Les accords de performance collective
(APC) se multiplient ces dernières semaines au prétexte de sauvegarder l’emploi
en période de crise. Nullement contraignants pour les employeurs, ces
dispositifs se révèlent des moyens pour licencier massivement à bas coûts.
« Ç a ne doit pas être du chantage, ça doit être du
dialogue social », avait déclaré le 14 juillet dernier Emmanuel
Macron, vantant l’accord de performance collective (APC) chez Derichebourg
Aeronautics Services. Un mois après ces belles paroles, c’est l’exact inverse
qui se produit chez ce sous-traitant d’Airbus. Alors que l’APC, signé par le
syndicat majoritaire FO, était censé maintenir l’emploi, ce sont finalement 163
salariés, refusant ce dispositif, qui vont être licenciés sur un total de
1 600.
Si 10 % des effectifs ont préféré mettre les voiles, c’est que de
profondes régressions sociales sont exigées. Ceux qui restent perdront la prime
de transport et leur indemnité de repas sera remplacée par des
tickets-restaurant. Pour les employés gagnant plus de 2,5 fois le Smic, le
treizième mois disparaît également. « Les entretiens avec les salariés
sont encore en cours, précise Philippe Faucard, délégué syndical Unsa
aérien, il pourrait y avoir encore plus de personnes à dire non à cet
accord. En ce qui me concerne, je reste, je refuse de partir avec ces méthodes
de voyous. Ce ne sont ni plus ni moins que des licenciements déguisés. Le
président n’arrêtait pas de nous dire qu’il y a trop de monde dans l’entreprise
et a mis cet APC en balance avec 700 possibles licenciements. C’est aussi une
manière de nous faire perdr e définitivement nos acquis sociaux. Ça
fait des années que les ressources humaines voulaient nous les supprimer. »
Cette tentation du licenciement au rabais avait été soulevée par le rapport
de France Stratégie, sorti fin juillet. Le document note que « les accords
se substituent à d’autres types d’accords », comme les PSE, sans qu’ils « n’offrent
les mêmes garanties aux salariés ». Émilie, 36 ans, en a fait les
frais. Après dix ans de précarité, puis un CDI obtenu en 2017, elle a préféré
quitter le navire Derichebourg Aeronautics Services. Licenciée pour cause
réelle et sérieuse après son refus de l’APC, elle ne pourra donc pas bénéficier
des dispositions relatives à un licenciement économique. « J’aurais
préféré un plan social, affirme-t-elle sans détour. Je pars avec
2 000 euros. Mon compte personnel de formation (CPF) a certes été abondé,
mais ça ne sera pas suffisant pour financer ma formation dans le social. Mais
rester était intenable. J’ai fait mes calculs, avec la suppression des primes,
je perdais 300 euros par mois. J’ai dû choisir entre la peste et le
choléra alors que l’entreprise n’était pas au fond du trou. J’ai de l’argent de
côté, ce qui n’est pas le cas de tous mes collègues. L’un d’entre eux ne savait
pas quoi faire. À 48 ans, il craint de ne jamais retrouver un travail. »
Nés des ordonnances Macron en 2017, ces accords modulant temps de travail,
rémunération et permettant aussi des mobilités géographiques ou
professionnelles sont progressivement montés en puissance. 371 ont été ratifiés
entre janvier 2018 et juin 2020. Rien que sur ce dernier mois, en pleine
pandémie de Covid, quatre accords ont été conclus dans des entreprises de moins
de 500 salariés. Basé sur les travaux du comité d’évaluation des APC, le
rapport de France Stratégie recense de nombreuses zones d’ombre, comme les
« faibles » compensations pour les salariés. Selon l’analyse de la doctorante
Hélène Cavat, sur les dispositifs signés en 2018, seuls 10 % d’entre eux
contiennent des contreparties précises en termes d’investissement et de
maintien dans l’emploi et 3 % prévoient des efforts de la part des
dirigeants ou des actionnaires… La voie est donc libre pour dépasser toutes les
