Spécialiste en
neurosciences et membre du comité d’éthique de l’Inserm, Catherine Vidal
détaille les inégalités de soins et de prise en charge médicale entre hommes et
femmes.
CATHERINE VIDAL, Neurobiologiste
Le rapport du Haut Conseil à l’égalité « Prendre en compte le sexe et le
genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique » (2020) montre le
préjudice que provoquent les stéréotypes de genre et propose des pistes pour
les résorber.
Comment expliquer le
retard de la France en matière d’égalité de soins et de prise en charge
médicale entre femmes et hommes ?
Catherine Vidal : Le rapport part du constat que des inégalités de
santé entre les femmes et les hommes sont toujours bien présentes dans la
société. Certes, l’espérance de vie des femmes est plus longue, les garçons nés
en 2019 peuvent compter vivre soixante-dix-neuf ans, les filles
quatre-vingt-cinq ans, mais les femmes vivent plus longtemps en mauvaise santé.
Comme la société, la médecine est imprégnée par des stéréotypes qui conduisent
à des situations d’inégalités dans l’accès aux soins, souvent au détriment des
femmes.
Quelles en sont les
conséquences ?
Catherine Vidal : Les représentations sociales liées au genre
influencent les pratiques médicales et l’attitude des patients. Un exemple
typique est celui de l’infarctus du myocarde, qui est encore sous-diagnostiqué
chez les femmes, car considéré à tort comme une maladie d’hommes, stressés par
le travail. Les femmes en minimisent les symptômes et appellent le Samu plus
tardivement que les hommes. Un autre exemple est celui des troubles dépressifs,
qui touchent deux fois plus les femmes que les hommes. La raison principale
n’est pas due aux hormones féminines, comme il a été longtemps prétendu. La
cause majeure est liée au contexte socio-économique (précarité, charge mentale,
violences), qui expose davantage les femmes que les hommes aux risques de
dépression. Les représentations stéréotypées des maladies concernent aussi les
hommes. Ainsi, l’ostéoporose n’est pas l’apanage des femmes ménopausées. Un
tiers des fractures ostéoporotiques concerne les hommes. Or, pour eux, le
diagnostic et le traitement de l’ostéoporose sont quasi inexistants.
Vous insistez sur le
rôle majeur des conditions sociales dans les inégalités de santé…
Catherine Vidal : Dans la vie au travail, les facteurs de risques et
de pénibilité sont sous-estimés chez les femmes. Les troubles
musculo-squelettiques et les risques psychosociaux touchent plus gravement les
femmes, en particulier les employées et les ouvrières. Les cancers d’origine
professionnelle sont moins souvent reconnus chez les femmes que chez les
hommes. Une étude récente de l’Inserm montre que le travail de nuit augmente de
26 % les risques de cancer du sein. Autres menaces pour la santé : la précarité
et le poids des charges domestique et familiale. La pauvreté, qui touche
majoritairement les femmes, s’accompagne de risques sanitaires accrus :
logement dégradé, mauvaise alimentation, sédentarité, pénibilité au travail,
autant de facteurs qui favorisent l’obésité, le diabète, les maladies
cardio-vasculaires, les troubles dépressifs, etc. Les femmes sont aussi
les premières victimes de violences, ce qui se répercute sur leur santé mentale
et physique.
Comment relever le défi
d’une médecine plus égalitaire ?
Catherine Vidal : Nous
appelons à créer un enseignement obligatoire sur l’influence du genre dans les
pratiques médicales et les relations avec les malades, dans le cadre de la
formation initiale et continue des étudiants et des professionnels de santé. La
question du dépistage des violences doit fait partie de cette formation. Il est
tout aussi important de mettre en place des campagnes d’information et de
prévention auprès du grand public. Une autre priorité est de créer en France
une nouvelle instance de recherche publique dédiée à la thématique « Genre et
santé », afin de structurer les recherches en médecine, santé publique et
sciences sociales, avec des financements nationaux et internationaux. Un autre
impératif est de veiller à la parité dans les postes de responsabilité à
l’hôpital et dans la recherche, où les femmes restent minoritaires.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire