Dans une maternité marseillaise, une
auxiliaire de puériculture est rattrapée par son passé. Dans un film subtil,
Marion Laine rend hommage aux soignantes.
Un ventre rond, veiné de bleu, filmé en gros plan se soulève au rythme de
la respiration de la future mère. Un instant suspendu, comme on prendrait son
souffle, avant de plonger dans le quotidien d’une maternité. On y entre, un
soir d’hiver, par un long plan-séquence dans un couloir surpeuplé. Les femmes
sur le point d’accoucher attendent d’être emmenées en salle de travail. Un mari
inquiet tente de rassurer sa compagne, enceinte de jumeaux, qui se tord de
douleur. Une jeune fille qui vient d’avorter, agrippée à un pied à perfusion,
se dispute avec son compagnon. Dehors, des militants anti-IVG crachent leur
haine. Sylvie (formidable Aure Autika), l’infirmière responsable du service,
cherche Jeanne (Sandrine Bonnaire), auxiliaire de puériculture. Dans cet hôpital
public confronté, comme tous les autres, au manque de personnel et à la
réduction drastique des moyens, chaque minute compte. C’est par une mort,
brutale, qu’on pénètre dans ce lieu où on donne la vie : l’un des jumeaux n’a
pas survécu et la mère, danseuse, s’est enfoncée dans un sommeil de plomb.
Après Un cœur simple et À cœur ouvert, Marion Laine adapte une
nouvelle fois un roman. Inspiré de Chambre 2, de Julie Bonnie, qui a
collaboré au scénario et a écrit la chanson du film, Voir le jour est
centré sur le personnage de Jeanne, dont l’équilibre précaire va basculer.
Alors que sa fille, Zoé (Lucie Fagedet), qu’elle élève seule, s’apprête à
partir faire ses études à Paris, un homme, Abel (Alice Botté), vient lui
annoncer la mort de son amour de jeunesse. Entre vingt et trente ans, elle a
chanté au sein du groupe punk rock les Jellyfish (« les méduses »). De ce passé
qu’elle cache à sa fille, elle n’a gardé qu’une méduse tatouée sur le corps, et
une autre, en plastique translucide, accrochée au rétroviseur de sa voiture.
Enchevêtrant trois lignes de récit, le drame qui se noue autour de la mort
du nourrisson, le passé de Jeanne et le départ de Zoé, Marion Laine filme le
corps et les visages des femmes, leurs gestes, leurs batailles intimes et
professionnelles. Soudées, en dépit de quelques tensions, les soignantes
forment un chœur qui se retrouve pour chanter Mamy Blue, le tube de
Nicoletta. Francesca (Brigitte Roüan), la plus âgée, sage-femme passionnée et
syndiquée, se bat pour créer une maison de naissance qui respecte la
physiologie des femmes, contre les césariennes à la chaîne imposées par les
médecins. Mélissa (Sarah Stern), généreuse et indépendante, ne veut pas
d’enfants. Dans ce collectif exclusivement féminin, chacune joue sa partition,
même modestement, comme Jennifer (Kenza Fortas), la stagiaire à peine sortie de
l’adolescence qui apaise les pleurs des bébés en leur chantant du rap.
Dans le rôle de Jeanne, Sandrine Bonnaire,
que Marion Laine avait dirigée dans Un cœur simple, est lumineuse. Visage
fermé qui soudain s’éclaire, silhouette juvénile, elle laisse deviner les peurs
de son personnage, son indépendance farouche. Contrastant avec le réalisme
presque documentaire des scènes d’hôpital, les flash-back élégants, où se
superposent les visages de Jeanne au présent et à 30 ans, donnent au film
une dimension onirique. Métaphore du liquide amniotique, l’élément aquatique
est omniprésent : dans l’aquarium près duquel Jeanne, en ombre chinoise, confie
ses doutes à Francesca en regardant flotter des méduses rouges, dans la piscine
où Zoé, qui veut devenir océanographe, s’entraîne à l’apnée. Assumant l’émotion
(qui ne pleure pas en écoutant les Moulins de mon cœur ?), Marion Laine signe
un film juste et profond sur la liberté des femmes, le lien maternel, la
sororité.
Sophie Joubert
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