Hémicycle La première femme présidente de
l’Assemblée nationale a su, en cinq ans, devenir une députée incontournable.
Mais elle reste une élue aux ordres de l’exécutif, quitte à mépriser les
oppositions et le rôle du Parlement.
Un petit mois et puis s’en va. La nouvelle présidente
de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, aura été l’une des plus éphémères
ministres des Outre-mer. Dimanche 26 juin, jour de sa démission, elle
était attendue à Nouméa pour commémorer la poignée de mains historique entre
Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou. Mais cette macroniste pur jus a posé un
lapin : elle a été appelée à de plus
hautes responsabilités, elle qui déclarait pourtant que ce « portefeuille est le plus beau qui soit ». Les députés ultramarins n’ont pas manqué de
pointer cette hypocrisie : « Sans oser parler de mépris, je dirai que ce gouvernement conserve la même attitude brutale, distante, voire indifférente à
l’égard de nos territoires », a lancé l’élu de Guadeloupe Élie Califer. Pour Davy
Rimane, député de Guyane, « peut-être qu’elle ne voulait pas vraiment de ce ministère-là, que c’est un petit cadeau qui lui a été fait pour la remercier de sa
fidélité ».
En effet, Yaël Braun-Pivet l’est, fidèle. Surtout à
l’exécutif. Sous des dehors affables, « YBP » – son surnom à l’Assemblée –, se révèle d’abord une bonne soldate du chef de l’État. « C’est quelqu’un de caractère sympathique et chaleureux », abonde le député communiste Stéphane Peu, qui la
connaît bien pour avoir siégé à la commission des Lois dont elle a été cinq ans
la présidente. « Mais elle n’a jamais eu aucun état d’âme politique », poursuit-il, tout en saluant le symbole « très positif, bien sûr » de voir, pour la première fois, une femme à ce poste prestigieux, le
quatrième personnage de l’État dans l’ordre constitutionnel. La première après…
quatorze hommes depuis 1958. L’élue FI Clémentine Autain s’est également
réjouie de ce que « des femmes accèdent enfin à des postes importants », même s’il ne s’agit pas d’un « brevet de féminisme ».
Ugo Bernalicis, lui aussi membre de la commission des
Lois durant la précédente législature, s’en félicite également : « Voir une femme à ce poste, c’est très bien. Mais plus ouverte, ça aurait été mieux… » L’insoumis se souvient des premiers pas de la néodéputée de 2017,
intronisée à la présidence de ladite commission : « Au début, on s’est dit : “Une femme, avocate, qui est engagée aux Restos du cœur…” En plus, elle avait eu droit à un procès en
illégitimité, donc on était plutôt enclins à prendre sa défense sur ces
aspects. » Mais, rapidement, les députés de gauche
déchantent : « On a très vite remarqué son côté autoritaire et très peu
démocrate, à couper le micro dès qu’elle le pouvait », relate l’élu. « Elle est de cette culture LaREM où on se tape dans le
dos et on se tutoie, mais, ensuite, ils ont le doigt sur la couture du pantalon », décrit Stéphane Peu, qui précise cet état d’esprit « start-up, où on est copains… Mais il y en a qui touchent les dividendes et
d’autres qui triment ». Un
fossé entre les mots et l’action politique qu’il illustre par une anecdote du
début du quinquennat précédent, alors qu’ « YBP », sensible à la question carcérale, avait organisé des visites en prison. « Nous étions au centre de rétention du Mesnil-Amelot, où nous avions vu des enfants, dont une femme avec son bébé. Yaël Braun-Pivet avait fait preuve d’émotion non feinte. Quand on est sortis, on s’est dit qu’on ne pouvait pas tolérer des enfants en prison. » Quelque temps plus tard, à l’occasion de l’examen de la loi asile et
immigration, Stéphane Peu propose « un amendement pour l’interdire. Elle a voté contre. Que valent des larmes
quand on vote contre ensuite » ?
« Un mépris du rôle du Parlement »
Mais c’est au moment de l’affaire Benalla que « YBP » se
surpasse. De par sa fonction, elle prend la présidence de la commission d’enquête de l’Assemblée sur l’affaire. En cinq jours, elle réussit le tour de force de la torpiller. « Elle était totalement aux ordres de l’exécutif », se souvient Stéphane Peu. À droite, celui qui était vice-président de la
commission des Lois à ses côtés, Philippe Gosselin, a encore une dent
contre « la façon dont notre commission d’enquête a été enterrée ». Une
violation manifeste de la séparation des pouvoirs qui veut que le législatif
contrôle l’exécutif ; « un mépris du rôle du Parlement », ajoute le député LR. Yaël Braun-Pivet expédie
l’affaire, refuse de poser des questions gênantes, ainsi que la convocation
d’Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée, qui joue portant un rôle
central dans le scandale. Mais on ne touche pas à la garde rapprochée de
Jupiter… « Tout le monde l’a vu, elle a clairement bazardé la commission d’enquête à la demande du gouvernement », corrobore Ugo Bernalicis, qui se souvient notamment de l’épisode où le
chef de l’État avait lancé bravache : « Qu’ils viennent me chercher ! » « Elle était au premier rang ce jour-là, à la maison de l’Amérique latine », à applaudir Emmanuel Macron.
Plusieurs LR auraient pu voter pour elle
Ces griefs politiques se sont toutefois effacés, et
les rancœurs remises au placard, lorsque Yaël Braun-Pivet a été l’objet
d’attaques abjectes. Lors de l’épisode Benalla, et plus encore à l’occasion de
la crise sanitaire, elle est la cible d’insultes antisémites, allusion à ses
origines juives : son grand-père était un tailleur polonais, réfugié à Nancy dans les années trente. Ce qui avait déclenché une vague de soutien de la part de nombreux élus. La plupart de ceux qui la connaissent, notamment
à la commission des Lois, décrivent une personnalité « avec qui on a travaillé en bonne intelligence, notamment sur l’outre-mer ou les prisons, avec, bien sûr, des points de divergence », pointe Philippe Gosselin. Si LR a finalement présenté une candidate,
plusieurs n’ont pas caché qu’ils auraient pu voter pour « YBP ». Ce qui n’étonne guère Ugo Bernalicis, qui se remémore que LR « a coprésidé la commission des Lois avec
elle. Là, ils sont sympas, pour
continuer à avoir quelques rapports ou présidences. Mais, à la buvette, ce qu’ils me
racontent n’est pas de la même teneur… » Après avoir refusé
mordicus la constitutionnalisation de l’IVG, la voilà qui la défend
aujourd’hui. En bonne petite soldate, toujours. Ce qui fait dire à Stéphane Peu,
en forme de résumé : « Au Perchoir, elle va sans doute mettre les formes,
mais ce n’est pas quelqu’un avec qui on peut faire des compromis politiques. » Il va pourtant falloir que la majorité s’y résolve. Et Yaël
Braun-Pivet avec elle.
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