lundi 23 janvier 2023

Fébrilité du pouvoir et coup de force (Patrick Le Hyaric)



De plusieurs sources, on apprend que dans les couloirs des palais gouvernementaux on a été surpris par l’ampleur des mobilisations du jeudi 19 janvier. Preuve supplémentaire de la déconnexion du pouvoir avec les travailleurs et la jeunesse.

Ce jeudi, c’est la France qui travaille dur, celle qui produit réellement les richesses, qui a dit non à une nouvelle régression sociale camouflée derrière le mot « réforme ».

Celles et ceux qui sont descendus dans la rue étaient soutenus par des millions de citoyens qui n’ont pas pu faire grève ou manifester. Toutes celles et ceux, que quelques jours auparavant le président de la République exhortait à refuser « l’irresponsabilité ».

Les ouvriers, les cadres, les habitants des banlieues ou des campagnes, les soignants, les enseignants, les pompiers, les artisans, les policiers qui se retrouvent ensemble refusent une « contre-réforme », injuste et injustifiée au moment même où les détenteurs de hauts revenus financiers battent tous les records, sans cotiser un seul centime aux caisses de protection sociale.

Voilà les authentiques irresponsables.

Pourtant il n’y avait pas de quoi être surpris par l’ampleur de cette mobilisation. Depuis des mois, chaque enquête d’opinion montre qu’une large majorité de nos concitoyens refuse ce coup de poignard. Et, les parlementaires macronistes, comme ceux de la droite des « républicains » devraient se souvenir qu’ils n’ont totalisé que 37% des voix au premier tour des élections législatives et 16% des inscrits.

De nombreux candidats du parti présidentiel ont d’ailleurs été battus parce qu’ils défendaient le recul de l’âge légal de départ en retraite alors que le président de la République avait reconnu, au soir du 12 avril 2022, qu’il était « pleinement conscient que (son élection) ne vaudra pas soutien du projet que je porte et je le respecte. »

Il ne respecte évidemment pas ces paroles. Il renie même ses déclarations du 25 avril 2019 où il affirmait que « tant qu’on n’a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, franchement ça serait assez hypocrite de décaler l’âge légal » de départ à la retraite. Il insistait même : « quand aujourd’hui on est peu qualifié, quand on vit dans une région en difficulté industrielle, quand on est soi-même en difficulté, qu’on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans ».

Pourquoi faire mine d’oublier cet argumentaire aujourd’hui sinon pour mieux servir les ogres de la finance. Pour faire accepter l’inacceptable, quelques ministres seulement sont autorisés à se déployer  sur les plateaux de télévisions pour répéter mensonges et balivernes. « Nous devons convaincre » répète-t-il en cœur. On dirait que les trente-cinq autres ministres ne sont pas eux-mêmes convaincus puisque l’Élysée leur interdit de s’exprimer durant quelques semaines.  

Mais convaincre de quoi au juste ? De pousser une guerre sociale éclair ouvrant la voie à une vie encore plus dure après 60ans et pousser à  la retraite par capitalisation ?  L’argument du financement est faux puisque même M. Pierre-Louis Bras, président du Conseil d’orientation des retraites (COR), auditionné il y a quelques jours par une commission parlementaire, a expliqué que « les dépenses de retraite ne dérapent pas, elles sont relativement maîtrisées… Dans la plupart des hypothèses, elles diminuent plutôt à terme. »

Pourquoi alors une telle précipitation ? Le président du Conseil d’orientation des retraites rappelle régulièrement que le choix du gouvernement est lié au « programme de stabilité» qu’il a communiqué à la Commission de Bruxelles. Dans ce document, le pouvoir s’engage à diminuer les dépenses publiques. C’est pour respecter cet engagement, répondant lui-même aux exigences des traités européens, que le pouvoir engage une épreuve de force contre le peuple pour complaire aux marchés financiers.

Quand ils disent « réduction dépenses publiques » il faut entendre « coupe sombre dans les dépenses sociales ». Car, de l’argent, ils en trouvent énormément pour exonérer de cotisations sociales une partie du capital. Surtout de l’argent, ils vont en trouver pour augmenter d’un tiers le budget militaire.

L’argument du refus « du blocage du pays » sert à préparer le terrain d’un coup de force gouvernemental.

Inscrire une contre-réforme d’une telle importance dans un additif au projet rectificatif de financement de la Sécurité sociale est une manœuvre inqualifiable dans un pays qui se prétend démocratique.

Elle permet au gouvernement d’utiliser un article méconnu de la Constitution, le 47-1 qui indique que « si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance ». De nombreux juristes posent déjà la question de la constitutionnalité d’une telle opération.

Ce poussiéreux article 47-1 est le summum de la caricature de l’autoritarisme de la cinquième République. L’État bourgeois s’est doté des outils pour sécuriser sa classe afin de se débarrasser de la République sociale.

Le bras de fer en cours est bien un aspect de la lutte entre la classe des possédants, des puissances financières et les travailleurs et les générations à venir. Raison de plus pour amplifier encore les mobilisations. Cela peut se faire dans une multitude de discussions autour de soi, dans des réunions, des débats, des tracts et des prises de parole en préparation de la grande journée unitaire du 31 mars prochain. Il est possible d’empêcher ce coup de force.

Patrick Le Hyaric

Le 23 janvier 2023

((Accéder ici au dossier retraite sur la plate-forme numérique de l’Humanité))

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