M. Thibault Lanxade, ancien dirigeant du MEDEF,
président de l’URSSAF vient de commettre un long plaidoyer pour le « dividende
salarié » chez nos
confrères de Libération. Quel est donc le problème qui tenaille ce porte-parole du grand capital ? Une
meilleure rémunération du
travail ? Pas du
tout !
Sa seule question : « Comment réconcilier les Français avec le capital ? » avoue-t-il dans un élan de sincérité qui précise, « Il est temps de rénover le capitalisme ».
Avant lui déjà, Patrick Artus s’inquiétait de « La dernière chance du capitalisme », dans un livre qui déjà fleurait bon la crainte de
voir le monde dominant s’écrouler, si rien n’y changeait.
Pris dans les contradictions mortifères de leur
système, où une majorité de nos concitoyens ne supportent plus que l’argent
issu de la sueur de leur front leur échappe pour s’accumuler loin d’eux à
l’autre pôle de la société, les puissants sentent bien qu’il leur faut chercher
un moyen de perpétuer leur domination tout en donnant le sentiment, qu’ils
l’assouplissent.
Il leur faut donc trouver un subterfuge qui ne change
rien à la récolte de la valeur qu’ils organisent à leur profit tout en donnant
le sentiment que tout change. On pense à la fameuse formule de Tancrède, le
neveu du prince de Salina, dans Le Guépard, le roman de Tomasi di Lampedusa : si nous
voulons que tout demeure en l’état, il faut que tout change et que tout le
monde le croie. En réalité, le « dividende salarié » est un écran de fumée pour ne
pas augmenter la rémunération du travail et contourner le débat sur la taxation des dizaines de milliards d’euros de dividendes qu’empochent les
actionnaires-capitalistes.
Ajoutons que les dix millions de salariés exerçant
dans des entreprises de moins de cinquante salariés, elles-mêmes dépendantes de
la sous-traitance et de multiples fournisseurs liés au grand capital, sont de
fait loin de voir la couleur d’un « dividende ». On sait aussi que de grandes entreprises versant des
dividendes à leurs actionnaires déplacent artificiellement leurs bénéfices vers des sociétés holding tierce rendant très aléatoire les
gains pour les salariés.
La promotion idéologique du fameux « dividende
salarié » se fait au
nom du « partage de
la valeur » qui serait un pas décisif vers
la justice sociale. Mais de quelle valeur et de quel partage parle-t-on ? Celle du « partage du pâté de cheval
et d’alouette » qui camoufle sous les dehors de l’échange harmonieux une disproportion manifeste : le travailleur ne reçoit que les miettes que lui laissent le propriétaire du capital et le banquier en échange de son silence et comme prix de sa soumission !
On voit bien la duperie au cœur de « l’affaire » : la
question de la « valeur » - qui est créée par le travail et par lui seul - n’est toujours abordée qu’après coup, après sa création et en termes de répartition.
Pas un mot sur le lieu et les conditions de sa création. Car on verrait alors
que le véritable enjeu et la vraie justice sont que le créateur de cette « valeur », c’est-à-dire le
travailleur, soit établi comme
souverain sur la production. Qu’il décide de ses conditions et de son sens, et donc du
destin des richesses qui sont le fruit de son travail et donc de sa
rémunération.
Surgit, ici la vraie question : doit-on
continuer à raisonner à partir des réalités du mode de production capitaliste, c’est-à-dire d’une situation dans laquelle les conditions de la
production sont toujours accaparées par les non-travailleurs, que sont les
actionnaires et les propriétaires du capital, tandis que la masse de celles et
ceux qui sont au travail et ceux qui en sont privés, ne possède que leur force
de travail qu’ils doivent vendre sur le fameux « marché du travail » ?
Tant qu’on laisse considérer le travail comme une
marchandise, et non comme le créateur de la richesse, on aboutit à ce que nous
connaissons : l’écrasement permanent de sa rémunération au
nom de la « compétitivité » et de la « concurrence libre » alors que le capital fructifie à partir de l’exploitation, des marchés financiers
et des paradis fiscaux.
Voilà l’enjeu que tente sans cesse de dissimuler les
thuriféraires du capitalisme financiarisé et mondialisé sous la pression de la
demande d’une meilleure rémunération du travail et du rejet que suscite
l’actuelle orgie de dividendes versés aux actionnaires.
M. Lanxade dit tout de son projet de « rénovation » du capitalisme : « La nouvelle sémantique que constituerait le versement
de dividendes aux salariés… serait un marqueur fort de la réconciliation,
d’implication des salariés dans la valeur créée par leur entreprise à laquelle
ils contribuent largement » insiste- t-il. Chaque mot mériterait ici d’être
discuté.
« Réconciliation » est ici que
l’autre mot pour faire croire à une égalité entre le détenteur du capital et celui qui n’a que sa force de travail pour vivre et pour demander aux travailleurs d’accepter leur exploitation.
Or, le monde n’est pas immuable. Plutôt que de
rémunérer d’abord le capital, il est temps de commencer par rémunérer le
travail, dans une société où les conditions concrètes de production seraient la
propriété de celles et ceux qui en ont l’usage, celles et ceux qui font fonctionner
la société.
Ce qui revient à dire que les travailleurs seraient
souverains sur leur travail. Sur ce qui est utile - ou inutile - à la société.
C’est le seul moyen de guérir le travail et de préserver la vie et la nature.
C’est aussi le seul moyen d’assurer une sécurité
sociale élargie puisque la rentabilité des dividendes aux actionnaires n’est
pas prise en considération dans la détermination du niveau des pensions et des
retraites, de l’allocation chômage, de l’indemnité de licenciement ou même de
l’abondement du budget des comités économique et social.
L’idée de dividendes salariés est bien un leurre
contre l’augmentation des salaires et de la protection sociale. Tout pousse à
mobiliser largement pour l’augmentation des rémunérations, le développement de
nouveaux services publics et un nouvel âge d’une protection sociale élargie. Ce
sont ces exigences que porte la multiplicité des combats en cours !
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