mardi 21 février 2023

« Moins de 30 secondes », l’éditorial de Stépane Sahuc dans l’Humanité.



Douze étages, 249 appartements flambant neufs et garantis normes antisismiques… Et, pourtant, la résidence Rönesans s’est effondrée moins de trente secondes après le début du séisme du 6 février, engloutissant des centaines d’habitants. À quelques dizaines de mètres de l’amas de gravats, d’autres bâtiments sont abîmés, mais toujours debout. Terrible acte d’accusation contre le promoteur véreux et avide qui a bâti cette immense tombe.

Et pourquoi s’en serait-il privé? Rien que dans la région dAntakya (Antioche), ce sont des dizaines de milliers d’édifices qui ont été érigés sans tenir compte des normes. Des millions dans le pays. Depuis les années 2000 et l’arrivée au pouvoir du président Recep Tayyip Erdogan, le secteur immobilier fait partie des enfants gâtés du régime. La frénésie immobilière a dopé l’économie turque et, selon un rapport de 2020, le nombre d’entreprises opérant dans ce secteur avait augmenté de 43% en dix ans. Argent facile et sans risque, sauf pour les habitants. Les promoteurs misent sur «lamnistie». Un dispositif de 2018 qui leur permet de ne payer quune simple amende pour des bâtiments qui nauraient jamais dû voir le jour, car enfreignant les règles de sécurité. Des pots-de-vin légaux, en quelque sorte. Plus de 3 millions de logements ont ainsi été régularisés, rapportant quelque 4 milliards d’euros à l’État. Sans le tremblement de terre, rien n’aurait empêché le promoteur de Rönesans de bénéficier, lui aussi, de ce type de dispositif puisque, ironie macabre, le Parlement turc était justement saisi d’une nouvelle loi d’amnistie.

Si rien ne change, on sait d’ores et déjà que le prochain séisme dans ce pays à haut risque sera tout aussi meurtrier. Si un tremblement de terre d’une magnitude de 7,5 touchait Istanbul, 50000 à 200000 bâtiments pourraient s’effondrer et entraîner la mort de centaines de milliers d’habitants, selon les experts. Contre cette corruption légale, le peuple turc a l’occasion de tourner la page Erdogan dès l’élection présidentielle, en mai prochain.

 

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