La question s’impose
partout dans le monde. Pourquoi la propriété et la gestion de biens aussi
essentiels que l’eau, l’énergie ou les médicaments seraient-elles laissées à
des groupes privés et au marché ? Un texte de loi examiné ce jeudi apporte une
réponse.
Lorsque la première vague de Covid s’est abattue sur la France, certains
ont pu croire qu’Emmanuel Macron avait vu un bout de lumière. « Ce que
révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens, et des services qui doivent
être placés en dehors des lois du marché », s’exclame alors le président
de la République. Nous sommes en mars 2020. Depuis, plus rien ou presque. Le
chef de l’État a repris sa marche au service d’une finance vorace et
déconnectée des besoins réels. Mais cette phrase a retenu l’attention du député
communiste Pierre Dharréville, qui présente, ce jeudi, à l’Assemblée nationale,
une proposition de loi visant à protéger les « biens communs ».
« Nous avons tout un monde à nous réapproprier et à partager de façon
équitable. Il y a urgence à construire la société autrement qu’autour d’un
grand mouvement de privatisation et de marchandisation des ressources et des
services. Sans commun, sans protection des biens communs, nous courons à notre
perte, nous n’avons d’ailleurs qu’une seule planète », mesure l’élu, qui
a lancé un « inventaire des biens communs » dans sa circonscription des
Bouches-du-Rhône dès le début de son mandat.
Le besoin de propriété collective
Il n’est pas le seul à se pencher sur cette question. Partout, dans le
monde, des mobilisations se font jour contre l’accaparement de l’eau, des
terres, des infrastructures et des savoirs par quelques-uns, au détriment du
plus grand nombre. « Le sujet d’actualité majeur qui entre en résonance
avec ma proposition, c’est bien sûr celui des vaccins contre le Covid. Les
grandes puissances s’avèrent incapables de se rassembler pour faire pression et
obtenir la levée des brevets ainsi que le partage des vaccins avec l’ensemble
de l’humanité, alors qu’il s’agit de biens communs par essence », insiste
le parlementaire. À ses yeux, le monde fait aujourd’hui face à un « processus
d’absolutisation de la propriété privée, qui se retourne plus que jamais contre
l’intérêt général », et qu’il convient de rompre au plus vite.
C’est aussi l’absence de propriété collective des ressources énergétiques
et des moyens de production qui a participé cette année à une explosion
historique des prix du gaz et de l’électricité. Et c’est encore la volonté que
les services publics ne soient plus gérés comme des biens communs mais comme
des secteurs à privatiser avec des salariés à exploiter qui conduit l’exécutif
à dépecer l’hôpital public et fermer des lits, sans s’assurer de l’égal accès
aux soins de tous sur l’ensemble du territoire.
Créer un statut dans le Code civil
Mais que propose la loi de Pierre Dharréville ? « Elle est en deux
parties. Il s’agit d’abord d’intégrer un statut et une définition des biens
communs dans le Code civil », explique l’élu, qui propose ici de
compléter l’article 714. Celui-ci affirme déjà qu’ « il est des
choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous. Des
lois de police règlent la manière d’en jouir ». Le parlementaire PCF
incite à ajouter cet alinéa : « Le statut de bien commun peut être
attribué à des biens matériels ou immatériels, quel que soit leur régime de
propriété, au regard de leur destination commune, de l’usage collectif qui en
est ou pourrait en être fait, de leur caractère de ressource nécessaire à
toutes et tous, des droits fondamentaux qui peuvent s’y rattacher, de
l’histoire collective qui a permis leur constitution, ou encore d e
leur caractère de rareté et de leur caractère patrimonial remarquable eu égard
aux menaces qui pourraient les mettre en danger. »
Et pour la deuxième partie de la loi ? « Il s’agit ici d’utiliser
la saisine citoyenne du Conseil économique, social et environnemental (Cese) à
travers une pétition, afin d’attribuer ce statut à tel ou tel bien. Un conseil
citoyen est ensuite installé afin d’organiser la gestion et la protection de ce
bien. » Si la loi était votée, de telles démarches pourraient être
lancées aussi bien pour l’eau que pour les barrages électriques, les bâtiments
patrimoniaux, les forêts et les rivières, les moyens de production, les
autoroutes, les médicaments, etc.
« Je n’ai pas voulu créer un nouveau régime de propriété, ni fournir une
liste de biens communs clés en main. Ce que je propose, c’est de créer un
mécanisme d’appropriation sociale et démocratique des biens communs, afin que
les citoyens s’en emparent eux-mêmes, un par un, et décident quoi faire et
comment gérer les biens en question », développe Pierre Dharréville. Le
député se dit persuadé qu’un tel outil peut « enclencher de fortes
dynamiques collectives », et que « la République elle-même peut se
refonder autour d’un grand mouvement de réappropriation des biens communs et
d’interrogation de la notion de propriété ».
« LaREM n’y est pas favorable »
Si elle a été « pensée
pour être raisonnable et adoptée », y compris par une majorité LaREM à
l’Assemblée, la réforme défendue par les députés PCF a été repoussée en
commission. « Le groupe LaREM n’y est pas favorable. Ce texte qui vise
à apporter des modulations législatives au droit de propriété est juridiquement
inopérant et litigieux au regard de la Constitution », a argumenté la
marcheuse Émilie Guerel. « Je ne trouve pas très défendable d’empêcher
la mise en place d’un processus d’intervention citoyenne. Mais je ne suis pas
surpris que les défenseurs de l’ordre néolibéral établi trouvent insupportable
de chercher à mettre un terme à la privatisation du monde », répond
Pierre Dharréville. Reste à savoir ce que votera l’Hémicycle, ce jeudi.
Du bon et juste usage de l’eau
L’eau, indispensable à toute vie : sa mise sous protection et son juste
partage en tant que bien commun sont rendus d’autant plus nécessaires que sa
rareté augmente avec le bouleversement climatique. Au Brésil, en Argentine et
au Paraguay, l’état d’urgence hydrique a ainsi été déclaré ces derniers mois.
Avec des conséquences en cascade sur l’agriculture, la pêche, la production
d’électricité ou encore le transport fluvial. « Quand il n’y a plus d’eau dans
les nappes phréatiques, le facteur de la consommation et du bon usage de l’eau
entre en compte », précise, à Reporterre, Christopher Carlos Cunningham, du
Centre brésilien d’alerte et d’observation des désastres naturels.
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