À Marseille, le congrès
de l’Union internationale pour la conservation de la nature devrait défendre la
création d’aires protégées sur 30 % des terres et 30 % des océans. Un
objectif louable mais qui inquiète les défenseurs des droits humains.
La sauvegarde de la nature passe-t-elle par sa mise sous cloche ? La
question a des chances d’être posée ces prochains jours. La communauté
internationale se réunit à compter de ce 3 septembre dans le cadre du
Congrès mondial de la nature, qui se tiendra pendant une semaine à Marseille.
Vaste forum organisé par l’Union internationale pour la conservation de la
nature (UICN), structure mondiale rassemblant, hors cadre onusien, des États,
des ONG et des scientifiques, l’événement se déroule à l’orée d’une saison
décisive. Dans huit mois se tiendra à Kunming, en Chine, la 15e conférence des
parties sur la biodiversité, la COP15, étape clé des négociations
internationales. Sans faire partie de ce cycle, le congrès de l’UICN va offrir
une idée claire de ce qui pourra s’y décider.
Dès cette semaine, des représentants de gouvernements vont se relayer à la
tribune. Emmanuel Macron y passe dès ce 3 septembre – le chef de l’État
est attendu sur la question des moyens qu’il compte consacrer à la
biodiversité.
Des villageois expulsés
La résolution finale de l’UICN devrait plaider pour des mesures fermes en
termes de protection de la nature. Entre autres pour la couverture en aires
protégées de 30 % des terres et 30 % des océans d’ici à 2030. Très
concrètement, les activités humaines n’auront peu ou pas de droit de cité dans
ces zones. Le but est de ficher une paix royale à la biodiversité jusqu’à ce
qu’elle se régénère et prospère de nouveau.
L’enjeu est réel : près de « 75 % de la surface terrestre est
altérée de manière significative par l’action humaine », indiquent, dans un
rapport publié en 2019, les experts de l’IPBES, plateforme scientifique et
politique souvent surnommée Giec de la biodiversité. Plus de « 85 %
de la surface des zones humides a aujourd’hui disparu », soulignent-ils. In
fine, cette dégradation « compromet 80 % des objectifs relatifs à
la pauvreté, à la faim ou encore à la santé ».
Mais au-delà ce constat, l’objectif de sanctuariser un plus grand nombre
d’aires ne va pas sans poser de questions au sein même d’organisations
environnementales. « Nous ne sommes pas contre un tel dispositif, mais
pas non plus pour se contenter d’un simple label », résume Marine Pouget,
responsable du Réseau Action Climat (RAC), lequel comprend plusieurs ONG
membres de l’UICN. « Il y a des lignes rouges à poser, entre autres en
termes de respect des droits humains. »
Car le retour d’expérience pose problème. Adoptés en 2010, les objectifs
dits d’Aichi fixaient déjà un objectif quasi atteint de couverture en aires
protégées de 17 % des zones terrestres et de 10 % des zones marines
et côtières. Engagée dans la bataille pour la défense des droits des peuples
autochtones, l’ONG Survival International en dresse un bilan dramatique. « Des
villageois se font expulser de leurs terres par des gardes armés ou sont
empêchés d’y pénétrer pour chasser ou cueillir », témoigne Fiore Longo,
porte-parole de l’organisation. « Nous ne connaissons pas une seule
aire strictement protégée qui ait été créée avec le plein consentement des
populations locales », déplore encore la porte-parole.
En 2017, c’est le WWF lui-même qui était mis en cause. Une plainte était
déposée contre l’ONG au célèbre panda, composante majeure de l’UICN en France,
dénonçant les agissements de patrouilles antibraconnage contre les peuples de
l’ethnie Baka dans les forêts protégées du Cameroun. L’organisation a depuis
commandé une enquête indépendante, laquelle a démontré la véracité des
exactions mais réfute l’implication de membres du WWF. Le Fonds mondial pour la
nature affirme en tirer des enseignements et se positionne fermement pour la
protection des populations locales. « Protéger 30 % des zones
terrestres et maritimes est un impératif mondial, mais il doit se mettre en
place avec la garantie absolue que cela se fera dans le respect des droits des
peuples », résume Pierre Canet, responsable plaidoyer de l’organisation en
France.
Un milliard d’individus affectés
« Les droits des populations locales seront pris en compte », assure aujourd’hui
Sébastien Moncorps, directeur du comité français de l’UICN. Lors de son
précédent congrès, la structure mondiale a d’ailleurs intégré en son sein
l’Organisation mondiale des peuples autochtones.
Ils ne sont pas les
seuls concernés par les aires de protection exclusive.En 2019, un collectif de
chercheurs suisses et britanniques publiait, dans la revue Nature,
un article tout aussi inquiétant : la multiplication de ces zones risque
d’affecter des millions de personnes. « Au moins un milliard
d’individus vivent dans des lieux qui seraient concernés par la mise sous
protection envisagée de plus de la moitié de la planète », note-t-il. « La
prise en compte des impacts sociaux et économiques de ces propositions est
essentielle pour répondre aux préoccupations de justice sociale et environnementale », prévient-il.
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