« Est-il une jouissance plus douce que de
voir un peuple entier se livrer à la joie un jour de fête et tous les cœurs
s’épanouir aux rayons suprêmes du plaisir qui passe rapidement, mais vivement à
travers les nuages de la vie ». On croirait ces mots de Jean-Jacques Rousseau dans « Les rêveries du promeneur solitaire » écrits
pour décrire la Fête de l’Humanité. Cette fête qui, où qu’elle se déroule, fait
honneur au sens profond du mot « humanité ». Un mot-projet pour chacune et
chacun des passagers de la planète bleue. L’attrait de cette fête inventée par
Marcel Cachin, la force et la fidélité de ses actrices et acteurs tout aussi
déterminés que tranquilles, tout aussi unis et combatifs, tout aussi cultivés
et emplis de la soif de savoir et de comprendre, sont tels que ses
participants, ses militants, ses co-constructeurs, sa jeunesse s’y retrouvent
même lorsqu’elle est contrainte de se déplacer du parc Georges Valbon au cœur
des quartiers populaires de La Courneuve, Dugny, Stains, Le Bourget vers ceux du
cœur de l’Essonne.
Que dis-je ! Ce sont ses visiteurs qui
donnent sa vie à la Fête, ses couleurs et ses senteurs, sa poésie, sa
musicalité qui mêle culture et idées, solidarité internationaliste et rêves
d’avenir.
Rien n’y fait ! Les fluctuations
météorologiques et la danse des nuages aux cent nuances de gris et de bleu sont
venues signifier que la fête faisait la charnière entre un été brûlant et le
solstice d’automne. Même pluvieuse, la fête est heureuse. Riches d’une pluie
d’expositions, de théâtre, de cinéma, de livres, de musique, de grands
concerts, d’éducation populaire, de débats qui ont rayonné comme le soleil du
dimanche. Un lieu en friche depuis des années s’est réveillé avec la Fête de
l’Humanité. La base 217 où l’avion supersonique le Concorde s’entraînait est
devenue une ville vibrante de culture et de rêve, de débats et de combats.
Les caprices météorologiques importaient
peu puisque nous nous rassemblions pour nous livrer au doux sentiment d’un
bonheur partagé par plusieurs centaines de milliers d’hommes, de femmes et de
jeunes, actrices, acteurs joyeux d’une fête à nulle autre pareille dans un
cocktail où se mélangent poésie et politique, aspirations populaires et goût
d’un autre avenir. Alors que les télévisions étaient saturées d’un deuil
attristant le Royaume-Uni et d’autres drames douloureux provoqués par la folle
guerre que livre la Russie de Poutine à l’Ukraine, nous y avons fait vivre la
république de l’humanité. Une république communiste, parce qu’ouverte, diverse,
sensible, opposée à l’obscurité du renfermement monarchique et des nombreuses
guerres qui ensanglantent le monde. Le combat pour gagner la paix et la
sécurité humaine a retenti aux quatre coins de la fête jusqu’à ces magnifiques
rencontres entre militants pacifistes et démocrates russes et ukrainiens.
Une grande ville au milieu des villes de
« Cœur d’Essonne », devenue l’épicentre de la fermentation d’un mouvement
mondial pour la paix et le désarmement, à l’opposé du capitalisme mondialisé
qui se militarise si dangereusement qu’il pourrait produire une déflagration
générale fatale.
Avec les inquiétants dérèglements climatiques
et l’assèchement de la biodiversité, ces combats parcouraient les allées
comme une nécessité politique de première importance par-delà les situations et
les opinions. À bien y réfléchir, que valent en effet les basses polémiques,
les chamailleries artificielles, les déraisons se déversant sur des réseaux
devenus « a-sociaux », quand on tremble pour l’avenir des générations
futures ; quand les enjeux sont existentiels pour notre humanité commune.
Les affronter appelle l’unité populaire
en désignant les responsables qui entendent poursuivre leurs folles courses aux
armements et leurs guerres, surexploiter les hommes et la nature pour tenter de
sauver leur système régi par la loi du plus fort et la loi de l’argent-roi.
L’enfant du Yémen comme celui de Marioupol qui se trouve sous les bombes
russes, celui qui n’a plus les moyens de vivre au Sénégal ou au Mali, celui du
Soudan ou d’Irak qui ne voit devant lui que des murs, la jeune fille afghane
enfermée dans une cage vestimentaire, interdite de se former, celui du Pakistan
sous les eaux, celui qui est affamé en Érythrée ou en Somalie, celui des
quartiers de La Courneuve, de Grigny ou de la banlieue de Londres discriminé à
qui on ne promet ni travail ni retraite , celle et celui qui vit dans un quartier
populaire de Chicago que le racisme étouffe, celles et ceux qui de Pékin
à Moscou, de Ramallah à Sao Paulo réclament plus de démocratie et de
liberté ; tous ont un avenir commun à construire. Une sécurité humaine
commune à inventer, éloignant guerres et réchauffement climatique, stoppant la
concurrence de tous contre tous, l’uniformisation de la culture et l’éducation
au rabais, mettant fin au pillage du travail et de la nature, faisant de la
femme l’égal de l’homme, éliminant à jamais le racisme(1).
