Soixante ans, comme une trace de nos
propres âmes, des taches de sang séchées, des vies sacrifiées. Les morts de « Charonne
» le clament encore: un passé qui ne passe toujours pas, lui non plus. Quand le
temps même, au nom de l’Histoire, donnait une chance, une grande chance, aux
combats libérateurs, à la liberté sacrée, se réduisant parfois à l’élan de
militants si engagés qu’ils s’exposèrent en première ligne.
Le 8 février 1962, un crime d’État
était perpétré en plein Paris, aux abords de la station de métro devenue depuis
tristement célèbre. Cruauté des dates. Le 19 mars, les accords d’Évian
mettraient un terme à la sale guerre d’Algérie. Quarante jours de trop… Les
victimes étaient toutes membres de la CGT, huit sur neuf des communistes – ce
qui confirme avec éloquence la place des uns et des autres dans la lutte antifasciste,
face au déchaînement et aux attentats de l’OAS, et pour l’indépendance de
l’Algérie. Trois de ces martyrs travaillaient à l’Humanité. Six
hommes, trois femmes. Le plus jeune avait 15 ans. L’un d’eux avait choisi la
France quand il quitta l’Italie des chemises noires de Mussolini. Ce massacre,
survenant moins de quatre mois après celui des Algériens, le 17 octobre
1961, acheva de faire basculer l’opinion publique dans le refus de poursuivre
la guerre.
Inoubliables morts par la laideur des
actes: matraqués, assommés, étouffés dans la maudite bouche de métro. Ignominie
de leurs responsables: flics fanatiques aux ordres de l’odieux préfet Maurice
Papon, ministres menteurs, gouvernement cynique, tous sous la présidence du
général de Gaulle qui, avant de clore le chapitre, en prolongea parfois les
pires méthodes au nom de la « supériorité civilisationnelle », idée abjecte qui
resurgit, aujourd’hui, telle une matrice traditionnelle, au cœur même de la
droite extrême…
Voilà pourquoi, soixante ans après, le
travail de mémoire reste une épreuve et un enjeu hautement politique en tant
que devoir d’Histoire. Nos gouvernants, souvent amnésiques, ne doivent jamais
oublier que la réception d’un legs, avec ses pages sombres, se rappelle à nous
quand nous procédons à sa négation. La reconnaissance des crimes d’État n’est
pas abaisser la France, mais la grandir. Pour nous glisser dans les pas de
l’exigence, qui ne souffre d’aucune lassitude. Cette exigence absolue: la
vérité.
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