Les librairies sont loin des yeux et de l’attention du pouvoir, mais le
groupe Fnac-Darty bénéficie en un temps record d’un prêt d’un demi-milliard
garanti par l’État. Air France, dont l’État est descendu à 14 % du
capital, va bénéficier d’un prêt garanti de la colossale somme de
4 milliards, suivi de trois autres sous forme « d’avance d’actionnaire »
sans condition sociale ou environnementale. Au contraire, le ministre de
l’Économie demande à l’entreprise d’améliorer sa compétitivité. En clair d’y réduire
encore l’emploi et certaines activités. Une telle somme aurait dû et pu être
conditionnée à la sécurisation des parcours professionnels, à l’augmentation
des bas salaires, à une stratégie nouvelle en coopération avec Airbus pour
faire respecter l’accord de Paris sur le climat, comme au maintien des
aéroports sous propriété publique.
Les petites et moyennes entreprises sous-traitantes de groupes automobiles
souffrent, les salariés angoissent, mais l’État garantit au groupe Renault,
dont il s’est quasiment retiré, un prêt de 5 milliards alors que la
trésorerie du groupe est plutôt florissante. Là encore, l’argent est avancé
sans aucun nouveau projet social et environnemental structurant.
Si l’on comprend la nécessité d’apporter un soutien public aux entreprises,
encore faudrait-il que les banques alliées à l’État cessent de mépriser la
multitude des petites entreprises qui agonisent en ce moment même. Il est de
surcroît insupportable que les pertes des grandes entreprises soient toujours
socialisées quand leurs profits sont privatisés. Surtout quand leurs dirigeants
s’octroient des salaires et des retraites mirobolants, et leurs propriétaires
des dividendes qu’ils placent dans des paradis fiscaux, se soustrayant ainsi du
financement des biens communs pour la santé ou l’école.
Tant d’argent ne devrait pouvoir être affecté sans contrôle des élus et des
salariés, sans obligation de garantir l’emploi, la formation et la vie
territoriale, sans inscrire les entreprises dans un nouveau projet de
transformation économique, social, environnemental et démocratique. Ceci
implique des critères de gestion qui ne fassent plus la part belle à la
rentabilité à tout prix, mais au progrès social, écologique et au développement
territorial.
Jusqu’à ce jour, les sommes affectées au plan de soutien de l’économie
coïncident exactement avec le manque à gagner généré par la crise sanitaire,
soit aux alentours de 120 milliards d’euros. Ce plan massif n’a aucune
vision d’avenir, sauf celle de sauver le capital en le renforçant pour que tout
redevienne comme avant, alors que le ministre de l’Économie ne cesse de
disserter sur « le nouveau capitalisme ».
En refusant de légiférer sur l’interdiction de distribuer des dividendes et
des aides publiques aux entreprises qui placent leur argent dans les paradis
fiscaux, en refusant de débattre de la fiscalité du capital et des grandes
fortunes, en considérant que la propriété du capital est un sujet tabou, et en
refusant des pouvoirs nouveaux aux salariés dans les entreprises, c’est bien le
passé qui demeure la référence du pouvoir et non « la rupture » vantée par le
président de la République.
La concurrence sociale et fiscale vise à attirer les capitaux : les
investisseurs, dit-on dans ces milieux. Nous sommes loin des besoins de
relocalisation, de la garantie du travail, de la préservation de la
biodiversité et du climat, d’une Sécurité sociale élargie au travail et à la
prise en charge des personnes âgées, et d’une sécurité alimentaire en qualité
et quantité.
Progresser en ce sens
appelle à engager un processus d’appropriation sociale et démocratique de pans
importants de l’économie et de la banque, des nationalisations d’un type
nouveau, mais aussi à développer des coopératives autogérées soutenues par
l’État et les collectivités. La question du pouvoir des travailleurs, de celles
et ceux dont on célèbre les mérites et qui démontrent de quelles prouesses ils
sont capables, se pose comme jamais. Que les « premiers de corvée » puissent
gouverner est inséparable d’une ambition « post-capitaliste ».
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