jeudi 23 septembre 2021

« Indigeste », l’éditorial de Laurent Mouloud dans l’Humanité.

  


L’intitulé technico-technique ne doit pas faire détourner le regard. Le sommet mondial des « systèmes alimentaires », qui se tient aujourd’hui à New York sous l’égide de l’ONU, aborde un enjeu capital pour l’avenir de l’humanité : celui de la nourriture. Quelles pratiques agricoles ? Quel type de distribution et de consommation ? Quel rôle pour les industriels et les paysans ? Questions fondamentales. Car de la qualité de ces systèmes alimentaires dépend la lutte contre la faim dans le monde (811 millions de personnes sont actuellement en sous-nutrition, chiffre en hausse). Mais également le combat environnemental et climatique : ces circuits, du producteur au distributeur, sont tenus responsables d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre.

Le raout onusien risque surtout de nourrir pas mal de désillusions.

Autant dire que le raout onusien, où doivent se presser 85 chefs d’État et de gouvernement, a du pain sur la planche. Malheureusement, il risque surtout de nourrir pas mal de désillusions. Signe des temps, ce sommet n’a pas été convoqué par les États membres, mais – pour la première fois – suite à un partenariat signé avec… le forum économique mondial de Davos ! Les dix-huit mois de préparation n’ont fait que confirmer les craintes des ONG et autres défenseurs de l’agriculture paysanne. Là où ces derniers espéraient l’amorce d’un changement profond de modèle alimentaire, ils ont vu les multinationales de l’agrobusiness étendre leur influence, semer leurs solutions technologiques « révolutionnaires » (nouveaux OGM, viande in vitro…), en espérant gaver leur fonds de commerce. Navrant.

Alors que les petits paysans nourrissent 80 % de la planète, il est à craindre que ce « sommet des peuples » se fasse sans ces derniers. Et accentue surtout l’emprise de l’agriculture industrielle – et de son engrenage productiviste -– sur les terres, les semences, les gènes animaux et végétaux. De vieilles recettes indigestes qui résument la faim à un simple problème de production et non pas d’inégalités, de pauvreté et d’accaparement des ressources. Si l’ONU laisse de côté ces aspects, elle alimentera surtout une chose : la déception.

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