jeudi 18 juin 2020

L’URGENCE D’UN PLAN POUR QUE VIVE LA PRESSE. PAR PATRICK LE HYARIC



Alors qu’un véritable carnage s’abat sur les titres nationaux et régionaux, un autre chemin doit être étudié pour soutenir les journaux, comprenant des mesures comme une réduction fiscale pour toute personne qui souscrit un abonnement.

Pourquoi l’ampleur des difficultés de la presse est à ce point sous-estimée, voire niée ? Durant les trois mois qui viennent de s’écouler, journalistes comme ouvriers d’imprimeries, transporteurs comme marchands de journaux ont tenu bon, livrant chaque jour une information diversifiée aux lectrices et lecteurs sur la crise sanitaire, ses effets, les moyens de la conjurer et ce qu’elle dit de nos sociétés. C’est cette presse qui a permis bien souvent de prendre du recul, d’alimenter des réflexions nouvelles, et d’inciter à repenser nos manières de vivre, de produire, de consommer, de faire société ensemble.
Un enjeu considérable
Durant cette période difficile, une réelle soif de lire les journaux a été constatée. Pourtant, ce moment a été celui où les journaux ne sont pas parvenus convenablement aux abonnés, où une partie des maisons de presse a dû rester fermée tandis que le système de distribution était chamboulé par le redressement judiciaire de la messagerie Presstalis et la liquidation des centres régionaux de répartition des journaux vers les magasins de vente. Cette situation prive de publications les lecteurs de la quasi-totalité de la façade est du pays. La réinvention d’un système de distribution des quotidiens et des magazines solide et pérenne, associant La Poste, Geodis, la Caisse des dépôts, reste donc un enjeu considérable. Au-delà, personne ne peut fermer les yeux sur le véritable carnage qui s’abat sur la presse nationale et régionale d’information générale et politique.
Une démocratie en danger
Les pertes financières liées à la situation de Presstalis, le recul des abonnements papier, l’effondrement des recettes publicitaires et de celles résultant des événements organisés par les entreprises de presse sont en train de provoquer un nouveau tsunami risquant d’emporter avec lui des pans entiers de notre démocratie.

Croyons-nous que le formatage des journaux télévisés du soir et le média-business de l’information en continu permettront aux citoyens de l’être pleinement, dans un moment si complexe qui appelle confrontations des points de vue, diversité des angles d’analyse, pluralité des opinions et des expériences ? On pourrait démontrer à quel point le système médiatique global se configure au service d’une pensée unique. Seul change le visage de celles et ceux qui la véhicule. Et, dans la presse écrite elle-même, les concentrations-restructurations se poursuivent dangereusement. Il y a quelques jours, c’est le groupe belge Rossel, qui détient déjà dans l’Hexagone neuf quotidiens et une quinzaine de magazines, qui s’est emparé de Paris Normandie, après que M. Niel, qui avait déjà repris Nice-Matin, a fait tomber France-Antilles dans son escarcelle. Au même moment, le groupe Paris Turf connaît de redoutables difficultés, tandis qu’un groupe solide comme le Parisien s’engage dans une importante restructuration, tout comme l’Équipe…

Au lieu de se pencher sur la gravité de la situation pour le pluralisme, la démocratie, la culture et le lien social que permet la presse écrite, des spécialistes en libéralisme économique conseillant le pouvoir commencent à avancer des solutions nuisibles qui visent avant tout à satisfaire les groupes industriels et financiers propriétaires de journaux, en rien soucieux d’une information écrite de qualité et encore moins de l’exercice de la citoyenneté. Ils ne pensent qu’au développement du télétravail pour économiser sur les charges locatives, à sortir des journalistes du salariat, des employés et cadres des conventions collectives de la presse, à restructurer des imprimeries et à réduire le nombre d’éditions pour la presse régionale, etc.
Nécessités à mettre en œuvre
Un autre chemin devrait être étudié dans le cadre d’assises nationales pour le pluralisme de la presse, dont le ministère de la Culture et de la Communication devrait prendre l’initiative. Le « plan filière » déposé par les syndicats de l’Alliance pourrait être la base de la discussion. Au-delà, je me permets d’insister sur plusieurs nécessités qu’il conviendrait de mettre en œuvre.
– Bâtir un système solide et pérenne de distribution associant La Poste, Geodis, la Caisse des dépôts et Orange pour inventer un kiosque numérique pour la presse.
– Restituer au développement de la presse les crédits du fonds stratégique de la presse aujourd’hui utilisés pour soutenir Presstalis.
– Accélérer l’application de la directive européenne et la loi nationale sur les droits voisins faisant payer par les géants du numérique les articles et œuvres qu’ils pillent.
– Appliquer à la presse d’information générale et politique une TVA nulle, comme cela se fait déjà au Royaume-Uni.
– Augmenter l’aide publique aux quotidiens d’information générale et politique à faibles ressources publicitaires.
– Relancer un projet commun État-régions-éditeurs pour installer des bouquets de presse dans chaque lycée de France.
– Une aide aux abonnés devrait être mise en place dès le mois de septembre permettant à tout citoyen souscrivant un abonnement au titre de l’information générale et politique de bénéficier d’une réduction d’impôt ou d’un crédit d’impôt. Cette mesure faciliterait l’accès de multiples familles à la lecture régulière de journaux.
Le pouvoir, qui se targue volontiers de soutenir plusieurs secteurs d’activité, ne peut ignorer ou mépriser celui qui sert la vie démocratique, le pluralisme et l’exercice de la citoyenneté.


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