Plus de 1 500 personnes installées
dans un campement d’Aubervilliers ont été évacuées mercredi. Un épisode
supplémentaire dans cette stratégie qui vise à éloigner les migrants, en les mettant,
qui plus est, en danger.
Et une de plus. Pour la énième fois depuis les premières installations
d’exilés à proximité de la gare de l’Est il y a plus de dix ans, la police a
procédé, mercredi 29 juillet, à l’évacuation d’un campement. Plus de 1 500 personnes,
dont 280 en famille, qui s’étaient installées au bord du canal de Saint-Denis à
Aubervilliers, ont été « mises à l’abri » au petit matin.
Embarqués dans des bus, les migrants, en majorité originaires d’Afghanistan ou
de la Corne de l’Afrique, ont été répartis à travers la France entre plusieurs
centres d’hébergement d’urgence (CHU) et treize gymnases.
« C’est la 450e évacuation à laquelle j’assiste, alors je commence à savoir
comment ça va se passer, soupire Clarisse Bouthier, bénévole au sein
du collectif Solidarité Wilson. 25 % des exilés vont être relâchés
et leur situation sera encore pire, parce qu’ils n’auront plus de tentes, plus
de matériel et que la police va se livrer à une véritable chasse à l’homme pour
les empêcher de se réinstaller. »
Malgré la rhétorique employée, les « mises à l’abri » sont
d’abord destinées à supprimer les campements. Une enquête réalisée par le
Secours catholique auprès de 100 exilés lors de précédentes évacuations
montre que, après un mois, 75 % d’entre eux sont remis à la rue. Les
autorités invoquent leur absence de statut administratif – une majorité sont
des « dublinés », c’est-à-dire qu’en vertu de l’accord européen de Dublin, ils
n’ont le droit de faire une demande d’asile que dans le premier pays de l’Union
où ils ont été enregistrés – pour ne pas appliquer l’accueil inconditionnel
dont doit légalement bénéficier toute personne sans abri. Même pour les
demandeurs d’asile, que l’État a l’obligation de loger, le nombre de places
reste insuffisant.
Du coup, ces « mises à l’abri » ne font qu’entretenir un
cycle infernal et sans fin. Au bout de cinq évacuations, Alalisad, un Somalien
interrogé par l’AFP, fait part de sa perplexité : « Ils viennent nous
chercher, nous mettent dans des hôtels pendant trois mois et puis, après, on
revient dans la rue. Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement français
gaspille autant d’argent en nous mettant dans des hôtels, au lieu de nous
donner un hébergement sur le long terme. »
Les évacuations s’accompagnent, en outre, par du harcèlement pour éviter
toute reconstitution de campement. « Le 18 mars dernier, il y
avait déjà 700 personnes à Aubervilliers, raconte Louis Barda,
coordinateur général à Paris pour Médecins du Monde. Il y a eu une
première évacuation. Quand des petits groupes ont tenté de se reformer, la
police est revenue quatre fois détruire leurs tentes et leur matériel. L’enjeu,
c’est de rendre cette population invisible. » Au fil des ans, cette
politique d’éloignement a repoussé toujours plus loin les campements, depuis le
square Villemin, en 2009, jusqu’au quai d’Aubervilliers aujourd’hui. En
commentant l’évacuation de ce mercredi, le préfet Didier Lallement n’a
d’ailleurs pas caché ses objectifs : « Je souhaitais évacuer les
campements qui étaient en périphérie de Paris et faire en sorte que, sur
l’ensemble du secteur de la police de Paris et des trois départements
limitrophes, les migrants ne se regroupent pas dans des camps. » Sans
campement, la situation des exilés est encore plus dramatique. « Quand
ils sont éparpillés, ils ont encore plus de mal à se nourrir ou se soigner. Ils
sont plus en danger. C’est aussi plus compliqué pour les associations de les
aider, d’autant qu’elles subissent la pression policière », explique
Clarisse Bouthier.
Le maintien des exilés dans des conditions de vie déplorables fait partie
intégrante de cette stratégie. « Les décideurs font le choix de mettre
délibérément en danger des personnes qui ont fui des pays en guerre »,
résume Louis Barda. La situation qui régnait au campement d’Aubervilliers
illustre bien cette politique que les risques de santé publique, créés par le
Covid, n’ont pas infléchie. L’État n’a même pas respecté l’ordre, donné le
5 juin dernier par la justice, de fournir aux migrants l’accès à l’eau,
des douches, des sanitaires, des masques et du gel hydroalcoolique. Un seul
point d’eau a été installé et il n’y avait toujours aucune douche à la veille
du démantèlement, pour 800 tentes agglutinées le long du canal.
Quant aux toilettes, « ils ont installé trois ou quatre urinoirs.
Mais on est plus de 500 ici. Du coup, c’est sale, et tous les matins, on doit
faire la queue », confiait mardi soir Safi Zadek, un Afghan de 27 ans.
Peu ou pas de masques ont été distribués et la veille du démantèlement,
c’étaient les bénévoles de Solidarité Wilson qui, pendant leur distribution
alimentaire, offraient un peu de gel aux exilés pour se laver les mains. Quant
aux tests, ils étaient quasiment irréalisables, en raison de la lourdeur des
procédures pour faire intervenir l’agence régionale de santé. « C’est
une situation folle. Alors que toutes les études montrent que les populations
précaires sont les plus à risques, on place ces personnes dans l’impossibilité
de se protéger », déplore Louis Barda.
Le cycle infernal des expulsions à
répétition a des conséquences graves pour les exilés, qui développent les
pathologies de la rue : maladies respiratoires, problèmes de peau ou
gastriques. « Mais c’est surtout la santé mentale qui en prend un coup.
Après l’exil et le voyage, la façon dont ils sont traités en France est un
troisième traumatisme », souligne Louis Barda. « Quand on a
commencé en 2016, se souvient Clarisse Bouthier, des gens ne
pouvaient pas manger ou se soigner, mais gardaient espoir. Mais, depuis 2018,
beaucoup ont sombré dans la folie. L’espoir, c’est ça qui s’est perdu. »
Camille Bauer
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