D’après une expertise
relayée par Human Rights Watch, des fabricants de vaccins en Inde, en Chine, en
Afrique ou en Amérique du Sud pourraient être illico mis à contribution. Une
fois les brevets levés et les technologies partagées…
C’est l’une des légendes les mieux entretenues de la pandémie actuelle :
les vaccins à ARN messager, qui ont désormais supplanté les autres types dans
les pays du Nord, seraient excessivement difficiles à fabriquer. Raison pour
laquelle il convient de laisser les laboratoires occidentaux, comme Pfizer et
Moderna (États-Unis) ou BioNTech (Allemagne), en contrôler étroitement la
production grâce à leur mainmise sur les brevets, avant d’en tirer tous les
profits dans la foulée…
L’ennui pour Big Pharma, c’est que c’est faux. Experts dans le domaine
pharmaceutique, Achal Prabhala, coordinateur d’un projet tricontinental sur les
médicaments en Inde, au Brésil et en Afrique du Sud (Accessibsa), et Alain
Alsalhani, spécialiste des vaccins pour la campagne d’accès aux médicaments
essentiels de Médecins sans frontières (MSF), viennent, dans une étude publiée
ces derniers jours, d’établir une liste de 120 sites de production potentiels
pour les vaccins à ARN messager : 55 sont en Inde, 34 en Chine, 9 en Corée du
Sud, 3 au Vietnam, en Égypte ou au Brésil, 2 en Tunisie et en Malaisie, 1 en
Afrique du Sud, au Maroc, au Sénégal, à Cuba, en Argentine, au Chili, en
Thaïlande, au Bangladesh ou en Indonésie…
Si Nestlé peut le faire, d’autres peuvent aussi le faire
Selon cet inventaire, relayé par Human Rights Watch (HRW) et une centaine
d’ONG, la preuve qu’il serait possible de démultiplier la fabrication de
vaccins à l’échelle mondiale provient des multinationales elles-mêmes et, en
particulier, de Moderna. La start-up américaine qui ne disposait d’aucune usine
propre et n’avait jamais rien commercialisé jusque-là s’est appuyée sur des
façonniers et des sous-traitants, comme le suisse Lonza et l’espagnol Rovi,
pour mettre sur pied toute sa chaîne de production en quelques mois. À
l’époque, quand Lonza était allé chercher la main-d’œuvre manquante chez ses
voisins de Nestlé, un militant américain pour la levée des brevets avait
ironisé : « En somme, l’industrie pharmaceutique estime que
la technologie pour les vaccins à ARN messager est trop complexe pour pouvoir
être partagée avec les producteurs des pays en voie de développement, m ais
qu’elle peut, en revanche, la partager avec les gars qui font le Nesquik, c’est
ça ? » Dans leur étude, les deux experts insistent aujourd’hui : « Si
une entreprise espagnole comme Rovi, qui, spécialisée dans les préparations
injectables stériles, n’avait pas d’expérience dans la fabrication de
médicaments biologiques ou de vaccins, peut produire le Moderna, il n’y a
aucune raison pour que des entreprises avec un profil similaire au Maroc, en
Afrique du Sud, au Brésil ou en Inde ne puissent pas faire la même chose, si
elles bénéficient d’ un transfert total de technologies de Moderna,
comme Rovi en a bénéficié. »
Dans ces conditions, pour les experts et le mouvement planétaire en faveur
de l’accès universel aux vaccins ou aux traitements contre le Covid, le temps
presse désormais. Car le variant Omicron, d’après l’Organisation mondiale
de la santé, se propage « à un rythme que nous n’avons
jamais vu avec aucun autre variant ». Or, comme les vaccins à ARN
messager, plus biochimiques que biologiques, sont plus simples à fabriquer et à
partager, Achal Prabhala et Alain Alsalhani estiment que le meilleur moyen de
s’en sortir tient « à la diversification et à l’expansion de la
production de vaccins à ARN messager ». « Si les capacités étaient
réparties entre les différents pays et si elles couvraient tous les continents,
cela donnerait une sécurité, une stabilité et une indépendance à de très
nombreuses régions du monde », ajoutent-ils.
Pour HRW, c’est
désormais aux gouvernements américain et allemand d’agir en contraignant leurs
multinationales à partager leurs brevets et leurs secrets de fabrication. « Les
prévisions de production mondiale de vaccins laissant entendre qu’il y aura
bientôt assez de vaccins contre le Covid pour toute la population du monde sont
trompeuses, dénonce Aruna Kashyap, directrice adjointe de la division
entreprises et droits humains de l’ONG. Tandis que le virus mute, les
États-Unis et l’Allemagne ne devraient pas laisser les laboratoires dicter où
et comment des vaccins doivent être acheminés dans la majeure pa rtie
du monde. »
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