limites. « Il y a dans le texte une obligation de ne pas rompre de
contrat de travail d’ici la fin de l’année et de ne pas négocier un plan social
jusqu’à 2022, explique Laurent Calvet, secrétaire national de l’Unsa aérien et
élu au CSE. Mais il y a des clauses, en tout petit, précisant que cela ne
s’applique pas en cas de persistance de la crise. On sait que ce type d’accord
n’a jamais préservé l’emploi. »
D’autant que l’argument économique derrière ces sacrifices laisse à
désirer. Selon l’Unsa, au mois de mai, le chiffre d’affaires était de
5,6 millions d’euros, contre une prévision de 5,2 millions. « Le
Covid a bon dos, poursuit Laurent Calvet. La société est en bonne santé, ça
aurait donc été très compliqué de justifier de plusieurs mois d’activité en
berne pour entamer un plan social. On pense que cet APC, qui incite vraiment
les salariés à partir en ajoutant une surprime, prépare le terrain avant un
prochain PSE d’ici le début de l’année si l’activité ne reprend pas. C’est
une équation avec une seule variable : la baisse du pouvoir d’achat des
salariés les plus modestes alors que les actionnaires ont touché
20 millions d’euros de dividendes ces trois dernières années. Pendant ce
temps-là, le groupe refuse tout financement de l’État. »
Dépassant les anciens accords de maintien dans l’emploi (AME), les APC
enfoncent même de nouvelles portes. Ils peuvent, par exemple, être signés en
vue de « l’harmonisation du statut collectif à la suite d’une opération
de fusion ou de transfert ». Pour renforcer l’opacité ambiante et la
toute-puissance de l’employeur dans ce dispositif, ces accords ne sont pas
soumis à une obligation de publication.
Si Emmanuel Macron pose ce dispositif sur le même plan que le chômage
partiel, les salariés de DSI (Distribution services industriels), autre
sous-traitant d’Airbus, y voient bien comme ceux de Derichebourg un chantage à
l’emploi. Dans cette entreprise adaptée de bureautique employant 80 % de
personnes en situation de handicap, un APC version hardcore s’est abattu sur
les 1 000 salariés. Au menu de réjouissances : des mobilités géographiques, des
mobilités professionnelles, une baisse de 10 % du salaire, la suppression
de la prime de vacances et enfin, la disparition de la clause obligeant
l’employeur à compléter la différence pour atteindre 95 % du salaire
antérieur en chômage partiel.
« Ils ont mis tout ce qui était possible dans le cadre d’un APC ! C’est
injuste car cette entreprise reçoit beaucoup d’argent de l’État, s’indigne
Thyphaine Chauvin, déléguée syndicale CGT. Mais avec le chômage partiel,
DSI n’a pas reçu les aides pour les THEA (travailleurs handicapés en entreprise
adaptée). On entend cette situation mais on ne peut pas bouger des personnes en
situation de handicap comme ça ! Ils ont la maison départementale des personnes
handicapées (MDPH) à côté de chez eux et leurs habitudes. On demande en plus
aux gens de signer cet accord, sans savoir quelle mes ure va leur tomber
dessus. Certains ont tellement stressé qu’ils sont partis via des ruptures
conventionnelles. »
Dans ce cas précis, aucune compensation n’est promise aux salariés, les
plongeant dans un dilemme cornélien. Pour Feride Amiraly, agent administratif
et élu CGT au CSSCT, le message est clair : « Alors qu’il prône la
solidarité, notre patron veut se débarrasser des personnes en situation de
handicap. Il a ainsi contracté des contrats aidés pour avoir des financements
publics plus rapidement. Malgré un prêt garanti par l’État de 1 million
d’euros, la société s’est précipitée sur cet APC. Ce type d’entreprise
devrait penser avant tout à ses employés, déjà payés en rase-mottes. Une
personne en situation de handicap peut mettre dix ans à retrouver un travail.
On ne compte pas laisser passer ça comme ça. »
Cécile Rousseau
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire