Quelques mois après sa mise se en place, le
dispositif du Mécanisme européen de stabilité ne fait pas recette. Ses
240 milliards d’euros ne sont réclamés par personne. Durement frappés par
le Covid-19, les États craignent un retour de bâton anti-social.
À Bruxelles, tout le monde joue la comédie de l’incompréhension : aucun
État en proie à la crise économique sans précédent ouverte par la pandémie de
Covid-19 ne sollicite la cagnotte de 240 milliards d’euros, décidée début
avril et entrée en vigueur à la mi-mai. L’argent peut être distribué sous forme
de prêts à des taux défiant toute concurrence et, jure-t-on la main sur tous
les tons, « sans conditions ». Or, c’est précisément là que le bât blesse : sur
le papier, dans l’accord validé par l’Eurogroupe, la réunion des ministres des
Finances de la zone euro, les sommes prêtées doivent simplement être orientées
vers le financement direct ou indirect des systèmes de santé, mais à la demande
des Pays-Bas, le pays qui, depuis des mois, se pose en gardien du temple de
l’orthodoxie budgétaire, la mention d’un strict respect des « fondamentaux
économiques et financiers » de l’UE a été ajoutée.
La défiance règne, et elle vient de bien plus loin, en fait : ce sont les
effluves de troïka austéritaire, flottant autour du MES, qui repoussent les
États du Sud. Bon connaisseur, par la force des choses, des cénacles
ordolibéraux européens, Yanis Varoufakis, l’ex ministre grec des Finances au
premier semestre 2015, avait prophétisé dès le printemps : « Les prêts sans
conditionnalités du MES sont un canular sophistiqué sorti du cerveau de Merkel.
Allez, prenez des milliards de ces nouveaux prêts sans conditions ! Puis
l’année prochaine, Bruxelles constatera que votre niveau d’endettement par
rapport à votre PIB aura monté en flèche, et exigera de vous une austérité
massive et catastrophique. Ce n’est même pas de l’or des fous ! »
La même circonspection radicale risque de s’appliquer avec les prêts
supplémentaires décidés, à côté de subventions révisées à la baisse, à la
mi-juillet lors du dernier Conseil européen. Durement frappés par les
contre-réformes anti-sociales exigées dans la dernière décennie, l’Italie,
l’Espagne, la Grèce, le Portugal ou même l’Irlande n’entendent pas se laisser
remettre la laisse, alors que les prêts comme les subventions restent soumis à
la surveillance drastique de la Commission européenne et du Conseil des chefs
d’État, via la procédure du Semestre européen qui émet des « recommandations
par pays » sur les réformes à mener.
Face au fiasco en gestation, les dirigeants du MES se lancent dans une
vaste opération de séduction. Fin juillet, Kalin Anev Janse et Siegfried Ruhl,
deux des cadres de l’institution, ont publié un long plaidoyer en défense de
leurs prêts, immédiatement accessibles - à la différence des fonds octroyés
dans le cadre du plan de relance de l’UE, qui ne seront disponibles qu’à partir
du début de l’année prochaine - et avantageux pour les États. Selon eux, « 11
des 19 pays de la zone euro pourraient se financer moins cher en empruntant au
MES plutôt que sur les marchés financiers ». Avec les taux d’intérêt négatifs
de leur boutique, les hauts fonctionnaires européens estiment à près de
6 milliards d’euros sur dix ans les économies possibles pour certains
États. « Un vrai bénéfice pour les contribuables », argumentent-ils, car
l’argent viendra des investisseurs financiers, et non des impôts… En renfort de
leur démonstration, ils citent également Alain Durré, chef économiste de
Goldman Sachs : « Il n’y a aucune stigmatisation des pays qui utiliseraient le
fonds de soutien face à la pandémie du MES ; les marchés sont plus préoccupés
par les pays qui pourraient ne pas recourir aux prêts du MES. »
Dans les différents États de la zone euro, les patrons du fonds européen,
accompagnés par d’autres dirigeants comme David Sassoli, le président du
parlement européen, ou Paolo Gentiloni, le commissaire européen à l’Économie,
déclinent l’argumentaire. En Italie, en particulier, où la question divise la
coalition entre les sociaux-démocrates (PD) et les « 5 Etoiles » (M5S) au
pouvoir, le MES charge un local de l’étape, son secrétaire général Nicola
Giammarioli, de convaincre. « Aux conditions actuelles du marché, avec les taux
d’intérêt négatifs, l’Italie ne paierait aucun coût supplémentaire, et elle
devrait rembourser un montant inférieur à ce qu’elle recevrait. » Et le même
d’insister, catégorique : « Nous devons être très clairs. Avec cette nouvelle
ligne de crédit, le Mécanisme ne peut imposer ni conditions, ni troika, ni
austérité, ni coupes dans les pensions ou dans les services publics. Nous
sommes sur un autre terrain par rapport au passé… »
Mais rien n’y fait :
l’Italie qui vient de réclamer des aides du programme de soutien au chômage
partiel (SURE), lancé au même moment que celui du MES, ne cède pas, pariant
exclusivement sur les dizaines de milliards d’euros du plan de relance. Alors
que l’Espagne avait écarté tout recours au MES dès le début, la Grèce vient
d’informer de son refus également. « Nous avons vécu avec le MES pendant dix
ans, avance Miltiadis Varvitsiotis, le vice-ministre conservateur des affaires
étrangères à Athènes. Le MES a été fondé sur le problème grec et nous savons ce
que signifie un mémorandum, ce n’est pas une partie de plaisir, cette pression
de l’Europe. Pour nous, plus jamais de troïka ! »
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