Il faut changer durablement notre regard
sur le grand âge, alerte Michel Billé, et ne pas reproduire les erreurs du
confinement, qui ont incité les seniors à regarder leur vieillesse dans
l’aspect le plus effrayant.
Michel Billé
Michel Billé
Sociologue, auteur de la Tyrannie du « Bienvieillir »
Qu’est-ce que le confinement a révélé du regard porté par la société sur la
vieillesse ?
MICHEL BILLÉ : On a voulu protéger les personnes âgées, à domicile
parfois, mais surtout en établissement. Cela part d’une bonne intention. Pour
les protéger, on a voulu les confiner. Et pour confiner, on a fermé. On a
empêché d’entrer dans les établissements des visiteurs de toute sorte, en
particulier des proches, des aidants, des bénévoles… On a empêché aussi d’en
sortir. Ce confinement a eu pour effet d’isoler les personnes. En
établissement, il a été fréquent que cette absence de contacts a créé des
difficultés pour les personnes âgées, qui se sont parfois trouvées
désorientées. Quand on est habitué à dire bonjour, à se faire la bise, il est
difficile de se priver de ce genre de relations. On a alors glissé de
l’isolement à l’enfermement. Il y a eu trois étapes dans le processus : le
confinement, l’isolement, l’enfermement. J’emploie volontairement ce mot
terrible en référence aux travaux du philosophe Michel Foucault sur le grand
enfermement dans les secteurs de la psychiatrie et du handicap, parce qu’ils
traduisent une réalité. Des gens ont été enfermés à clé dans leur chambre
d’Ehpad, au motif de les protéger et de protéger les autres d’un microbe qu’ils
n’avaient pas. C’est terrible.
Comment en est-on arrivé là ?
MICHEL BILLÉ : C’est facile de jeter la pierre sur les établissements.
Je ne sais pas si dans la même situation, j’aurais pu trouver une solution
intelligente. Mais au-delà de cet épisode de Covid-19 et de confinement,
au-delà des attitudes abusives, outrancières, liberticides qu’on a pu observer,
il faut ouvrir une réflexion éthique sur ce qui s’est passé et repérer ce qui
n’est pas acceptable pour que ça ne se reproduise pas. Cette crise du Covid
doit nous amener à regarder différemment les réponses que nous apportons à
celles et ceux de nos contemporains qui ont besoin de soins et
d’accompagnement. Un établissement d’hébergement pour personnes âgées
dépendantes est une réponse. Mais correspond-il aujourd’hui aux attentes de la
personne ? Comment pourrait-on ouvrir différemment l’établissement, inventer des
réponses à domicile, des allers-retours entre les deux ? Il faut accepter de
rouvrir toutes ces questions.
Comment nos anciens ont-ils pu glisser du statut de sages à celui de
personnes à charge dans notre société ?
MICHEL BILLÉ : Ce qui induit ce glissement, c’est cette terrible
notion d’utilité sociale liée au monde de la production, au monde industriel et
à la société capitaliste ultralibérale. Regarder avec quels mots on ose parler.
On divise la société française entre actifs et inactifs. Que les retraités ne
soient pas actifs de la même manière, dans le même domaine que ceux qui
travaillent, c’est une évidence. Mais dire qu’ils sont inactifs, c’est absurde.
En fait, derrière l’opposition actif/inactif se cache celle de productif/non
productif. Ce qui est non productif est inutile, donc indésirable. Ajouter à
cela la peur de la mort… Nous devons personnellement aider les gens à changer
le regard porté sur la vieillesse. Nous avons l’habitude lamentable de regarder
les sommes consacrées à l’accompagnement comme des charges, des dépenses. Oui,
il y a des sommes d’argent à consacrer à la vieillesse, mais il faut les
regarder comme un investissement, porteur d’emplois multiples, directs et
indirects, de développement économique, d’échanges. L’argent pour les vieux,
c’est l’emploi des jeunes.
Entretien réalisé par Kareen
Janselme.
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