jeudi 18 juin 2020

« Jeu dangereux », l’éditorial de Laurent Mouloud dans l’Humanité de ce jour !



L’exécutif, à travers cette tension policière entretenue dans le cortège parisien, a fait passer un message clair : il ne cédera rien au mouvement social, pas plus qu’aux revendications de changement de méthodes policières.

On la voit traînée au sol, tirée par les cheveux, jetée à plat ventre, menottée puis mise à genoux tandis qu’elle réclame en vain sa Ventoline… L’interpellation ultraviolente, mardi, de Farida n’en finit pas de susciter l’indignation. À raison. Quelle terrible symbolique de voir cette infirmière cinquantenaire, après deux mois passés sur le front du coronavirus, se faire molester par une escouade de CRS. À bout de nerfs, cette femme de 1,55 m aurait jeté des pierres et fait des doigts d’honneur ? La belle affaire. Cela justifie-t-il des bleus, des bosses et une côte cassée ? Sans verser dans le complotisme, difficile de ne pas voir derrière la disproportion des gestes policiers une volonté assumée – et inadmissible – de faire un exemple. Et derrière la gestion chaotique de cette manifestation un message subliminal envoyé par le pouvoir.

Depuis deux ans, des gilets jaunes aux mobilisations contre la réforme des retraites, les images noyées de lacrymo et de matraques sont devenues courantes. Mais voilà, cette fois, la mobilisation des soignants intervenait après la crise du Covid-19. Et d’aucuns imaginaient que les hommages aux héros des hôpitaux, ainsi que la reconnaissance présidentielle de la nécessité d’investir dans le service public, auraient changé la donne. À l’évidence, ce n’est pas le cas. Les blouses blanches, applaudies durant deux mois, ne sont plus à la fête. Et l’exécutif, à travers cette tension policière entretenue dans le cortège parisien, a fait passer un message clair : il ne cédera rien au mouvement social, pas plus qu’aux revendications de changement de méthodes policières.

Aucune surprise, au fond. Dans la lignée de son discours de dimanche, Emmanuel Macron, en plein calcul électoral, continue de cultiver les fondamentaux de la droite. Après avoir donné des gages sur le plan sécuritaire, exonérant la police de toute réflexion sur sa doctrine et les dérives racistes constatées en son sein, le chef de l’État flatte à nouveau la frange la plus conservatrice, laissant la rue se faire réprimer sans mot dire. Un jeu très dangereux. L’interpellation ahurissante par des agents de sécurité de la SNCF d’une femme enceinte, à Aulnay-sous-Bois, devrait le faire réfléchir. Nier autant des dérives aussi évidentes pourrait confiner à de la complicité.

Par Laurent Mouloud



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