mercredi 2 mars 2022

Aux armes, Saint-Germain-des-Prés !



Ukraine Bernard-Henri Lévy a réactivé son réseau belliciste. Il justifie tous les moyens de l’escalade guerrière et les sanctions économiques contre la Russie, quelles qu’elles soient.

Lina Sankari. Grégory Marin

Le rassemblement a tout d’une grand-messe: on se lève pour lhymne ukrainien, on sassoit pour écouter parler Bernard-Henri Lévy, chemise blanche amidonnée pour loccasion ouverte sur un torse bronzé aux UV Mais sous couvert de «paix aux hommes de bonne volonté», c’est aux instincts guerriers de l’opinion que s’adressent la majorité des mots prononcés au Théâtre Antoine, sur les Grands Boulevards parisiens, ce mardi soir. Ce «SOS Ukraine» lancé par la Règle du jeu, la revue littéraire atlantiste de Bernard-Henri Lévy, cache de bonnes intentions. Celles exprimées par le réalisateur David Lynch ou la chanteuse Patti Smith en soutien aux Ukrainiens agressés par le voisin russe. Mais un certain bellicisme, déjà exprimé par le passé, s’est très vite imposé.

Bernard-Henri Lévy est un multirécidiviste: il exporte depuis des décennies son marketing guerrier bien au-delà de nos frontières. Le belliciste médiatique a loreille de tous les présidents français, de Valéry Giscard dEstaing à François Hollande, qui le chargent de missions en Bosnie, en Afghanistan, en Libye… À chaque mandat son conflit. Et parfois, BHL voit l’histoire se répéter. Mardi, il a fait le parallèle entre Ukraine et Bosnie, la situation à Marioupol n’étant, à l’en croire, «pas très loin de ce qu’était celle de Sarajevo aux pires heures de son siège».

De fait, par la qualité des intervenants, le spectre politique, du PS à LR, difficile de ne pas y voir la réactivation de la coalition qui autour de lui appelait à intervenir militairement en Serbie en 1992. D’ailleurs, l’intellectuel germanopratin, faisant monter son vieux comparse Pascal Bruckner sur scène, se remémore l’époque où ils faisaient estrade commune. En ce temps-là, BHL bricolait même, voulant forcer la main de François Mitterrand à l’Élysée, une liste aux élections européennes de 1994 pour mettre ce sujet au cœur du débat.

Cette autoproclamée «gauche antitotalitaire», alliée pour la circonstance à quelques voix plus à droite, sévit depuis la guerre froide. Lennemi soviétique disparu, elle a cherché de nouveaux chevaux de bataille et embrassé les atteintes aux droits de l’homme. De manière sélective. Car les cris d’orfraie, souvent, coïncident avec les objectifs stratégiques des États-Unis. Cet atlantisme forcené resurgit dans le discours de BHL, qui tout en fustigeant l’extrême droite fait sienne son antienne de «deux civilisations (qui) saffrontent»: le camp du bien, c’est le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, «l’élégance, le courage, la sagesse»; le mal, c’est Vladimir Poutine, «lhubris, la nostalgie dun empire zombiesque, lhéritage stalinien». À l’époque du Kosovo, en 1998, le camp de la paix se résumait aux yeux de Pascal Bruckner à un «fanatisme anti-yankee» qui faciliterait l’ «indulgence» à l’égard des «forces du mal», à savoir l’ancien président yougoslave Slobodan Milosevic.

Comme l’histoire, le scénario semble se répéter: tout autour du globe, les bellicistes mondains construisent des figures de la résistance beaucoup moins reluisantes dans la réalité que sur le papier. On a fait du colonel Massoud, le «lion du Panshir», une figure intouchable, expurgée de ses tendances islamistes et aujourdhui Zelensky est dépeint en «jeune Churchill» se dressant «tête nue» face à l’invasion russe. Mais lui-même poursuit les bombardements initiés par son prédécesseur en 2014 contre les villages indépendantistes du Donbass…

Zelensky, nouveau «père fondateur de lEurope»

Pour entraîner l’opinion, il faut des héros. Zelensky c’est, martèlent BHL et ses amis, le «nouveau père fondateur de lEurope». L’Ukraine incarne «le meilleur de ses valeurs». Sylvain Fort, l’ancienne plume du président Macron, dira même que «Kiev est le berceau de notre civilisation». L’occasion est trop belle lorsqu’on rêve de ressouder un continent désuni au son du canon. «Ce combat est le nôtre, cest un combat pour la démocratie, pour lEurope», explique la candidate socialiste à la présidentielle, Anne Hidalgo. Comme pour sa rivale Valérie Pécresse ou les macronistes Christophe Castaner et Jean-Michel Blanquer, qui se sont succédé à la tribune, les déclarations d’amour à l’Europe sont aussi une manière d’appeler aux urnes face à une abstention redoutée. Depuis une semaine, la liberté semble si précaire à tous ceux qui se sont employés à la dévoyer au cours de leurs mandats…

Les va-t-en-guerre ont aussi besoin d’ennemis dans leur propre pays. Aujourd’hui, on dénonce les «poutinolâtres» Zemmour, Le Pen… «et Mélenchon», précise l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). Avant les interventions en ex-Yougoslavie dans les années 1990, on pointait du doigt le pacifisme qui renvoyait à l’attitude des «Munichois» face à l’Allemagne nazie. D’ailleurs, l’essayiste Caroline Fourest fera l’analogie, peignant l’invasion russe comme «le plus grand viol de souveraineté depuis la prise des Sudètes par Hitler».

Le parallèle ainsi établi avec Vladimir Poutine justifie l’envoi d’armes. Anne Hidalgo, qui vient de lui parler, relaie l’appel du maire de Kiev à ce que «ces armes nécessaires (lui) parviennent» rapidement. Puis vient le temps d’évoquer d’autres sanctions. La Russie est exclue des échanges financiers internationaux? Bien insuffisant à leurs yeux. L’ex-président Hollande livre son expertise: il faut «couper une part des apports russes en gaz et en pétrole». Il est relayé dans son envolée par la Femen ukrainienne Inna Chevtchenko, qui renvoie la responsabilité du conflit actuel au peuple russe, à «son silence depuis vingt-deux ans», appelant à «plus de sanctions, pas pour arrêter Poutine mais pour isoler la Russie et alerter la population: ils doivent comprendre quils vont souffrir si lui reste au pouvoir». Sortie abondamment applaudie par la salle. Pascal Bruckner achève en pensée le geste de cette population qu’Inna Chevtchenko appelle à se soulever: «On peut rêver dune fin de Poutine à la Beria», lâche-t-il, en référence au chef des services secrets soviétiques, arrêté et exécuté par ses propres hommes après la mort de Staline. Des propos que n’a pas pu commenter l’ex-directeur de la CIA et patron des opérations militaires en Irak David Petraeus, invité à s’exprimer par écran interposé. Mais qui dans la salle n’ont suscité qu’approbation enthousiaste. 

 

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