mardi 27 septembre 2022

La clé de voûte de l’exception culturelle (Michaël Mélinard)



La convocation, le 4 octobre, des acteurs du septième art pour renégocier la chronologie des médias, à peine neuf mois après la signature du précédent accord, met la filière en émoi. Un appel à des états généraux du cinéma est lancé pour le 6 octobre.

Le cinéma a un gros coup de mou. Et ce n’est pas la menace de Disney de ne pas sortir en salles Black Panther 2, pour le réserver à sa plateforme, qui va lui redonner le moral. «La chronologie des médias nous contraint à évaluer nos sorties en salles film par film. Nous navons pas encore pris de décision quant à la sortie de Black Panther 2 en salles pour la France», a expliqué la filiale française de la multinationale du divertissement à l’hebdomadaire le Film français. Avant de poursuivre: «Nous attendons avec impatience la nécessaire réouverture des négociations pour contribuer à établir une feuille de route lisible, afin de faire évoluer la chronologie des médias vers une approche plus en phase avec les attentes et les pratiques des consommateurs.»

Consommateurs, le mot est lâché. Disney ne veut pas de spectateurs mais de clients. «Il y a une volonté de casser les espaces de pratique culturelle collective. Le cinéma nest pas une pratique solitaire mais une pratique sociale», défend le député communiste Pierre Dharréville. «On flatte une consommation un peu morbide, où il faut satisfaire tous les besoins, tout le temps, très vite. La chronologie des médias, c’est aussi un débat philosophique, comment on consomme, quelle éthique de consommation», revendique Romain Blondeau, producteur et auteur du très bel essai Netflix, l’aliénation en série (coll. «Libelle», Seuil). Lultimatum a produit leffet escompté puisque les signataires de laccord interprofessionnel sur la chronologie des médias, signé le 24 janvier, se retrouvent pour la clause de revoyure. Prévue en janvier 2023, le temps d’évaluer ses effets, la réunion a été avancée au 4 octobre.

une réglementation qui Protège ceux qui contribuent au financement du cinéma français

La menace n’est pas prise à la légère par la filière, puisque Disney a déjà réservé l’exclusivité de son film de Noël, Avalonia, l’étrange voyage, à sa plateforme Disney +. Dans les autres territoires, il sortira bien en salles. Le premier volet de Black Panther avait réalisé 3,2 millions d’entrées en France et 1,3 milliard de dollars de recettes dans le monde. Dans l’écosystème du cinéma français, qui repose sur la mutualisation et la redistribution via le CNC (Centre national de la cinématographie et de l’image animée), le potentiel manque à gagner pour la filière n’est pas anodin. Sur les réseaux sociaux, les fans défendent leur super-héros en mettant en cause le conservatisme du septième art français. Disney, non signataire de l’accord, comme Amazon Prime Video, doit attendre dix-sept mois après la sortie en salles pour diffuser les films sur sa plateforme, contre quinze mois pour Netflix, signataire. En France, 200 films par an sont produits en moyenne. Avec une diversité que le monde entier nous envie.

En effet, la chronologie des médias a pour but de protéger les salles mais aussi les diffuseurs qui contribuent au financement du cinéma français. Plus l’opérateur paie, plus il peut diffuser des films rapidement après la sortie en salles. «La chronologie des médias est conçue pour empêcher la privatisation des œuvres. Les rendre accessibles à tous, c’est multiplier les supports et les possibilités pour le public d’y avoir accès», rappelle Pauline Ginot, déléguée générale de l’Acid (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion). La vidéo à la demande (VOD) est possible au bout de quatre mois. Canal Plus et OCS doivent patienter six mois après la sortie en salles. Netflix, qui s’est engagé à dépenser 40 millions d’euros pour financer le cinéma, soit 4 % de son chiffre d’affaires français, bénéficie d’une fenêtre de quinze mois. Dans un communiqué, l’entreprise s’était félicitée de la signature de l’accord: «Il constitue une nouvelle étape dans notre intégration au sein de l’écosystème cinématographique français. Cela reflète notre démarche constructive tout au long des négociations sur la réforme de l’audiovisuel.» Pour les chaînes de télévision gratuites, le délai monte à vingt-deux mois. Pourquoi une revoyure si rapidealors que laccord a été signé en janvier sans quon puisse en mesurer les effets? En coulisse, il se dit que Disney se serait vu promettre une fenêtre de douze mois. «Lagenda politique est déterminé par les multinationales américaines. On a négocié assez durement pour arriver à un accord qui a ses limites mais permet de maintenir un cadre plutôt vertueux pour les partenaires historiques du cinéma français. Ce retour à la table des négociations est une forme de brutalité. Renégocier à peine quelques mois après un accord est toujours fragilisant», s’agace Romain Blondeau.

le prix des places est l’un des principaux freins au retour en salles

Au 31 août, les cinémas totalisaient 97,58 millions d’entrées depuis le début de l’année, soit 30 % de moins qu’à la même période en 2019. La semaine dernière, au congrès de la FNCF (Fédération nationale des cinémas français), des voix se sont élevées pour réclamer une offre plus alléchante, déplorer un cinéma français en manque d’idées et appeler à la création de franchises françaises. «Vouloir rivaliser avec le cinéma américain est une erreur stratégique. Notre champion industriel est le cinéma d’auteur, notre exception culturelle. En trois ans, on a eu un ours d’or, un lion d’or, un lion d’argent, une palme d’or. Je ne suis pas sûr qu’en produisant des franchises, on y arrive. Qu’une partie croissante de l’industrie épouse le vocabulaire des plateformes, c’est réel. Mais ce n ’est pas représentatif du reste de la production française», tempère Romain Blondeau.

Selon une étude du CNC, le prix des places – 7,04 euros en moyenne – est l’un des principaux freins au retour en salles. Mais ce montant ne veut pas dire grand-chose au regard des disparités. «La question du prix ne peut pas être mise sous le tapis, explique Pauline Ginot. Il y a une immense diversité des tarifs. Les plus bas sont pratiqués par les cinémas dart et dessai. Ce sont aussi les plus vertueux avec leur travail d’éducation artistique et culturelle. Cest ainsi, et en montrant des films exigeants, qu’on fera du lien et pas en restant dans une course contre la montre technologique où on sera toujours dépassés.»

 

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