lundi 17 août 2020

UNION EUROPÉENNE L’AUSTÉRITÉ, SPECTRE ENCOMBRANT POUR LES PRÊTS DE BRUXELLES



Quelques mois après sa mise se en place, le dispositif du Mécanisme européen de stabilité ne fait pas recette. Ses 240 milliards d’euros ne sont réclamés par personne. Durement frappés par le Covid-19, les États craignent un retour de bâton anti-social.

À Bruxelles, tout le monde joue la comédie de l’incompréhension : aucun État en proie à la crise économique sans précédent ouverte par la pandémie de Covid-19 ne sollicite la cagnotte de 240 milliards d’euros, décidée début avril et entrée en vigueur à la mi-mai. L’argent peut être distribué sous forme de prêts à des taux défiant toute concurrence et, jure-t-on la main sur tous les tons, « sans conditions ». Or, c’est précisément là que le bât blesse : sur le papier, dans l’accord validé par l’Eurogroupe, la réunion des ministres des Finances de la zone euro, les sommes prêtées doivent simplement être orientées vers le financement direct ou indirect des systèmes de santé, mais à la demande des Pays-Bas, le pays qui, depuis des mois, se pose en gardien du temple de l’orthodoxie budgétaire, la mention d’un strict respect des « fondamentaux économiques et financiers » de l’UE a été ajoutée.

La défiance règne, et elle vient de bien plus loin, en fait : ce sont les effluves de troïka austéritaire, flottant autour du MES, qui repoussent les États du Sud. Bon connaisseur, par la force des choses, des cénacles ordolibéraux européens, Yanis Varoufakis, l’ex ministre grec des Finances au premier semestre 2015, avait prophétisé dès le printemps : « Les prêts sans conditionnalités du MES sont un canular sophistiqué sorti du cerveau de Merkel. Allez, prenez des milliards de ces nouveaux prêts sans conditions ! Puis l’année prochaine, Bruxelles constatera que votre niveau d’endettement par rapport à votre PIB aura monté en flèche, et exigera de vous une austérité massive et catastrophique. Ce n’est même pas de l’or des fous ! »

La même circonspection radicale risque de s’appliquer avec les prêts supplémentaires décidés, à côté de subventions révisées à la baisse, à la mi-juillet lors du dernier Conseil européen. Durement frappés par les contre-réformes anti-sociales exigées dans la dernière décennie, l’Italie, l’Espagne, la Grèce, le Portugal ou même l’Irlande n’entendent pas se laisser remettre la laisse, alors que les prêts comme les subventions restent soumis à la surveillance drastique de la Commission européenne et du Conseil des chefs d’État, via la procédure du Semestre européen qui émet des « recommandations par pays » sur les réformes à mener.

Face au fiasco en gestation, les dirigeants du MES se lancent dans une vaste opération de séduction. Fin juillet, Kalin Anev Janse et Siegfried Ruhl, deux des cadres de l’institution, ont publié un long plaidoyer en défense de leurs prêts, immédiatement accessibles - à la différence des fonds octroyés dans le cadre du plan de relance de l’UE, qui ne seront disponibles qu’à partir du début de l’année prochaine - et avantageux pour les États. Selon eux, « 11 des 19 pays de la zone euro pourraient se financer moins cher en empruntant au MES plutôt que sur les marchés financiers ». Avec les taux d’intérêt négatifs de leur boutique, les hauts fonctionnaires européens estiment à près de 6 milliards d’euros sur dix ans les économies possibles pour certains États. « Un vrai bénéfice pour les contribuables », argumentent-ils, car l’argent viendra des investisseurs financiers, et non des impôts… En renfort de leur démonstration, ils citent également Alain Durré, chef économiste de Goldman Sachs : « Il n’y a aucune stigmatisation des pays qui utiliseraient le fonds de soutien face à la pandémie du MES ; les marchés sont plus préoccupés par les pays qui pourraient ne pas recourir aux prêts du MES. »

Dans les différents États de la zone euro, les patrons du fonds européen, accompagnés par d’autres dirigeants comme David Sassoli, le président du parlement européen, ou Paolo Gentiloni, le commissaire européen à l’Économie, déclinent l’argumentaire. En Italie, en particulier, où la question divise la coalition entre les sociaux-démocrates (PD) et les « 5 Etoiles » (M5S) au pouvoir, le MES charge un local de l’étape, son secrétaire général Nicola Giammarioli, de convaincre. « Aux conditions actuelles du marché, avec les taux d’intérêt négatifs, l’Italie ne paierait aucun coût supplémentaire, et elle devrait rembourser un montant inférieur à ce qu’elle recevrait. » Et le même d’insister, catégorique : « Nous devons être très clairs. Avec cette nouvelle ligne de crédit, le Mécanisme ne peut imposer ni conditions, ni troika, ni austérité, ni coupes dans les pensions ou dans les services publics. Nous sommes sur un autre terrain par rapport au passé… »

Mais rien n’y fait : l’Italie qui vient de réclamer des aides du programme de soutien au chômage partiel (SURE), lancé au même moment que celui du MES, ne cède pas, pariant exclusivement sur les dizaines de milliards d’euros du plan de relance. Alors que l’Espagne avait écarté tout recours au MES dès le début, la Grèce vient d’informer de son refus également. « Nous avons vécu avec le MES pendant dix ans, avance Miltiadis Varvitsiotis, le vice-ministre conservateur des affaires étrangères à Athènes. Le MES a été fondé sur le problème grec et nous savons ce que signifie un mémorandum, ce n’est pas une partie de plaisir, cette pression de l’Europe. Pour nous, plus jamais de troïka ! »


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