Incantations. Revenons-y, à la
question qui nous hante tous et, plus que toutes autres, conditionne une bonne
part de nos débats politiques: «l’après» sera-t-il comme avant… mais en pire?
Entre les mots en forme d’engagements la main sur le cœur, les postures façon
jeu de piste et les serments d’hypocrites, Mac Macron et ses affidés, sans
parler de toute la clique des libéraux médiacratiques ayant soudain vu la
Vierge, voudraient tous nous donner l’impression qu’ils se sont convertis à un
new deal keynésien mâtiné de marxisme-léninisme de haute intensité. «Justice»,
«partage», «équité»: méfions-nous des incantations et du «plus
rien ne sera comme avant» en tant que genre, sitôt transformé en «tout
changer pour que rien ne change» – comme l’histoire nous l’a
assez enseigné… De ce point de vue, le Figaro, au moins, ne ment
pas à ses lecteurs. Dans une tribune à vocation prédictive, Ran Halévi,
directeur de recherche au CNRS, nous explique en effet pourquoi «les
professeurs de certitudes sur le “monde d’après”» vont être
démentis. «Au sortir d’une grande crise, écrit-il, l’espoir
de savoir tirer les leçons et de faire perdurer l’esprit de sacrifice
et les solidarités qu’elle avait cimentés se heurte tôt ou tard à la grisaille
des vieilles habitudes et à de nouvelles épreuves.» Comment lui donner
tort sur ce point? Mais il ajoute: «Aux vaticinateurs du “rien ne sera
plus comme avant”, fait écho le peloton des procureurs qui n’ont pas besoin de
tout comprendre pour tout expliquer, puisque la crise valide ce qu’ils savent depuis toujours.
Leur verdict est sans appel : ovation du corps médical qui brave l’épidémie,
proscription des responsables qui n’ont pas su la contenir à défaut de
l’empêcher. Et, déjà, des associations d’indignés dressent des listes de
suspects et commencent à instruire leur procès politique.» Procès
politique ou débat politique? En démocratie, la confrontation lucide et parfois
violente évite aussi d’avoir à se dire, un jour, que là où n’existe plus
l’empreinte mémorielle d’une expérience précédente, le déni peut continuer
d’aveugler jusqu’aux mieux avertis…
Incertitude. Comment ne pas
être révolté, à l’image de l’écrivain Pierre Lemaître, prix Goncourt 2013, qui
déclare: «Alors, je suis très en colère devant ces gens qui, pendant
des années, nous ont donné des leçons et nous ont culpabilisés pour se rendre
compte aujourd’hui que le service public qu’on réclamait, on en avait besoin,
eux en avaient besoin, et la société plus que jamais en avait besoin.» À
ce stade, doit-on croire que, non seulement la pandémie de Covid-19 nous
rappelle à quel point l’avenir nous échappe, mais qu’elle ouvre
potentiellement, malgré tout, la possibilité d’une véritable révolution de
l’esprit? Le philosophe Jean-Luc Nancy pense même qu’elle était déjà en germe,
avant, et que, face à la menace écologique et aux multiples crises minant les
démocraties, les sociétés industrialisées entrevoyaient un inévitable
effondrement. «Sans cette révolution de l’esprit, il ne semblait pas
envisageable de rompre avec les logiques du calcul et de la production, au sens
où le calcul conduit à sortir de ce qu’Aristote visait comme la quête de la
bonne vie – par l’amélioration réfléchie de ce qui existe – et à
rechercher l’augmentation, l’accroissement…» Reconnaissons néanmoins
que, il y a quatre mois, la conscience de ce danger et de cette fuite en avant
du capitalisme n’était pas assez partagée collectivement
– à commencer par tout là-haut, du côté des puissants (sic) –
pour commencer à mettre en œuvre un redressement de la trajectoire. «Comme
il n’était pas possible d’imaginer, autrement que sous le régime de l’utopie,
une révolution économique et sociale», poursuit Jean-Luc Nancy. La
lutte des classes, réelle mais trop assourdie, nous laisse devant une
incertitude. Sachant qu’un effondrement possède une vertu, quelquefois: celle
de nous refonder.
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