Chaque collectivité serait en mesure
d’exercer des compétences spécifiques, selon le projet de loi présenté mercredi
en Conseil des ministres. Le gouvernement prône une logique ultralibérale,
nuisible aux territoires les plus fragiles.
C’est au beau milieu de l’été que le gouvernement a décidé de dévoiler une
réforme systémique. Le projet de loi organique sur le droit à la
« différenciation », présenté mercredi en Conseil des ministres, est un
véritable chamboule-tout pour les collectivités locales, déjà mises à rude
épreuve par le coronavirus. En réponse, le gouvernement a lancé un gigantesque
chantier : l’assouplissement du principe d’expérimentation. Autrement dit, les
collectivités pourront exercer une même compétence de façon différente de leurs
voisines. « Il s’agit tout simplement de mieux adapter les politiques publiques
aux réalités du territoire », a fait valoir Jacqueline Gourault, la ministre
des Relations avec les collectivités, en charge du dossier. En réalité, ce
projet ultralibéral marque une étape décisive dans l’émiettement territorial.
Le droit à la différenciation présente des risques majeurs. Officiellement,
le but est de donner aux collectivités locales « plus de libertés et de
responsabilités », avec la possibilité « d’adapter l’action
publique aux réalités locales ». Comme l’explique Benjamin Morel, maître de
conférences en droit public (voir entretien p. 4), « l’égalité de
chacun devant la loi ne sera plus acquise, puisque la loi sera susceptible
d’être modulée à la frontière de chaque commune ». Une rupture
fondamentale qui ouvre « la porte aux régionalismes, aux inégalités
territoriales (…), au dumping social et environnemental, et transformera la
République en une République 2.0 à géométrie variable », lancent les
sénateurs communistes, dénonçant une « évolution fédéraliste de (notre)
République ».
En dépit des dangers pour la cohésion du pays, Jacqueline Gourault veut
inciter les collectivités à déroger davantage aux règles communes. Jusqu’à
présent, celles-ci peuvent conduire leurs propres politiques publiques sur
certains sujets, pour un objet et une durée limités. Une partie de ces verrous
vont sauter : les mesures prises pourront être poursuivies sans limite de
temps. Et une simple délibération sera suffisante pour conduire une politique
publique spécifique, quand il fallait auparavant une autorisation par décret.
Plus largement, cette possibilité de fixer ses propres règles pourrait favoriser
la mise en concurrence entre les territoires. Aux collectivités les plus aisées
d’élargir le champ de leurs compétences aux dépens des autres territoires. Car,
si une intercommunalité ou une région veut exercer une nouvelle politique
publique, elle doit en avoir les moyens. Alors que la crise sociale liée
au coronavirus bat son plein, ce projet de loi creuserait encore les inégalités
territoriales et sociales. Loin de répondre aux inquiétudes, Jacqueline
Gourault a annoncé que les collectivités qui le souhaitent pourront piloter les
questions de logement, de mobilité, la transition écologique ou la cohésion
sociale. « Tout n’est pas envisageable pour autant, a-t-elle
nuancé. Il y a le régalien, bien sûr. La crise a aussi montré
qu’il n’est pas opportun de décentraliser l’emploi. »
Ces annonces vont dans le sens des propositions du Sénat et de Territoires
unis, regroupement composé de l’Association des maires de France (AMF),
l’Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France, toutes instances
dominées, par la droite, qui plaident pour « plus de libertés locales
pour plus d’efficacité ». « Les départements sont, par exemple,
prêts à gérer complètement la médecine scolaire ou les Ehpad, a
développé, dans les Échos, Dominique Bussereau, le président
(divers droite) du conseil départemental de la Charente-Maritime et de
l’ADF. Ils pourraient aussi aller plus loin dans les politiques
culturelles et sportives, sans pour autant piquer des compétences aux régions
et aux intercommunalités. » Autant de sujets à soumettre aux
discussions de la Conférence nationale des territoires, prévue en septembre. Un
projet de loi devrait découler de ces échanges, avant d’être présenté en 2021.
Le droit à la
différenciation est la pierre angulaire d’un projet de « décentralisation »
plus vaste. Le gouvernement compte bientôt défendre sa loi dite 3D
(décentralisation, déconcentration, différenciation), visant à donner une marge
de manœuvre encore plus grande aux collectivités. Ces dernières pourront, par
exemple, gérer « la formation des chômeurs entre les régions et Pôle
emploi », « favoriser des expérimentations autour du grand âge »,
ou piloter le RSA, a indiqué aux Échos la ministre Jacqueline
Gourault, encourageant les élus à aller plus loin : « Place à l’imagination
des élus ! » En juin, lors de son allocution télévisée, Emmanuel
Macron a fixé le cap : « L’organisation de l’État et de notre action
doit profondément changer. Tout ne peut pas être décidé si souvent à
Paris. » Dans un discours inspiré du Medef, le président de la
République a appelé à « libérer la créativité et l’énergie du
terrain ». Sans le dire, il concocte un projet destiné à achever la
fracture territoriale à l’œuvre depuis des années, au détriment des
citoyens.
Lola Ruscio
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