées à la mise en place d’une
stratégie bas carbone, ainsi qu’à la publication d’un reporting pays par
pays des activités de l’entreprise permettant de mettre en évidence son
exemplarité fiscale », mentionne leur projet de relance.
« Le temps est à l’action (...) pour
montrer qu’un autre choix de société est à l’ordre du jour », affirmait
Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, à la Fête de l’Humanité Autrement.
Clotilde
Mathieu
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