vendredi 1 mai 2020

SAUVER LE CAPITAL OU LES TRAVAILLEURS ? PAR PATRICK LE HYARIC



                         
Les librairies sont loin des yeux et de l’attention du pouvoir, mais le groupe Fnac-Darty bénéficie en un temps record d’un prêt d’un demi-milliard garanti par l’État. Air France, dont l’État est descendu à 14 % du capital, va bénéficier d’un prêt garanti de la colossale somme de 4 milliards, suivi de trois autres sous forme « d’avance d’actionnaire » sans condition sociale ou environnementale. Au contraire, le ministre de l’Économie demande à l’entreprise d’améliorer sa compétitivité. En clair d’y réduire encore l’emploi et certaines activités. Une telle somme aurait dû et pu être conditionnée à la sécurisation des parcours professionnels, à l’augmentation des bas salaires, à une stratégie nouvelle en coopération avec Airbus pour faire respecter l’accord de Paris sur le climat, comme au maintien des aéroports sous propriété publique.

Les petites et moyennes entreprises sous-traitantes de groupes automobiles souffrent, les salariés angoissent, mais l’État garantit au groupe Renault, dont il s’est quasiment retiré, un prêt de 5 milliards alors que la trésorerie du groupe est plutôt florissante. Là encore, l’argent est avancé sans aucun nouveau projet social et environnemental structurant.

Si l’on comprend la nécessité d’apporter un soutien public aux entreprises, encore faudrait-il que les banques alliées à l’État cessent de mépriser la multitude des petites entreprises qui agonisent en ce moment même. Il est de surcroît insupportable que les pertes des grandes entreprises soient toujours socialisées quand leurs profits sont privatisés. Surtout quand leurs dirigeants s’octroient des salaires et des retraites mirobolants, et leurs propriétaires des dividendes qu’ils placent dans des paradis fiscaux, se soustrayant ainsi du financement des biens communs pour la santé ou l’école.

Tant d’argent ne devrait pouvoir être affecté sans contrôle des élus et des salariés, sans obligation de garantir l’emploi, la formation et la vie territoriale, sans inscrire les entreprises dans un nouveau projet de transformation économique, social, environnemental et démocratique. Ceci implique des critères de gestion qui ne fassent plus la part belle à la rentabilité à tout prix, mais au progrès social, écologique et au développement territorial.

Jusqu’à ce jour, les sommes affectées au plan de soutien de l’économie coïncident exactement avec le manque à gagner généré par la crise sanitaire, soit aux alentours de 120 milliards d’euros. Ce plan massif n’a aucune vision d’avenir, sauf celle de sauver le capital en le renforçant pour que tout redevienne comme avant, alors que le ministre de l’Économie ne cesse de disserter sur « le nouveau capitalisme ».

En refusant de légiférer sur l’interdiction de distribuer des dividendes et des aides publiques aux entreprises qui placent leur argent dans les paradis fiscaux, en refusant de débattre de la fiscalité du capital et des grandes fortunes, en considérant que la propriété du capital est un sujet tabou, et en refusant des pouvoirs nouveaux aux salariés dans les entreprises, c’est bien le passé qui demeure la référence du pouvoir et non « la rupture » vantée par le président de la République.

La concurrence sociale et fiscale vise à attirer les capitaux : les investisseurs, dit-on dans ces milieux. Nous sommes loin des besoins de relocalisation, de la garantie du travail, de la préservation de la biodiversité et du climat, d’une Sécurité sociale élargie au travail et à la prise en charge des personnes âgées, et d’une sécurité alimentaire en qualité et quantité.

Progresser en ce sens appelle à engager un processus d’appropriation sociale et démocratique de pans importants de l’économie et de la banque, des nationalisations d’un type nouveau, mais aussi à développer des coopératives autogérées soutenues par l’État et les collectivités. La question du pouvoir des travailleurs, de celles et ceux dont on célèbre les mérites et qui démontrent de quelles prouesses ils sont capables, se pose comme jamais. Que les « premiers de corvée » puissent gouverner est inséparable d’une ambition « post-capitaliste ».


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