Ukraine Bernard-Henri Lévy a réactivé son réseau
belliciste. Il justifie tous les moyens de l’escalade guerrière et les
sanctions économiques contre la Russie, quelles qu’elles soient.
Le rassemblement a tout d’une grand-messe : on se lève pour l’hymne ukrainien, on s’assoit pour écouter parler Bernard-Henri Lévy, chemise blanche amidonnée pour l’occasion ouverte sur un torse bronzé aux UV… Mais sous couvert de « paix aux hommes de bonne volonté », c’est aux instincts guerriers de l’opinion que s’adressent la majorité
des mots prononcés au Théâtre Antoine, sur les Grands Boulevards parisiens, ce
mardi soir. Ce « SOS Ukraine » lancé par la Règle du jeu, la revue littéraire atlantiste de Bernard-Henri Lévy, cache de bonnes
intentions. Celles exprimées par le réalisateur David Lynch ou la chanteuse
Patti Smith en soutien aux Ukrainiens agressés par le voisin russe. Mais un
certain bellicisme, déjà exprimé par le passé, s’est très vite imposé.
Bernard-Henri Lévy est un multirécidiviste : il exporte
depuis des décennies son marketing guerrier bien au-delà de nos frontières. Le belliciste médiatique a l’oreille de tous les présidents français, de Valéry Giscard d’Estaing à François
Hollande, qui le chargent de missions en Bosnie, en Afghanistan, en Libye… À
chaque mandat son conflit. Et parfois, BHL voit l’histoire se répéter. Mardi,
il a fait le parallèle entre Ukraine et Bosnie, la situation à Marioupol
n’étant, à l’en croire, « pas très loin de ce qu’était celle de Sarajevo aux pires heures de son siège ».
De fait, par la qualité des intervenants, le spectre
politique, du PS à LR, difficile de ne pas y voir la réactivation de la
coalition qui autour de lui appelait à intervenir militairement en Serbie en
1992. D’ailleurs, l’intellectuel germanopratin, faisant monter son vieux
comparse Pascal Bruckner sur scène, se remémore l’époque où ils faisaient
estrade commune. En ce temps-là, BHL bricolait même, voulant forcer la main de
François Mitterrand à l’Élysée, une liste aux élections européennes de 1994
pour mettre ce sujet au cœur du débat.
Cette autoproclamée « gauche antitotalitaire », alliée pour la
circonstance à quelques voix plus à droite, sévit depuis la guerre froide. L’ennemi soviétique disparu, elle a cherché de nouveaux chevaux de bataille et embrassé
les atteintes aux droits de l’homme. De manière sélective. Car les cris
d’orfraie, souvent, coïncident avec les objectifs stratégiques des États-Unis.
Cet atlantisme forcené resurgit dans le discours de BHL, qui tout en fustigeant
l’extrême droite fait sienne son antienne de « deux civilisations (qui) s’affrontent » : le camp du
bien, c’est le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, « l’élégance, le courage, la sagesse » ; le mal, c’est Vladimir Poutine, « l’hubris, la nostalgie d’un empire zombiesque, l’héritage stalinien ». À l’époque du Kosovo, en 1998, le camp de la paix se
résumait aux yeux de Pascal Bruckner à un « fanatisme anti-yankee » qui faciliterait l’ « indulgence » à l’égard des « forces du mal », à savoir l’ancien président yougoslave Slobodan
Milosevic.
Comme l’histoire, le scénario semble se répéter : tout
autour du globe, les bellicistes mondains construisent des figures de la résistance beaucoup moins reluisantes dans la réalité que sur le papier. On a fait du colonel Massoud,
le « lion du
Panshir », une figure
intouchable, expurgée de ses
tendances islamistes et aujourd’hui Zelensky
est dépeint en « jeune Churchill » se dressant « tête nue » face à l’invasion russe. Mais lui-même poursuit les bombardements
initiés par son prédécesseur en 2014 contre les villages indépendantistes du
Donbass…
Zelensky, nouveau « père fondateur de l’Europe »
Pour entraîner l’opinion, il faut des héros. Zelensky
c’est, martèlent BHL et ses amis, le « nouveau père fondateur de l’Europe ». L’Ukraine
incarne « le meilleur de ses valeurs ». Sylvain Fort, l’ancienne plume du président Macron, dira même que « Kiev est le berceau de notre civilisation ». L’occasion est trop belle lorsqu’on rêve de ressouder un continent désuni
au son du canon. « Ce combat est le nôtre, c’est un combat pour la démocratie, pour l’Europe », explique la candidate socialiste à la
présidentielle, Anne Hidalgo. Comme pour sa rivale Valérie Pécresse ou les
macronistes Christophe Castaner et Jean-Michel Blanquer, qui se sont succédé à
la tribune, les déclarations d’amour à l’Europe sont aussi une manière
d’appeler aux urnes face à une abstention redoutée. Depuis une semaine, la
liberté semble si précaire à tous ceux qui se sont employés à la dévoyer au
cours de leurs mandats…
Les va-t-en-guerre ont aussi besoin d’ennemis dans
leur propre pays. Aujourd’hui, on dénonce les « poutinolâtres » Zemmour, Le Pen… « et Mélenchon », précise
l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). Avant les interventions en
ex-Yougoslavie dans les années 1990, on pointait du doigt le pacifisme qui
renvoyait à l’attitude des « Munichois » face à l’Allemagne nazie. D’ailleurs,
l’essayiste Caroline Fourest fera l’analogie, peignant l’invasion russe
comme « le plus grand viol de souveraineté depuis la prise des Sudètes par Hitler ».
Le parallèle ainsi établi avec Vladimir Poutine
justifie l’envoi d’armes. Anne Hidalgo, qui vient de lui parler, relaie l’appel
du maire de Kiev à ce que « ces armes nécessaires (lui) parviennent » rapidement. Puis vient le temps d’évoquer
d’autres sanctions. La Russie est exclue des échanges financiers internationaux ? Bien
insuffisant à leurs yeux. L’ex-président Hollande livre son
expertise : il faut « couper une part des apports russes en gaz et en pétrole ». Il est relayé dans son envolée par la Femen
ukrainienne Inna Chevtchenko, qui renvoie la responsabilité du conflit actuel
au peuple russe, à « son silence depuis vingt-deux ans », appelant à « plus de sanctions, pas pour arrêter Poutine mais pour isoler la Russie et alerter la
population : ils doivent comprendre qu’ils vont souffrir si lui reste au pouvoir ». Sortie abondamment applaudie par la salle. Pascal Bruckner achève en
pensée le geste de cette population qu’Inna Chevtchenko appelle à se soulever : « On peut rêver d’une fin de Poutine à la Beria », lâche-t-il, en référence au chef des services
secrets soviétiques, arrêté et exécuté par ses propres hommes après la mort de
Staline. Des propos que n’a pas pu commenter l’ex-directeur de la CIA et patron
des opérations militaires en Irak David Petraeus, invité à s’exprimer par écran
interposé. Mais qui dans la salle n’ont suscité qu’approbation
enthousiaste.
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