Dans l’obscur désastre, il y a bien des lueurs de vie
et d’espoir. Comme le visage hagard de ce bébé de 21 jours arraché à la mort
par les sauveteurs après 128 heures sous les gravats. Éphémère lumière : au milieu
des ruines, dans le froid, les rescapés manquent de tout, ils ne savent même plus comment inhumer leurs proches. Une semaine après le puissant séisme
qui a frappé la Syrie et la Turquie, le bilan, toujours provisoire et
probablement sous-estimé, est effroyable : il dépasse les 35 000 morts. Cette
catastrophe se révèle bien plus meurtrière que des séismes passés
de magnitude égale et supérieure, dans des zones à la densité de peuplement
équivalente.
La fatalité géologique, ici, n’explique pas tout.
Depuis qu’il s’est hissé au pouvoir en 2003, et même auparavant, lorsqu’il
était maire d’Istanbul, mégalopole bâtie sur une faille tectonique, Recep
Tayyip Erdogan a fait de la spéculation immobilière l’un des moteurs de son
modèle de développement. En 2013, il avait impitoyablement réprimé le
soulèvement de Gezi Park qui contestait ce choix politique structurant. Les
islamo- affairistes de l’AKP sont liés de longue date aux magnats du BTP, à
tous les échelons politiques, par d’interlopes et juteux intérêts enchevêtrés.
Au mépris du patrimoine, de l’environnement, des règles de
sécurité. L’urbanisme néolibéral défigure, découd et déshumanise partout
les villes ; il offre aux promoteurs d’inépuisables filons de profits
faciles ; il dope la corruption. Dans l’une des zones sismiques les plus
actives au monde, il met en danger d’innombrables vies humaines.
En 2019, en guise de cadeau de campagne électorale,
Recep Tayyip Erdogan était allé jusqu’à faire adopter une loi d’amnistie en
faveur des promoteurs ayant fait construire des immeubles non conformes aux
normes antisismiques. Le gouvernement turc s’empresse aujourd’hui de
pourchasser quelques entrepreneurs véreux dont les bâtiments se sont effondrés
comme des châteaux de cartes. Pour mieux faire oublier son accablante
responsabilité dans le sacrifice de dizaines de milliers de vies ensevelies
sous les décombres.
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