jeudi 20 octobre 2022

« Symptôme », l’éditorial de Laurent Mouloud dans l’Humanité.



Pourquoi ces tweets? En publiant, mardi, journée de mobilisation syndicale, des messages plaintifs sur sa «fatigue» d’être sans cesse mis en accusation pour l’augmentation stratosphérique de sa rémunération (+ 52 %), le patron de Total, Patrick Pouyanné, a enflammé les réseaux sociaux. Après plus de quinze jours de débrayage dans les raffineries, voilà notre multimillionnaire, sur des airs de Calimero, justifiant au nez des grévistes le fait de gagner en une année l’équivalent de 300 années de Smic… Une provocation tellement invraisemblable qu’on ne peut que s’interroger sur son sens réel. Comment ce grand patron à la parole millimétrée, cerné par une armée de communicants, a-t-il pu se tirer ainsi une balle dans le pied?

Tout simplement parce que ces tweets lunaires sont bien plus qu’un dérapage, mais plutôt un symptôme. Celui de dirigeants d’entreprise hors-sol, tout-puissants, méprisant autant les souffrances sociales que les conséquences environnementales de leurs juteux business. Des ­dirigeants dont la priorité sera toujours de faire passer l’intérêt de l’actionnariat – dont ils font partie et tirent la majorité de leurs revenus – avant celui des salariés et des concitoyens. On le voit dans ce conflit. Comme on l’a vu en 2020, lorsque Patrick Pouyanné résumait ainsi, sourire aux lèvres, son scepticisme face à la lutte contre le réchauffement climatique: « Les actionnaires, ce qu’ils veulent surtout s’assurer, c’est de la durabilité de nos dividendes…» C’est clair, on ne peut guère attendre plus que du cynisme de la part de ces gens-là.

Cette arrogance ne s’exprime pas par ­hasard. Elle prend ses aises à mesure que recule la puissance publique. Patrick Pouyanné peut se sentir légitime à étaler son indécence tant le gouvernement fait tout pour le légitimer, refusant la moindre taxe sur les superprofits, évitant toute pression sur la direction du pétrolier, dégainant les réquisitions pour mieux écraser la grève. L’impunité se nourrit de cette soumission aux intérêts privés, au détriment de l’intérêt général. Notre twitto  «fatigué» mène un combat politique. D’autant plus aisé que la Macronie reste son alliée.

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