Il y a longtemps eu un doute sur le fait que l’hymne
de la résistance italienne, entonné dans le monde entier, l’ait bien été par
les partisans. Des preuves le confirment désormais…
L’air n’a rien d’un chant de messe. Et pourtant, c’est un curé du centre de l’Italie qui a rédigé un opuscule qui apporte la preuve que Bella Ciao, qui a fait le tour du monde, a bel et bien été chanté par les résistants. En juillet 1945, quelques mois après la Libération, don Otello Marcaccini publie la brochure les Représailles allemandes à Poggio San Vicino, un hameau des Marches. Il y raconte le massacre, le 1er juillet 1944, de quatre habitants par les nazis. Père Otello écrit que les villageois « assistent comme ils peuvent les partisans ». Et que leurs enfants « sont toujours au milieu des résistants, leur rendent de petits services, s’enthousiasment et répètent leurs chansons de bataille : “Et si je meurs en patriote/Bella ciao, ciao, ciao” ».
Voilà la première trace écrite de Bella Ciao, dont
les origines demeuraient troubles. Elle a été exhumée par l’historien
communiste Ruggero Giacomini dans son livre non traduit Bella Ciao.
L’histoire définitive de la chanson partisane qui, des Marches, a conquis le
monde entier. Car, même à gauche, certains estimaient que l’hymne
était né dans l’immédiat après-guerre, qu’il avait peu de liens avec la
résistance. D’autres historiens n’en faisaient qu’un chant marginal clamé
uniquement par les brigades actives dans les zones bolognaises et modénoises,
ou par des anarchistes dans les Abruzzes. En tout cas, on n’en décèle nulle
trace dans les anthologies de chants de la résistance publiées dans les années
1940.
La première trace écrite a été exhumée par l’historien
communiste Ruggero Giacomini.
Les paroles de cette version ne sont pas celles
d’aujourd’hui « Et si je meurs en partisan/Je suis prêt à mourir ». Dans l’Humanité
Dimanche du 5 août 2021, Ruggero Giacomini expliquait que c’est
la brigade Maiella qui a diffusé le chant. Ce bataillon « vient des Abruzzes », plus au sud. Ensuite, il « passe dans la zone des
Marches à l’été 1944, participe à la libération de Cingoli, de Pozzo San Vicino et se mêle à la population locale.
Elle reprend la chanson, l’adapte d’une certaine manière et l’amène plus au
nord, en Émilie », autour de Bologne. Ainsi, selon l’auteur, la chanson qui clame
l’histoire de cet homme qui, « un matin, (s’est) levé et a
trouvé l’envahisseur » et en a informé sa belle à qui il a dit « ciao » pour rejoindre les partisans a connu une
première extension.
L’histoire ne dit pas si l’un des enfants observés par
don Otello a participé au Festival mondial de la jeunesse, à Prague, en 1947,
où se rassemblaient communistes et progressistes venus de partout. Car on sait
que d’anciens résistants y ont entonné Bella Ciao. De là, le chant
est parti à la conquête du monde. Mais, avant la découverte de Ruggero
Giacomini, il fallait jusqu’alors attendre 1953 pour en observer la première
trace écrite, dans la revue la Lapa. Elle n’est pas encore une
chanson à succès. Le très complet recueil de Chants politiques
italiens, publié en 1962 par les Editori riuniti, la maison d’édition
du Parti communiste italien, n’en fait pas mention.
Des rizières du pô à l’anti-G8 de gênes
À l’époque, c’est encore Fischia il vento, « le vent souffle », chanté sur l’air soviétique de Katiouchka, qui est plus
populaire. Mais en promettant de partir à la « conquête du printemps rouge » pour faire advenir le « soleil de l’avenir », c’est-à-dire
le socialisme, elle est trop clivante. Bella Ciao, moins
politique, qui s’en prend à « l’envahisseur » nazi, interprétée en 1963 par un Yves Montand
aux origines toscanes, s’imposera peu à peu, car acceptée par les
démocrates-chrétiens et socialistes qui, eux aussi, participèrent à la
résistance.
Elle résonne dans les luttes de la péninsule. Chant de
manifestation, chant des femmes dans les rizières du Pô, elle est réinterprétée
dans les années 1990 comme une ballade irlandaise par le groupe italien Modena
City Ramblers. Avec cette version, elle séduit par son effet d’entraînement
dans les rassemblements altermondialistes de Gênes et de Florence, au début des
années 2000, et revêt une dimension internationale.
Dans une chanson, les paroles ne sont pas tout. Il
faut une mélodie. En 2006, un quidam, Fausto Giovannardi, flâne dans le
Quartier latin. Il achète pour 2 euros l’album Klezmer Yiddish
Swing Music, enregistré en 1919 à New York par un accordéoniste tzigane,
Mishka Ziganoff. Quelques notes du titre Koilen attirent son
oreille : ce sont
celles de Bella Ciao. Il fait des recherches, confie-t-il au
quotidien la Repubblica en 2008, et découvre, en interrogeant
Rod Hamilton, de la British Library de Londres, que c’est une version de Dus
Zekele Koilen, un chant yiddish – la culture des juifs d’Europe de l’Est –
dont existent deux enregistrements dans les années 1920. Pour résumer : une mélodie juive, jouée par un tzigane, certainement ramenée des États-Unis en Italie par un migrant rentré au pays, entonnée par des résistants,
propulsée sur les cinq continents par le mouvement
altermondialiste. L’air est œcuménique.
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