Le musée de Grenoble a invité quatre artistes
contemporains sur une thématique nous rappelant que nous sommes faits de la
même chair que le monde. Maurice
Ulrich
Sans doute l’artiste espagnole Cristina Iglesias
pourrait-elle se reconnaître, si ce n’est pas déjà le cas, dans ces vers de
Baudelaire : « La Nature est un temple où de vivants piliers/Laissent parfois sortir de
confuses paroles/L’homme y passe à travers des forêts de symboles/Qui l’observent avec des regards familiers. » C’est bien, quoi qu’il
en soit, le sentiment que suscite au musée des Beaux-Arts de Grenoble, dans le
cadre de l’exposition « De la nature », son installation, du moins à
l’intérieur. L’extérieur se présente comme une sorte de grande chambre forte de
béton ou ce qui en semble. L’intérieur présente un ensemble de colonnes,
sculptées de mille formes végétales et organiques, suintantes d’eau et qui ne
sont pas sans rappeler les grottes rococo ou plus exactement rocaille du
XVIIIe siècle. On s’y déplace comme dans un corps vivant et murmurant.
Baudelaire, mais Dante aussi. Exposée à Grenoble en 2016, représentant
l’Espagne aux 42e et 45e Biennales de Venise, Cristina Iglesias a été
invitée aux côtés de Philippe Cognée, Wolfgang Laib et Giuseppe Penone.
Quatre artistes, déjà honorés à Grenoble avec des
monographies, aux œuvres très différentes, pour une même thématique. Guy
Tosatto, directeur du musée, l’assume et même le revendique. Il s’agit,
dit-il, « de rendre perceptible la diversité des approches, des vécus et des visions, ce qui constitue, bien que l’homme soit de plus en plus un animal urbain, notre
milieu d’origine ». Et
cela, bien évidemment, dans une période où notre rapport à notre environnement
se pose d’une manière aiguë comme jamais. Cocommissaire de l’exposition, Sophie
Bernard cite à ce propos le philosophe Maurice Merleau-Ponty, qui se
disait « fait de la même chair que le monde ». On ne saurait l’oublier, pour notre survie même.
un monde végétal, plus ressenti que
regardé
Philippe Cognée est peintre. Connu pour son procédé de
« floutage » de ses
grandes peintures d’immeubles, d’abattoirs, il s’est aussi tourné vers les
paysages, les rendant avec force. Plus récemment, il s’est consacré aux fleurs, sur des toiles de grandes
dimensions. Ce n’est pas tant la beauté qui en ressort, mais plutôt
l’étrangeté du vivant avec peut-être la même angoisse que celle du personnage
de Sartre, dans la Nausée, devant une racine d’arbre. Ses
autres peintures, peupliers, pâtés de sable, suscitent un sentiment de déjà-vu,
mais comme un rêve rerêvé.
Wolfgang Laib a fait des pollens la matière de ses
œuvres et de leur récolte une discipline de patience et d’ascèse, assez
semblable à une forme de méditation. Cela donne ici, dans une seule salle,
comme un tapis jaune aux bords flous, dégageant un sentiment de légèreté et de
fugacité, de risque au moindre souffle de dispersion. Dans une salle en
vis-à-vis, un long panneau semble un monochrome d’un gris très clair. En
réalité, il vit de fragiles inscriptions blanches, comme un murmure là aussi. À
cela s’oppose, ou correspond, un gros bloc ovoïde de granit noir au sol.
Giuseppe Penone vient du mouvement italien de l’arte
povera. On découvre ici des figures mi-végétales mi-humaines apparaissant dans
un espace herbeux et arboré, mais aussi de très grands dessins de troncs et de
branches, réalisés avec des frottages de feuilles et d’écorces, dans une
quasi-monochromie semblant nous entraîner réellement dans un monde végétal,
plus ressenti que regardé. « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. » Le poème de Baudelaire Correspondances, dans les
Fleurs du mal.
Jusqu’au 19 mars 2023, à Grenoble.
Rens. : museedegrenoble.fr. Catalogue-coffret édité par Liénart et musée de Grenoble, 40 euros.
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