La convocation, le 4 octobre, des
acteurs du septième art pour renégocier la chronologie des médias, à peine neuf
mois après la signature du précédent accord, met la filière en émoi. Un appel à
des états généraux du cinéma est lancé pour le 6 octobre.
Le cinéma a un gros coup de mou. Et ce n’est pas la menace de Disney de ne pas sortir en salles Black Panther 2, pour le réserver à sa plateforme, qui va lui redonner le moral. « La chronologie des médias nous contraint à évaluer nos sorties en salles film par film. Nous n’avons pas encore pris de décision quant à la sortie de Black Panther 2 en salles pour la France », a expliqué la filiale française de la multinationale du divertissement à l’hebdomadaire le Film français. Avant de poursuivre : « Nous attendons avec impatience la nécessaire réouverture des négociations pour contribuer à établir une feuille de route lisible, afin de faire évoluer la chronologie des médias vers une approche plus en phase avec les attentes et les pratiques des consommateurs. »
Consommateurs,
le mot est lâché. Disney ne veut pas de spectateurs mais de clients. « Il y a une volonté de casser les espaces de pratique culturelle collective. Le cinéma n’est pas une pratique solitaire mais une
pratique sociale », défend le député communiste Pierre Dharréville. « On flatte une consommation un peu
morbide, où il faut satisfaire tous les besoins, tout le temps, très vite. La
chronologie des médias, c’est aussi un débat philosophique, comment on
consomme, quelle éthique de consommation », revendique Romain Blondeau, producteur et
auteur du très bel essai Netflix, l’aliénation en série (coll.
« Libelle », Seuil). L’ultimatum a produit l’effet escompté puisque les signataires de l’accord interprofessionnel sur la chronologie des médias, signé le 24 janvier, se retrouvent pour la
clause de revoyure. Prévue en janvier 2023, le temps d’évaluer ses effets, la
réunion a été avancée au 4 octobre.
une
réglementation qui Protège ceux qui contribuent au financement du cinéma
français
La menace n’est
pas prise à la légère par la filière, puisque Disney a déjà réservé
l’exclusivité de son film de Noël, Avalonia, l’étrange voyage, à sa
plateforme Disney +. Dans les autres territoires, il sortira bien en salles. Le
premier volet de Black Panther avait réalisé 3,2 millions
d’entrées en France et 1,3 milliard de dollars de recettes dans le monde.
Dans l’écosystème du cinéma français, qui repose sur la mutualisation et la
redistribution via le CNC (Centre national de la cinématographie et de l’image
animée), le potentiel manque à gagner pour la filière n’est pas anodin. Sur les
réseaux sociaux, les fans défendent leur super-héros en mettant en cause le
conservatisme du septième art français. Disney, non signataire de l’accord,
comme Amazon Prime Video, doit attendre dix-sept mois après la sortie en salles
pour diffuser les films sur sa plateforme, contre quinze mois pour Netflix,
signataire. En France, 200 films par an sont produits en moyenne. Avec une
diversité que le monde entier nous envie.
En effet, la
chronologie des médias a pour but de protéger les salles mais aussi les
diffuseurs qui contribuent au financement du cinéma français. Plus l’opérateur
paie, plus il peut diffuser des films rapidement après la sortie en
salles. « La chronologie des médias est conçue pour empêcher la privatisation des œuvres. Les
rendre accessibles à tous, c’est multiplier les supports et les possibilités
pour le public d’y avoir accès », rappelle Pauline Ginot, déléguée générale de l’Acid (Association du cinéma
indépendant pour sa diffusion). La vidéo à la demande (VOD) est possible au
bout de quatre mois. Canal Plus et OCS doivent patienter six mois après la
sortie en salles. Netflix, qui s’est engagé à dépenser 40 millions d’euros
pour financer le cinéma, soit 4 % de son chiffre d’affaires français,
bénéficie d’une fenêtre de quinze mois. Dans un communiqué, l’entreprise
s’était félicitée de la signature de l’accord : « Il constitue une nouvelle étape dans notre intégration au sein de l’écosystème cinématographique français. Cela reflète notre démarche constructive tout au long des
négociations sur la réforme de l’audiovisuel. » Pour les chaînes de télévision gratuites,
le délai monte à vingt-deux mois. Pourquoi une revoyure si rapide alors que l’accord a été signé en janvier sans qu’on puisse en mesurer les effets ? En coulisse, il se dit que Disney se serait vu promettre une fenêtre de
douze mois. « L’agenda politique est déterminé par les multinationales américaines. On a négocié assez durement pour arriver à un accord qui a ses limites mais permet de maintenir un cadre plutôt
vertueux pour les partenaires historiques du cinéma français. Ce retour à la
table des négociations est une forme de brutalité. Renégocier à peine quelques
mois après un accord est toujours fragilisant », s’agace Romain Blondeau.
le prix des
places est l’un des principaux freins au retour en salles
Au
31 août, les cinémas totalisaient 97,58 millions d’entrées depuis le
début de l’année, soit 30 % de moins qu’à la même période en 2019. La
semaine dernière, au congrès de la FNCF (Fédération nationale des cinémas
français), des voix se sont élevées pour réclamer une offre plus alléchante, déplorer
un cinéma français en manque d’idées et appeler à la création de franchises
françaises. « Vouloir rivaliser avec le cinéma américain est une erreur stratégique. Notre champion industriel est
le cinéma d’auteur, notre exception culturelle. En trois ans, on a eu un ours
d’or, un lion d’or, un lion d’argent, une palme d’or. Je ne suis pas sûr qu’en
produisant des franchises, on y arrive. Qu’une partie croissante de l’industrie
épouse le vocabulaire des plateformes, c’est réel. Mais ce n ’est pas représentatif du reste
de la production française », tempère Romain Blondeau.
Selon une étude du CNC, le prix des places
– 7,04 euros en moyenne – est l’un des principaux freins au retour en
salles. Mais ce montant ne veut pas dire grand-chose au regard des disparités. « La question du prix ne peut pas être mise sous le tapis, explique
Pauline Ginot. Il y a une immense diversité des tarifs. Les plus bas sont
pratiqués par les cinémas d’art et d’essai. Ce sont aussi les plus vertueux avec leur travail d’éducation artistique et culturelle. C’est ainsi, et en montrant des films
exigeants, qu’on fera du lien et pas en restant dans une course contre la
montre technologique où on sera toujours dépassés. »
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