vendredi 3 septembre 2021

Biodiversité. Faut-il mettre la nature sous cloche pour la protéger ?

 


Marie-Noëlle Bertrand

À Marseille, le congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature devrait défendre la création d’aires protégées sur 30 % des terres et 30 % des océans. Un objectif louable mais qui inquiète les défenseurs des droits humains.

La sauvegarde de la nature passe-t-elle par sa mise sous cloche ? La question a des chances d’être posée ces prochains jours. La communauté internationale se réunit à compter de ce 3 septembre dans le cadre du Congrès mondial de la nature, qui se tiendra pendant une semaine à Marseille. Vaste forum organisé par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), structure mondiale rassemblant, hors cadre onusien, des États, des ONG et des scientifiques, l’événement se déroule à l’orée d’une saison décisive. Dans huit mois se tiendra à Kunming, en Chine, la 15e conférence des parties sur la biodiversité, la COP15, étape clé des négociations internationales. Sans faire partie de ce cycle, le congrès de l’UICN va offrir une idée claire de ce qui pourra s’y décider.

Dès cette semaine, des représentants de gouvernements vont se relayer à la tribune. Emmanuel Macron y passe dès ce 3 septembre – le chef de l’État est attendu sur la question des moyens qu’il compte consacrer à la biodiversité.

Des villageois expulsés

La résolution finale de l’UICN devrait plaider pour des mesures fermes en termes de protection de la nature. Entre autres pour la couverture en aires protégées de 30 % des terres et 30 % des océans d’ici à 2030. Très concrètement, les activités humaines n’auront peu ou pas de droit de cité dans ces zones. Le but est de ficher une paix royale à la biodiversité jusqu’à ce qu’elle se régénère et prospère de nouveau.

L’enjeu est réel : près de « 75 % de la surface terrestre est altérée de manière significative par l’action humaine », indiquent, dans un rapport publié en 2019, les experts de l’IPBES, plateforme scientifique et politique souvent surnommée Giec de la biodiversité. Plus de « 85 % de la surface des zones humides a aujourd’hui disparu », soulignent-ils. In fine, cette dégradation « compromet 80 % des objectifs relatifs à la pauvreté, à la faim ou encore à la santé ».

Mais au-delà ce constat, l’objectif de sanctuariser un plus grand nombre d’aires ne va pas sans poser de questions au sein même d’organisations environnementales. « Nous ne sommes pas contre un tel dispositif, mais pas non plus pour se contenter d’un simple label », résume Marine Pouget, responsable du Réseau Action Climat (RAC), lequel comprend plusieurs ONG membres de l’UICN. « Il y a des lignes rouges à poser, entre autres en termes de respect des droits humains. »

Car le retour d’expérience pose problème. Adoptés en 2010, les objectifs dits d’Aichi fixaient déjà un objectif quasi atteint de couverture en aires protégées de 17 % des zones terrestres et de 10 % des zones marines et côtières. Engagée dans la bataille pour la défense des droits des peuples autochtones, l’ONG Survival International en dresse un bilan dramatique. « Des villageois se font expulser de leurs terres par des gardes armés ou sont empêchés d’y pénétrer pour chasser ou cueillir », témoigne Fiore Longo, porte-parole de l’organisation. « Nous ne connaissons pas une seule aire strictement protégée qui ait été créée avec le plein consentement des populations locales », déplore encore la porte-parole.

En 2017, c’est le WWF lui-même qui était mis en cause. Une plainte était déposée contre l’ONG au célèbre panda, composante majeure de l’UICN en France, dénonçant les agissements de patrouilles antibraconnage contre les peuples de l’ethnie Baka dans les forêts protégées du Cameroun. L’organisation a depuis commandé une enquête indépendante, laquelle a démontré la véracité des exactions mais réfute l’implication de membres du WWF. Le Fonds mondial pour la nature affirme en tirer des enseignements et se positionne fermement pour la protection des populations locales. « Protéger 30 % des zones terrestres et maritimes est un impératif mondial, mais il doit se mettre en place avec la garantie absolue que cela se fera dans le respect des droits des peuples », résume Pierre Canet, responsable plaidoyer de l’organisation en France.

Un milliard d’individus affectés

« Les droits des populations locales seront pris en compte », assure aujourd’hui Sébastien Moncorps, directeur du comité français de l’UICN. Lors de son précédent congrès, la structure mondiale a d’ailleurs intégré en son sein l’Organisation mondiale des peuples autochtones.

Ils ne sont pas les seuls concernés par les aires de protection exclusive.En 2019, un collectif de chercheurs suisses et britanniques publiait, dans la revue Nature, un article tout aussi inquiétant : la multiplication de ces zones risque d’affecter des millions de personnes. « Au moins un milliard d’individus vivent dans des lieux qui seraient concernés par la mise sous protection envisagée de plus de la moitié de la planète », note-t-il. « La prise en compte des impacts sociaux et économiques de ces propositions est essentielle pour répondre aux préoccupations de justice sociale et environnementale », prévient-il.

 

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