Alors qu’un véritable carnage s’abat sur
les titres nationaux et régionaux, un autre chemin doit être étudié pour
soutenir les journaux, comprenant des mesures comme une réduction fiscale pour
toute personne qui souscrit un abonnement.
Pourquoi l’ampleur des difficultés de la presse est à ce point
sous-estimée, voire niée ? Durant les trois mois qui viennent de s’écouler,
journalistes comme ouvriers d’imprimeries, transporteurs comme marchands de
journaux ont tenu bon, livrant chaque jour une information diversifiée aux
lectrices et lecteurs sur la crise sanitaire, ses effets, les moyens de la
conjurer et ce qu’elle dit de nos sociétés. C’est cette presse qui a permis
bien souvent de prendre du recul, d’alimenter des réflexions nouvelles, et
d’inciter à repenser nos manières de vivre, de produire, de consommer, de faire
société ensemble.
Un enjeu considérable
Durant cette période difficile, une réelle soif de lire les journaux a été
constatée. Pourtant, ce moment a été celui où les journaux ne sont pas parvenus
convenablement aux abonnés, où une partie des maisons de presse a dû rester
fermée tandis que le système de distribution était chamboulé par le
redressement judiciaire de la messagerie Presstalis et la liquidation des
centres régionaux de répartition des journaux vers les magasins de vente. Cette
situation prive de publications les lecteurs de la quasi-totalité de la façade
est du pays. La réinvention d’un système de distribution des quotidiens et des
magazines solide et pérenne, associant La Poste, Geodis, la Caisse des dépôts,
reste donc un enjeu considérable. Au-delà, personne ne peut fermer les yeux sur
le véritable carnage qui s’abat sur la presse nationale et régionale
d’information générale et politique.
Une démocratie en danger
Les pertes financières liées à la situation de Presstalis, le recul des
abonnements papier, l’effondrement des recettes publicitaires et de celles
résultant des événements organisés par les entreprises de presse sont en train
de provoquer un nouveau tsunami risquant d’emporter avec lui des pans entiers
de notre démocratie.
Croyons-nous que le formatage des journaux télévisés du soir et le
média-business de l’information en continu permettront aux citoyens de l’être
pleinement, dans un moment si complexe qui appelle confrontations des points de
vue, diversité des angles d’analyse, pluralité des opinions et des
expériences ? On pourrait démontrer à quel point le système médiatique global
se configure au service d’une pensée unique. Seul change le visage de celles et
ceux qui la véhicule. Et, dans la presse écrite elle-même, les
concentrations-restructurations se poursuivent dangereusement. Il y a quelques
jours, c’est le groupe belge Rossel, qui détient déjà dans l’Hexagone neuf
quotidiens et une quinzaine de magazines, qui s’est emparé de Paris
Normandie, après que M. Niel, qui avait déjà repris Nice-Matin, a
fait tomber France-Antilles dans son escarcelle. Au même
moment, le groupe Paris Turf connaît de redoutables difficultés, tandis qu’un
groupe solide comme le Parisien s’engage dans une importante restructuration,
tout comme l’Équipe…
Au lieu de se pencher sur la gravité de la situation pour le pluralisme, la
démocratie, la culture et le lien social que permet la presse écrite, des
spécialistes en libéralisme économique conseillant le pouvoir commencent à
avancer des solutions nuisibles qui visent avant tout à satisfaire les groupes
industriels et financiers propriétaires de journaux, en rien soucieux d’une
information écrite de qualité et encore moins de l’exercice de la citoyenneté.
Ils ne pensent qu’au développement du télétravail pour économiser sur les
charges locatives, à sortir des journalistes du salariat, des employés et
cadres des conventions collectives de la presse, à restructurer des imprimeries
et à réduire le nombre d’éditions pour la presse régionale, etc.
Nécessités à mettre en œuvre
Un autre chemin devrait être étudié dans le cadre d’assises nationales pour
le pluralisme de la presse, dont le ministère de la Culture et de la
Communication devrait prendre l’initiative. Le « plan filière » déposé par les
syndicats de l’Alliance pourrait être la base de la discussion. Au-delà, je me
permets d’insister sur plusieurs nécessités qu’il conviendrait de mettre en
œuvre.
– Bâtir un système solide et pérenne de distribution associant La Poste,
Geodis, la Caisse des dépôts et Orange pour inventer un kiosque numérique pour
la presse.
– Restituer au développement de la presse les crédits du fonds stratégique
de la presse aujourd’hui utilisés pour soutenir Presstalis.
– Accélérer l’application de la directive européenne et la loi nationale
sur les droits voisins faisant payer par les géants du numérique les articles
et œuvres qu’ils pillent.
– Appliquer à la presse d’information générale et politique une TVA nulle,
comme cela se fait déjà au Royaume-Uni.
– Augmenter l’aide publique aux quotidiens d’information générale et
politique à faibles ressources publicitaires.
– Relancer un projet commun État-régions-éditeurs pour installer des
bouquets de presse dans chaque lycée de France.
– Une aide aux abonnés devrait être mise en place dès le mois de septembre
permettant à tout citoyen souscrivant un abonnement au titre de l’information
générale et politique de bénéficier d’une réduction d’impôt ou d’un crédit
d’impôt. Cette mesure faciliterait l’accès de multiples familles à la lecture
régulière de journaux.
Le pouvoir, qui se
targue volontiers de soutenir plusieurs secteurs d’activité, ne peut ignorer ou
mépriser celui qui sert la vie démocratique, le pluralisme et l’exercice de la
citoyenneté.
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