mercredi 9 novembre 2022

Correspondances et visions de la nature.



Le musée de Grenoble a invité quatre artistes contemporains sur une thématique nous rappelant que nous sommes faits de la même chair que le monde. Maurice Ulrich

Sans doute l’artiste espagnole Cristina Iglesias pourrait-elle se reconnaître, si ce n’est pas déjà le cas, dans ces vers de Baudelaire: «La Nature est un temple où de vivants piliers/Laissent parfois sortir de confuses paroles/Lhomme y passe à travers des forêts de symboles/Qui lobservent avec des regards familiers.» C’est bien, quoi qu’il en soit, le sentiment que suscite au musée des Beaux-Arts de Grenoble, dans le cadre de l’exposition « De la nature », son installation, du moins à l’intérieur. L’extérieur se présente comme une sorte de grande chambre forte de béton ou ce qui en semble. L’intérieur présente un ensemble de colonnes, sculptées de mille formes végétales et organiques, suintantes d’eau et qui ne sont pas sans rappeler les grottes rococo ou plus exactement rocaille du XVIIIe siècle. On s’y déplace comme dans un corps vivant et murmurant. Baudelaire, mais Dante aussi. Exposée à Grenoble en 2016, représentant l’Espagne aux 42e et 45e Biennales de Venise, Cristina Iglesias a été invitée aux côtés de Philippe Cognée, Wolfgang Laib et Giuseppe Penone.

Quatre artistes, déjà honorés à Grenoble avec des monographies, aux œuvres très différentes, pour une même thématique. Guy Tosatto, directeur du musée, l’assume et même le revendique. Il s’agit, dit-il, «de rendre perceptible la diversité des approches, des vécus et des visions, ce qui constitue, bien que lhomme soit de plus en plus un animal urbain, notre milieu d’origine». Et cela, bien évidemment, dans une période où notre rapport à notre environnement se pose d’une manière aiguë comme jamais. Cocommissaire de l’exposition, Sophie Bernard cite à ce propos le philosophe Maurice Merleau-Ponty, qui se disait «fait de la même chair que le monde». On ne saurait l’oublier, pour notre survie même.

un monde végétal, plus ressenti que regardé

Philippe Cognée est peintre. Connu pour son procédé de «floutage» de ses grandes peintures dimmeubles, dabattoirs, il sest aussi tourné vers les paysages, les rendant avec force. Plus récemment, il sest consacré aux fleurs, sur des toiles de grandes dimensions. Ce n’est pas tant la beauté qui en ressort, mais plutôt l’étrangeté du vivant avec peut-être la même angoisse que celle du personnage de Sartre, dans la Nausée, devant une racine d’arbre. Ses autres peintures, peupliers, pâtés de sable, suscitent un sentiment de déjà-vu, mais comme un rêve rerêvé.

Wolfgang Laib a fait des pollens la matière de ses œuvres et de leur récolte une discipline de patience et d’ascèse, assez semblable à une forme de méditation. Cela donne ici, dans une seule salle, comme un tapis jaune aux bords flous, dégageant un sentiment de légèreté et de fugacité, de risque au moindre souffle de dispersion. Dans une salle en vis-à-vis, un long panneau semble un monochrome d’un gris très clair. En réalité, il vit de fragiles inscriptions blanches, comme un murmure là aussi. À cela s’oppose, ou correspond, un gros bloc ovoïde de granit noir au sol.

Giuseppe Penone vient du mouvement italien de l’arte povera. On découvre ici des figures mi-végétales mi-humaines apparaissant dans un espace herbeux et arboré, mais aussi de très grands dessins de troncs et de branches, réalisés avec des frottages de feuilles et d’écorces, dans une quasi-monochromie semblant nous entraîner réellement dans un monde végétal, plus ressenti que regardé. «Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.» Le poème de Baudelaire Correspondances, dans les Fleurs du mal.

Jusqu’au 19 mars 2023, à Grenoble. Rens.: museedegrenoble.fr. Catalogue-coffret édité par Liénart et musée de Grenoble, 40 euros.

 

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