Robert Guédiguian filme
avec sa légendaire empathie un couple d’amoureux révolutionnaires au temps de l’indépendance
du Mali. Twist à Bamako est un film sur l’échec autant que sur
l’espoir d’un monde meilleur…
Il y a un peu de cette utopie de l’Estaque chère à l’enfance du réalisateur
dans Twist à Bamako, le nouveau film de Robert Guédiguian. Comme si
le temps, l’histoire, les distances et les frontières nous ramenaient
inlassablement à la conquête de jours meilleurs, de jours heureux, serait-on
tenté d’écrire si la vie, les trahisons, les défaites ne nous rappelaient pas à
un réel plus sombre, plus triste. Alors on se fait du cinéma…
Une soif de justice et de liberté
Twist à Bamako se déroule en pleine indépendance du Mali. Nous sommes en 1962, une
onde émancipatrice bouleverse le continent africain : de l’Algérie au Congo, du
Cameroun au Nigeria, l’ère des « soleils des indépendances » suscite un immense
espoir. La France et les autres puissances coloniales lâchent du lest même si,
en coulisses, elles gardent la main, notamment sur l’économie et les richesses
de ces pays. À Bamako et dans tout le Mali, les militants de l’indépendance et
de la révolution sillonnent les rues et les villages pour prêcher « dans
le désert », comme le dira l’un des protagonistes, les idéaux
révolutionnaires.
Parmi ces jeunes militants mus par une soif de justice et de liberté, Samba,
20 ans. Fils d’un riche commerçant de la ville, ses préceptes font
légèrement tiquer son paternel mais l’ambiance familiale est des plus
chaleureuse, et père et mères (elles sont trois épouses) regardent ce fils avec
bienveillance écrire au tableau noir de la nouvelle école communale du quartier
ces mots d’Aimé Césaire : « La colonisation est la négation forcenée de
l’humanité. »
Danser jusqu’à plus soif
C’est au cours d’une halte en pays bambara que Samba rencontre Lara. Lara a
été mariée de force au petit-fils du chef du village et décide de s’enfuir avec
Samba et ses amis. Direction Bamako, où, la nuit venue, toute la jeunesse se
retrouve dans des clubs pour danser jusqu’à plus soif. Images colorées,
joyeuses, filles et gars twistent à Saint-Tropez sur un air de Johnny Hallyday.
Dans leurs chambres, des posters de Lumumba ou de Hô Chi Minh côtoient ceux de
Claude François, de James Brown ou de John Lee Hooker. Voire celui de l’Affiche
rouge…
Samba et Lara s’aiment mais leur amour, à la manière de celui de Roméo et
Juliette, leur est interdit. Par la famille et le village de Lara, dirigé par
de « vieux crocodiles » qui maintiennent l’ordre établi et les mariages
arrangés. Puis, peu à peu, par les nouveaux dirigeants du Mali réunis dans un
bureau politique où trônent des déjà vieux cacochymes de la politique qui
décident de serrer la vis à une jeunesse qui « se corrompt » sur les pistes de
danse au lieu de faire la révolution. Samba est pris au piège. Lui qui conjugue
révolution, amour et liberté voit ses rêves s’évanouir. « Ce sont les
rêveurs qui changent le monde », murmurera-t-il pourtant à Lara…
Un rêve, le socialisme, stoppé net dans son élan
Derrière cette trame historique, cette piqûre de rappel d’un moment clé
pour l’Afrique où toutes les utopies étaient à l’œuvre et ouvraient tous les
champs des possibles, on sent poindre chez Robert Guédiguian une once de
mélancolie devant un rêve, le socialisme, stoppé net dans son élan. Des
lendemains qui déchantent à coups de trahisons et de relents nationalistes qui,
sous couvert de traditions, vont couper les ailes d’une révolution en marche.
Alors, son swinging Bamako fleure bon les arrière-cours de l’Estaque où les
amoureux s’enlacent devant un barbecue et continuent de rêver, malgré les
embûches, malgré les déconvenues, « un jour… le ciel s’éclaircira »,
dira Samba.
Guédiguian en est
convaincu, hier comme aujourd’hui. Ses arrêts sur image d’une jeunesse qui a
soif de liberté – clin d’œil à l’immense photographe malien Malick Sidibé – ponctuent ce
roman-photo révolutionnaire où des jeunes gens posent avec joie et insouciance. « Les
soviets, c’est le socialisme plus l’électricité plus le twist », balance
Samba en pleine réunion du bureau politique. En 2012, Lara est désormais une
vieille femme qui a mal à son Mali. À la barbe des barbus qui rôdent dans
Bamako et voilent les femmes, elle danse, elle twiste, jusqu’à en avoir le
tournis…
« Le cinéma ne doit pas devenir une sortie
“exceptionnelle” »
Par Robert Guédiguian, réalisateur et rédacteur en chef d'un jour de
l'Humanité
Les spectateurs ont-ils perdu l’habitude d’aller au cinéma ? Deux années
d’abstinence ont-elles suffi à leur faire oublier ce plaisir ? C’est possible…
Ils se concentrent aujourd’hui sur un film, de temps en temps, qu’ils
considèrent comme « exceptionnel », que cela soit un film commercial
(Spider-Man) ou d’auteur (Almodovar). Si le cinéma devient une sortie aussi
rare que le théâtre ou l’opéra, il ne pourra plus être le reflet quasi
exhaustif des problèmes du monde. Ce serait la perte d’un moyen majeur d’information,
de formation, d’échange et de démocratie… Avant qu’il ne soit trop tard pour
inciter le public à revenir de façon « non exceptionnelle » dans nos salles,
faisons une semaine ou un mois entier à moitié prix, faisons des soldes afin
que les films ne nous restent pas sur les bras.
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