lundi 20 septembre 2021

« Terre d’accueil », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.

 


Que se passe-t-il au pays des Lumières pour qu’on soit soudain pris de honte à l’idée que des réfugiés afghans, impatients d’apprendre notre langue, découvrent dans les présentoirs de nos librairies le livre de la vedette du moment ? Des pages et des pages d’où suinte la haine d’un auteur qui leur tend un miroir atrocement déformant d’une immigration accusée de « coloniser » la France. Eux qui n’espéraient rien d’autre que de vivre en paix dans leur pays que les grandes puissances – dont la nôtre – ont entrepris de coloniser à leur manière, avant de l’abandonner aux fanatiques les plus furieux… Cette inversion des rôles serait drôle si la situation de ces femmes et ces hommes qui ont tout perdu n’était pas si tragique.

L’histoire ne connaît pas de colonisation du fort par le faible. Ces territoires de la République que le polémiste presque candidat décrit comme les bases arrière d’un projet de conquête ont en réalité pour principal dénominateur commun de faire cohabiter les plus déshérités d’entre les déshérités. La misère n’a ni frontière ni nationalité : elle a le visage de l’humanité tout entière, elle ne fait pas de distinction d’origine et de religion. Abandonnées par l’État, ces populations, dont la plupart sont françaises, sont de surcroît stigmatisées comme nouvelle « classe dangereuse ». Ultime degré dans l’abject, les voilà maintenant désignées coupables de naissance, comme l’illustrent le stupéfiant « débat » sur les prénoms qu’il faudrait interdire ou encore la couverture d’un magazine dont la sophistication dans le racisme le plus vil, en exhibant de beaux et attachants bébés, se retourne contre ses auteurs.

Pendant ce temps, dans le centre d’accueil des demandeurs d’asile de Piriac-sur-Mer, on fait des projets d’avenir. Samir, 22 ans, veut devenir informaticien, à Bordeaux. Sumaya, 20 ans, veut devenir médecin, à Colmar. À force de volonté et de travail, ils sauront bientôt parler et lire le français, s’ils ne sont pas renvoyés vers un autre pays d’Europe. Ils pourront alors saisir dans nos livres le sens que nous donnons aux mots : terre d’accueil.

 

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