jeudi 30 juillet 2020

EXILÉS. « L’ENJEU, C’EST DE RENDRE CETTE POPULATION INVISIBLE »




Plus de 1 500 personnes installées dans un campement d’Aubervilliers ont été évacuées mercredi. Un épisode supplémentaire dans cette stratégie qui vise à éloigner les migrants, en les mettant, qui plus est, en danger.

Et une de plus. Pour la énième fois depuis les premières installations d’exilés à proximité de la gare de l’Est il y a plus de dix ans, la police a procédé, mercredi 29 juillet, à l’évacuation d’un campement. Plus de 1 500 personnes, dont 280 en famille, qui s’étaient installées au bord du canal de Saint-Denis à Aubervilliers, ont été « mises à l’abri » au petit matin. Embarqués dans des bus, les migrants, en majorité originaires d’Afghanistan ou de la Corne de l’Afrique, ont été répartis à travers la France entre plusieurs centres d’hébergement d’urgence (CHU) et treize gymnases. 

« C’est la 450 évacuation à laquelle j’assiste, alors je commence à savoir comment ça va se passer, soupire Clarisse Bouthier, bénévole au sein du collectif Solidarité Wilson. 25 % des exilés vont être relâchés et leur situation sera encore pire, parce qu’ils n’auront plus de tentes, plus de matériel et que la police va se livrer à une véritable chasse à l’homme pour les empêcher de se réinstaller. »

Malgré la rhétorique employée, les « mises à l’abri » sont d’abord destinées à supprimer les campements. Une enquête réalisée par le Secours catholique auprès de 100 exilés lors de précédentes évacuations montre que, après un mois, 75 % d’entre eux sont remis à la rue. Les autorités invoquent leur absence de statut administratif – une majorité sont des « dublinés », c’est-à-dire qu’en vertu de l’accord européen de Dublin, ils n’ont le droit de faire une demande d’asile que dans le premier pays de l’Union où ils ont été enregistrés – pour ne pas appliquer l’accueil inconditionnel dont doit légalement bénéficier toute personne sans abri. Même pour les demandeurs d’asile, que l’État a l’obligation de loger, le nombre de places reste insuffisant.

Du coup, ces « mises à l’abri » ne font qu’entretenir un cycle infernal et sans fin. Au bout de cinq évacuations, Alalisad, un Somalien interrogé par l’AFP, fait part de sa perplexité : « Ils viennent nous chercher, nous mettent dans des hôtels pendant trois mois et puis, après, on revient dans la rue. Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement français gaspille autant d’argent en nous mettant dans des hôtels, au lieu de nous donner un hébergement sur le long terme. »

Les évacuations s’accompagnent, en outre, par du harcèlement pour éviter toute reconstitution de campement. « Le 18 mars dernier, il y avait déjà 700 personnes à Aubervilliers, raconte Louis Barda, coordinateur général à Paris pour Médecins du Monde. Il y a eu une première évacuation. Quand des petits groupes ont tenté de se reformer, la police est revenue quatre fois détruire leurs tentes et leur matériel. L’enjeu, c’est de rendre cette population invisible. » Au fil des ans, cette politique d’éloignement a repoussé toujours plus loin les campements, depuis le square Villemin, en 2009, jusqu’au quai d’Aubervilliers aujourd’hui. En commentant l’évacuation de ce mercredi, le préfet Didier Lallement n’a d’ailleurs pas caché ses objectifs : « Je souhaitais évacuer les campements qui étaient en périphérie de Paris et faire en sorte que, sur l’ensemble du secteur de la police de Paris et des trois départements limitrophes, les migrants ne se regroupent pas dans des camps. » Sans campement, la situation des exilés est encore plus dramatique. « Quand ils sont éparpillés, ils ont encore plus de mal à se nourrir ou se soigner. Ils sont plus en danger. C’est aussi plus compliqué pour les associations de les aider, d’autant qu’elles subissent la pression policière », explique Clarisse Bouthier.

Le maintien des exilés dans des conditions de vie déplorables fait partie intégrante de cette stratégie. « Les décideurs font le choix de mettre délibérément en danger des personnes qui ont fui des pays en guerre », résume Louis Barda. La situation qui régnait au campement d’Aubervilliers illustre bien cette politique que les risques de santé publique, créés par le Covid, n’ont pas infléchie. L’État n’a même pas respecté l’ordre, donné le 5 juin dernier par la justice, de fournir aux migrants l’accès à l’eau, des douches, des sanitaires, des masques et du gel hydroalcoolique. Un seul point d’eau a été installé et il n’y avait toujours aucune douche à la veille du démantèlement, pour 800 tentes agglutinées le long du canal.

Quant aux toilettes, « ils ont installé trois ou quatre urinoirs. Mais on est plus de 500 ici. Du coup, c’est sale, et tous les matins, on doit faire la queue », confiait mardi soir Safi Zadek, un Afghan de 27 ans. Peu ou pas de masques ont été distribués et la veille du démantèlement, c’étaient les bénévoles de Solidarité Wilson qui, pendant leur distribution alimentaire, offraient un peu de gel aux exilés pour se laver les mains. Quant aux tests, ils étaient quasiment irréalisables, en raison de la lourdeur des procédures pour faire intervenir l’agence régionale de santé. « C’est une situation folle. Alors que toutes les études montrent que les populations précaires sont les plus à risques, on place ces personnes dans l’impossibilité de se protéger », déplore Louis Barda.


Le cycle infernal des expulsions à répétition a des conséquences graves pour les exilés, qui développent les pathologies de la rue : maladies respiratoires, problèmes de peau ou gastriques. « Mais c’est surtout la santé mentale qui en prend un coup. Après l’exil et le voyage, la façon dont ils sont traités en France est un troisième traumatisme », souligne Louis Barda. « Quand on a commencé en 2016, se souvient Clarisse Bouthier, des gens ne pouvaient pas manger ou se soigner, mais gardaient espoir. Mais, depuis 2018, beaucoup ont sombré dans la folie. L’espoir, c’est ça qui s’est perdu. »

Camille Bauer


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