jeudi 16 décembre 2021

Vaccins. L’ARN messager, productible partout dans le monde



Thomas Lemahieu

D’après une expertise relayée par Human Rights Watch, des fabricants de vaccins en Inde, en Chine, en Afrique ou en Amérique du Sud pourraient être illico mis à contribution. Une fois les brevets levés et les technologies partagées…

C’est l’une des légendes les mieux entretenues de la pandémie actuelle : les vaccins à ARN messager, qui ont désormais supplanté les autres types dans les pays du Nord, seraient excessivement difficiles à fabriquer. Raison pour laquelle il convient de laisser les laboratoires occidentaux, comme Pfizer et Moderna (États-Unis) ou BioNTech (Allemagne), en contrôler étroitement la production grâce à leur mainmise sur les brevets, avant d’en tirer tous les profits dans la foulée…

L’ennui pour Big Pharma, c’est que c’est faux. Experts dans le domaine pharmaceutique, Achal Prabhala, coordinateur d’un projet tricontinental sur les médicaments en Inde, au Brésil et en Afrique du Sud (Accessibsa), et Alain Alsalhani, spécialiste des vaccins pour la campagne d’accès aux médicaments essentiels de Médecins sans frontières (MSF), viennent, dans une étude publiée ces derniers jours, d’établir une liste de 120 sites de production potentiels pour les vaccins à ARN messager : 55 sont en Inde, 34 en Chine, 9 en Corée du Sud, 3 au Vietnam, en Égypte ou au Brésil, 2 en Tunisie et en Malaisie, 1 en Afrique du Sud, au Maroc, au Sénégal, à Cuba, en Argentine, au Chili, en Thaïlande, au Bangladesh ou en Indonésie…

Si Nestlé peut le faire, d’autres peuvent aussi le faire

Selon cet inventaire, relayé par Human Rights Watch (HRW) et une centaine d’ONG, la preuve qu’il serait possible de démultiplier la fabrication de vaccins à l’échelle mondiale provient des multinationales elles-mêmes et, en particulier, de Moderna. La start-up américaine qui ne disposait d’aucune usine propre et n’avait jamais rien commercialisé jusque-là s’est appuyée sur des façonniers et des sous-traitants, comme le suisse Lonza et l’espagnol Rovi, pour mettre sur pied toute sa chaîne de production en quelques mois. À l’époque, quand Lonza était allé chercher la main-d’œuvre manquante chez ses voisins de Nestlé, un militant américain pour la levée des brevets avait ironisé : « En somme, l’industrie pharmaceutique estime que la technologie pour les vaccins à ARN messager est trop complexe pour pouvoir être partagée avec les producteurs des pays en voie de développement, m ais qu’elle peut, en revanche, la partager avec les gars qui font le Nesquik, c’est ça ? » Dans leur étude, les deux experts insistent aujourd’hui : « Si une entreprise espagnole comme Rovi, qui, spécialisée dans les préparations injectables stériles, n’avait pas d’expérience dans la fabrication de médicaments biologiques ou de vaccins, peut produire le Moderna, il n’y a aucune raison pour que des entreprises avec un profil similaire au Maroc, en Afrique du Sud, au Brésil ou en Inde ne puissent pas faire la même chose, si elles bénéficient d’ un transfert total de technologies de Moderna, comme Rovi en a bénéficié. »

Dans ces conditions, pour les experts et le mouvement planétaire en faveur de l’accès universel aux vaccins ou aux traitements contre le Covid, le temps presse désormais. Car le variant Omicron, d’après l’Organisation mondiale de la santé, se propage « à un rythme que nous n’avons jamais vu avec aucun autre variant ». Or, comme les vaccins à ARN messager, plus biochimiques que biologiques, sont plus simples à fabriquer et à partager, Achal Prabhala et Alain Alsalhani estiment que le meilleur moyen de s’en sortir tient « à la diversification et à l’expansion de la production de vaccins à ARN messager ». « Si les capacités étaient réparties entre les différents pays et si elles couvraient tous les continents, cela donnerait une sécurité, une stabilité et une indépendance à de très nombreuses régions du monde », ajoutent-ils.

Pour HRW, c’est désormais aux gouvernements américain et allemand d’agir en contraignant leurs multinationales à partager leurs brevets et leurs secrets de fabrication. « Les prévisions de production mondiale de vaccins laissant entendre qu’il y aura bientôt assez de vaccins contre le Covid pour toute la population du monde sont trompeuses, dénonce Aruna Kashyap, directrice adjointe de la division entreprises et droits humains de l’ONG. Tandis que le virus mute, les États-Unis et l’Allemagne ne devraient pas laisser les laboratoires dicter où et comment des vaccins doivent être acheminés dans la majeure pa rtie du monde. »

 

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