Leur avenir, leur réalisation ont besoin
d’un autre monde. Un monde dans lequel on abat tous les murs pour bâtir des
ponts.
C’est à ce chantier d’émancipation que
contribue la Fête de l’Humanité. Partout, des espaces du Forum social à ceux du
Conseil national du Parti communiste, de l’Agora au Village du Monde le besoin
d’unité s’est exprimé pour défendre un travail émancipé de la domination
qu’exerce aujourd’hui sur lui la propriété privée des grands groupes
capitalistes. Celui qui donne sens commun aux activités en répondant d’abord
aux besoins humains et environnementaux.
Un travail, dont la rémunération pour le
travailleur ne devrait pas être le reliquat de ce que veut bien lui laisser le
propriétaire, l’actionnaire et les marchés après avoir largement rémunéré
le capital. Au contraire c’est d’abord le travail qu’il faudrait rémunérer tout
en élargissant le salaire continué.
Ce combat unit dans leurs diversités les
travailleurs et les privés d’emploi qui doivent bénéficier des conquis
d’essence communiste que sont le salaire rattaché à un statut et les
dispositifs de protection contre les accidents de la vie. Ces spécificités,
notre pays les doit pour beaucoup à la créativité et aux lois qu’ont fait
adopter les ministres Ambroise Croizat et Maurice Thorez.
C’est à elles que depuis des décennies
les forces du capital s’attaquent. À elles que le pouvoir macronien veut porter
un coup fatal en laminant le système d’allocations chômage et en testant une
nouvelle contre-réforme des retraites. Les composantes de la coalition de
gauche, de la Nupes et au-delà, les responsables syndicaux ont amplement
exprimé ensemble leur détermination à s’y opposer en préparant les
mobilisations de cette fin du mois de septembre et en envisageant d’en prendre
d’autres au mois d’octobre. L’espace du forum social en a résonné.
Laboratoire à ciel ouvert des idées et
des projets de transformation sociale, la Fête aura été un lieu de combat
contre les droites et les menaçantes forces d’extrême droite proto-fascistes
qui gagnent du terrain en Suède, en Italie et ne l’oublions jamais aussi chez
nous.
Les haines, le racisme, l’antisémitisme
sont étrangers à l’Humanité. La Fête c’est l’ouverture des cœurs et des
esprits. Elle a brillé d’une multitude d’étincelles d’espoir, dans un
va-et-vient entre musiques, discussions et la controverse publique qui permet à
chacune et chacun de s’exprimer en toute liberté et de se forger une opinion,
au contact de toutes les cultures et des idées neuves qui se cherchent.
À la Fête de l’Humanité, on marche de l’espace
Jack Ralite à l‘allée Louis Aragon vers la rue Louis Viannet. On voyage de la
scène Angela Davis à l’avenue Olympe de Gouges, des scènes Nina Simone ou
Joséphine Baker aux rues Nelson Mandela ou Shirin Ebadi, qui permettent de
rejoindre celle qui porte le nom de notre compatriote franco-palestinien,
l’avocat Salah Hamouri, parallèle à la rue Rosa Luxembourg.
Toutes ces figures qui incarnent le
combat pour l’émancipation humaine dans le monde, son histoire, sa géographie,
sa culture, ses espoirs. Une fois encore, en contrepoint d’un système
médiatique imposant ses thèmes réactionnaires dans une affreuse pensée unique,
la Fête aura révélé la soif d’idées, de repères progressistes, d’éléments de
compréhension qui ont parcouru plus de trois cents débats. S’y sont entremêlés
les grands défis de la paix, du progrès social, environnemental et
démocratique. Bref, les grands enjeux anthropologiques et environnementaux de
notre époque, à prendre à bras le corps comme point de départ et ambition d’un
processus communiste, ici et maintenant.
Cela résonne tant avec la description de
la fête de Jean-Jacques Rousseau dans sa lettre à d’Alembert : « Il est vif et gai, caressant ; son cœur est alors dans ses yeux,
comme il est toujours sur ses lèvres ; il cherche à communiquer sa joie et ses
plaisirs ; Toutes les sociétés n’en font qu’une, tout devient commun à tous… »
Patrick Le Hyaric
14 septembre 2022
(1)Voir mon livre, Les raisons de la guerre en Ukraine. Pour une sécurité humaine
globale.
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