Les partisans du président brésilien ont bruyamment manifesté, mardi, dans les principales villes du pays. L’impact de ces défilés est pour l’instant limité, mais leur tenue continue de préoccuper les démocrates.
Rio de Janeiro (Brésil), correspondance.
L’extrême droite brésilienne a en partie gagné son pari : elle a réussi à
mobiliser largement ses militants dans les principales villes du pays pour la
fête de l’indépendance, ce mardi 7 septembre. Cette mobilisation, préparée
depuis des semaines par l’exécutif avec l’aide financière de l’agrobusiness et
de nombreux pasteurs évangéliques, avait pour objectif essentiel de montrer
l’appui que détiendrait encore le président, malgré sa chute vertigineuse de
popularité (35 % d’opinion positive selon le sondage d’Atlas Politico
réalisé le 4 septembre).
« Notre drapeau ne sera jamais rouge »
À Rio de Janeiro, plusieurs milliers de personnes vêtues aux couleurs du
Brésil et brandissant des drapeaux ont chanté l’hymne national et récité de
bruyantes prières. L’immense majorité des participants correspondaient bien à
son électorat, évangélique et conservateur, à l’image de Raquel, venue avec les
fidèles de son église pour « appuyer à 100 % le président. On
veut que notre patrie soit libre du communisme et que Bolsonaro soit réélu.
Nous sommes des patriotes et notre drapeau ne sera jamais rouge ». Ici
on défend pêle-mêle les « valeurs de la famille », le « droit
de s’armer pour se défendre » et « la liberté ». « Nous
voulons l’intervention des forces armées si la volonté du peuple n’est pas
respectée », indique Joao, la soixantaine, qui refuse comme
beaucoup de donner son nom. Le « peuple » est un mot que les bolsonaristes
aiment répéter pour se qualifier alors qu’ils représentent aujourd’hui à peine
un quart de la population brésilienne et qu’ils sont majoritairement blancs, de
sexe masculin et appartenant aux classes privilégiées.
La plupart des banderoles ciblaient les autres pouvoirs (judiciaire et
législatif) de la fédération et en particulier la Cour suprême et le Tribunal
supérieur électoral. Tant les députés que les juges de ces deux instances ont
refusé de remplacer le système de vote électronique qu’utilise le Brésil par
des bulletins en papier comme le réclame le chef de l’exécutif depuis des mois.
Selon lui, si le vote papier n’est pas adopté lors de la prochaine
présidentielle en octobre 2022, il y aura une fraude électorale. Un discours
qu’il a encore répété ce mardi à Sao Paulo en promettant qu’il ne
suivrait « plus une seule décision du judiciaire et si les juges ne se
rangent pas derrière les limites définies par la Constitution, il y aura des
conséquences. On ne peut accepter un système électoral qui ne nous donne pas
toute sécurité pour la prochaine élection ». Un discours calqué sur
celui de son ancien mentor Donald Trump, dont l’invasion ratée du Capitole est
désormais dans toutes les têtes au Brésil.
Les forces de police invitées à entrer dans le jeu politique
S’il est clair que Bolsonaro n’acceptera pas un résultat défavorable à la
prochaine élection, les institutions ne lui donnent pas pour l’instant raison.
Reste que les menaces de violence et de rupture démocratique sont prises très
au sérieux par la majorité des analystes. « Il n’y a pas eu de coup
d’État ce 7 septembre mais Bolsonaro en prépare bien un. Le président
brésilien veut une invasion organisée, pas comme celle du Capitole américain.
Ce 7 septembre est bien une répétition pour 2022 », estime par exemple
le politologue Carlos Nobre.
Les forces de police, estimées à près de 700 000 membres au Brésil avec
plus de 250 000 réservistes, sont régulièrement appelées par le président
Bolsonaro à entrer dans le jeu politique. Selon une étude publiée à la veille
de ces mobilisations, 30 % des policiers assuraient vouloir manifester aux
côtés du président, malgré l’interdiction explicite dans leurs statuts. Leur
présence est difficile à détecter au milieu des militants bolsonaristes, qui
aiment porter l’habit et les attributs militaires. Mais c’est, sans aucun
doute, une force sur laquelle le président peut compter au sein de « son
peuple ».
Pour l’instant, la majorité de la population brésilienne est plus attentive
à sa gestion désastreuse de la crise sanitaire et aux mauvais résultats
économiques qu’au système de vote. L’inflation atteint 7,8 % et la
croissance du PIB ne devrait pas dépasser les 2 % en 2022. La stratégie du
président, consistant à alimenter sans cesse le chaos et la peur, ne semble pas
porter les fruits escomptés : sa popularité pourrait encore s’effriter après
cette journée de mobilisation, selon le politologue Andrei Roman, qui a dirigé
l’enquête pour Atlas Politico.
140 demandes de destitution du chef de l’État
D’autre part, les menaces explicites proférées mercredi contre le pouvoir
judiciaire rendent encore plus difficile la tâche du président de la Chambre
des députés, Arthur Lira, d’ignorer les 140 demandes de destitution du
président qu’il a sur son bureau. Le fait de refuser d’obéir au pouvoir
judiciaire est un crime de responsabilité bien clairement inscrit dans la
Constitution, comme le notaient tous les éditorialistes, mercredi. Bolsonaro
semble oublier cette possibilité tant il est déjà concentré sur la prochaine
élection.
Selon tous les sondages,
si Bolsonaro a de bonnes chances d’accéder au second tour de l’élection
présidentielle, il n’en a aucune de l’emporter face à la probable candidature
de l’ancien président Lula. Désormais blanchi par la justice, qui a abandonné
toute poursuite judiciaire contre lui, Luiz Inacio Lula Da Silva caracole en
tête des intentions de vote et se conduit déjà comme le prochain chef d’État.
La veille de ce 7 septembre, il a adressé un message à la nation bien
différent de celui de Bolsonaro, plaidant pour la réconciliation, l’union et
l’espérance, sans appeler ses troupes à descendre dans la rue. La gauche s’est
pourtant elle aussi mobilisée, comme elle le fait de plus en plus souvent, mais
loin des troupes bolsonaristes, pour éviter toute violence, avec des
manifestants équipés de masques FFP2, là encore à la différence de l’extrême
droite, qui, comme son leader, continue de nier l’épidémie de Covid-19. Une
image tout en contraste avec celle des défilés bolsonaristes relevée jusque
dans les médias, pourtant très critiques envers le Parti des travailleurs (PT).
Reste à espérer que les électeurs brésiliens s’en souviendront au moment de
mettre leur vote dans l’urne en octobre 2022, qui sera très certainement
électronique, n’en déplaise à Jair Bolsonaro.
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