Une partie de l’armée, acclamée par
l’opposition au président IBK, tentait hier un coup d’État dans la capitale
malienne.
Une tentative de coup d’État était en cours ce mardi à Bamako à l’heure où
nous bouclions ces lignes, dernier épisode en date de la descente aux enfers du
Mali, ex-colonie française menacée par les groupes armés djihadistes et agitée
par une crise économique et sociale sans précédent. Tout est parti du grand
camp militaire de la ville-garnison de Kati, proche de Bamako, lieu du
précédent putsch de 2012, lorsqu’une mutinerie emmenée par le capitaine Amadou
Sanogo avait contraint l’ancien président Amadou Toumani Touré à la fuite. À
l’époque, les soldats prétendaient se révolter contre l’incurie du gouvernement
face à la progression de la rébellion touareg alliée à des groupes islamistes,
et aux lourdes pertes subies par une armée aussi sous-équipée que mal payée.
Partis ce mardi de Kati où de nombreuses rafales de tirs ont été rapportées
par des habitants et des militaires, les mutins se sont ensuite rendus au
domicile de plusieurs figures du gouvernement du président élu Ibrahim Boubacar
Keïta (IBK). Les arrestations de plusieurs personnalités politiques et de
gradés de l’armée ont été évoquées à Paris et à Bamako, mais l’incertitude
régnait quant au sort du premier ministre, Boubou Cissé, à qui une frange de
l’armée reproche d’avoir ouvert des canaux de négociations avec des groupes
armés « djihadistes ».
Dans la capitale, les partisans du Mouvement du 5 Juin, qui regroupe
le Rassemblement des forces patriotiques du Mali (M5-RFP) et les fidèles de
l’influent imam salafiste Mahmoud Dicko, applaudissaient au passage des
nombreux véhicules de l’armée malienne censés transporter les mutins, tandis
que l’ambassade de France recommandait « instamment de rester chez soi,
compte tenu des tensions rapportées à Kati et à Bamako ». « Nous suivons avec
inquiétude l’évolution de la situation au Mali », réagissait pour sa
part la représentation diplomatique états-unienne, l’émissaire américain pour
le Sahel Peter Pham assurant que Washington s’opposerait à tout changement de
gouvernement en dehors du cadre légal.
Voilà bien un des paradoxes de ce nouvel accès de fièvre au cœur d’un État
failli, sous occupation militaire étrangère, principalement française, et dont
le sort du président démocratiquement élu Ibrahim Boubacar Keïta, semblait
dépendre hier soir de mutins aux objectifs flous, eux-mêmes soutenus par une
opposition unie dans la contestation mais divisée sur ses objectifs.
Depuis l’invalidation par la Cour constitutionnelle d’une trentaine de
résultats des législatives de mars-avril, dont une dizaine en faveur de la majorité
du président Keïta, le Mouvement du 5 Juin n’a cessé de durcir ses
revendications, exigeant désormais le départ pur et simple d’IBK. Quand l’homme
fort du mouvement, l’imam Mahmoud Dicko (un ex-allié d’IBK), se contente pour
le moment de demander la tête du gouvernement tout en jurant n’avoir aucune
ambition politique.
« En 2023, je ne serai candidat à rien », affirmait-il le matin du putsch au
micro de RFI, avant de minimiser les nombreuses diatribes lancées lors de ses
prêches contre la force militaire « Barkhane », encadrée par Paris : « Je
n’ai accusé personne. Je dis simplement que nous sommes un peuple souverain qui
doit être respecté, comme nous respectons aussi les autres. Il y a des
mauvaises langues qui essaient de dire que Dicko c’est quelqu’un qui veut faire
un truc bureaucratique… Il veut instaurer la charia, il veut bafouer le rôle
des femmes… C’est parce que je suis musulman ou que je parle arabe, que
j’interprète le Coran, que cela suffit pour faire de moi un
rigoriste, un anti-Français, un anti-je ne sais quoi ? Écoutez, cela ne tient
pas debout ! »
Si une alliance entre les putschistes et l’imam Dicko paraissait
inconcevable hier, le coup de force fragilise considérablement la position
d’Ibrahim Boubacar Keïta, dont les concessions accordées à l’opposition, sous
les auspices d’une mission de médiation organisée le mois dernier par la
Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), sont pour le
moment restées lettre morte. Conformément à sa position de principe, c’est-à-dire
le respect de l’ordre constitutionnel et le maintien du président élu IBK, la
Cédéao rappelait elle aussi hier soir « sa ferme opposition à tout
changement politique anticonstitutionnel », invitant les mutins « à
demeurer dans une posture républicaine ».
Quelques heures avant le coup de force des militaires de Kati, un rapport
des experts de l’ONU sur le Mali censé être dévoilé publiquement d’ici à la fin
de la semaine avait déjà fait l’objet de larges fuites. Particulièrement
accablant pour la direction de la sécurité de l’État et plusieurs de ses hauts
responsables, le texte pointe la mise en place « d’une stratégie non
officielle » élaborée « par un cercle restreint proche du
président » IBK et dont l’objectif serait de torpiller la mise en
place des accords de paix d’Alger signés en 2015. Pour mémoire, ces derniers
doivent régler l’interminable conflit entre les indépendantistes touareg et
l’État malien, celui-là même qui avait provoqué la division du pays en deux en
2012, et l’occupation des villes de Tombouctou ou de Gao par des groupes
salafistes inspirés par l’islam wahhabite en provenance d’Arabie saoudite ou du
Qatar.
Le Mali accablé par une crise sociale sans
précédent
Reste à savoir quelle sera l’attitude de la France, principale force
militaire présente sur place et sur qui pèse le poids d’une longue tradition
d’interventions armées sur le continent africain pour sauver des régimes
autoritaires ou dictatoriaux, à l’instar de celui d’Idriss Déby au Tchad.
Une note confidentielle rédigée fin mars par le Centre d’analyse, de
prévision et de stratégie (Caps), du Quai d’Orsay, et intitulée « L’effet
Pangolin : la tempête qui vient en Afrique ? » anticipait les troubles sociaux
prévisibles sur un continent accablé par la crise sanitaire, et surtout par les
conséquences sociales d’un l’effondrement économique lié à la fermeture des
frontières, à la chute du prix des matières premières et aux politiques de
confinement.
« La crise du Covid-19 peut être le révélateur des limites de capacité des
États, incapables de protéger leur population. En Afrique notamment, ce
pourrait être “la crise de trop” qui déstabilise durablement, voire qui mette à
bas des régimes fragiles (Sahel) ou en bout de course (Afrique centrale). »
Pour compenser cette « perte de crédit des dirigeants » africains,
la note identifiait une série d’acteurs susceptibles de prendre le relais des
politiques discrédités – ceux du Mali souffrant d’un rejet massif de la
population largement antérieur au coup d’État de 2012 –, à savoir
les « autorités religieuses », les « diasporas » africaines,
les « artistes populaires » et les « businessmen
néolibéraux » (sic).
Une « feuille de route » qui
n’augure rien de bon pour le Mali, effectivement frappé par une « situation
sociale délétère », selon la dirigeante syndicale Sidibé Dédéou
Ousmane, et où les « autorités religieuses » représentées par l’imam
salafiste Mahmoud Dicko défendent un islam autant rigoriste que parfaitement
soluble dans la mondialisation néolibérale.
Marc de Miramon
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