SDF, travailleurs sans
papiers, déboutés de l’asile, exilés en attente de couverture sociale : autant
de situations qui freinent l’accès à la vaccination. Pour ceux qui les
subissent, le passe sanitaire rend la survie encore plus compliquée. Reportage.
« C ’est aux Restos du cœur que l’on m’a indiqué qu’ici,
on pourrait être vacciné même si on n’a pas de papiers », confie Mizata,
une Ivoirienne, devant la clinique mobile de Médecins sans frontières (MSF),
porte de la Villette, à Paris. Accompagnée de son mari Mamadou et de Maéva,
leur petite fille de 3 ans, elle mesure sa chance : « Au pays,
c’est très difficile d’y avoir accès, ici, en plus, c’est gratuit », se
réjouit-elle tandis que la famille prend sa place dans la file où se pressent
déjà une bonne cinquantaine de personnes, alors même que les logisticiens de
MSF sont encore en train d’installer les barnums.
Depuis le début de l’opération, le 8 juin, plusieurs centaines de
personnes affluent chaque mardi et jeudi, de 11 heures à 16 heures,
pour recevoir leur première ou deuxième injection devant les tentes blanches où
MSF vaccine sans rendez-vous. « Cela ne désemplit pas depuis que nous
avons commencé, précise Cristiana Castro, la responsable d’activité
Covid-19 à MSF. À ce jour, nous avons déjà injecté 5 000 doses de
Pfizer, mais c’est une goutte d’eau par rapport aux besoins. » Médecins
sans frontières est l’une des seules ONG à proposer la vaccination sans
rendez-vous en région parisienne. « Malheureusement, il y a beaucoup
d’attente et, même si nous faisons le maximum, nous sommes parfois obligés de
refuser des gens en fin de journée », regrette Cristiana. Qui pointe le
caractère essentiel de dispositifs tels que celui-là : « Les gens qui
viennent ici ne se seraient pas fait vacciner ailleurs : ils n’ont souvent pas
de papiers, pas ou plus de couverture sociale, beaucoup vivent à la rue et ne
peuvent pas prendre de rendez-vous sur Internet. Ils sont en confiance car ils
connaissent MSF et savent qu’on ne leur demande pas de numéro de Sécurité
sociale… »
Bien souvent, la prise en charge dépasse d’ailleurs la simple vaccination.
Pour Momo, 25 ans, en France depuis cinq ans, où il survit en faisant des
livraisons à vélo tout en dormant dehors, c’est plus que salutaire. L’un des
travailleurs sociaux de l’équipe s’adresse à lui : « Je vais prendre
ton nom et reviens te voir après ton injection, on va voir ensemble si on peut
te trouver un hébergement pour ce soir. » Le visage du jeune Malien,
visiblement épuisé, s’éclaire. « J’ai bien fait de venir ici, souffle-t-il. Il
faut que je protège ma santé, car dans le squat où je dors, parfois, on est
beaucoup et, dans ma situation, c’est quasiment impossible de respecter les
gestes barrières, d’avoir un masque propre et de se laver régulièrement les
mains… »
Brutalité des mesures restrictives
Le jeune homme, dont plusieurs symptômes ont inquiété les infirmiers, verra
aussi Sandra Petiot, la médecin, sur place. Stéthoscope autour du cou, elle
reçoit essentiellement des personnes touchées par des pathologies liées à la
vie à la rue, comme la gale, les infections pulmonaires, mais aussi beaucoup de
patients avec des problèmes psychologiques dus à des chocs
post-traumatiques. « Nous donnons des médicaments pour les affections
qui peuvent être soignées rapidement. Pour les gens qui souffrent de maladies
chroniques ou requièrent une prise en charge longue, nous les orientons vers le
service dédié à l’hôpital avec des lettres de recommandation. Sans notre aide,
il y a très peu de chance qu’ils trouvent la bonne porte pour se faire soigner.
Or, sans passe sanitaire, s’ils ne sont pas en urgence vitale, ils
n’auront plus la possibilité d’entrer à l’hôpital… » soupire-t-elle.
Le principal frein à la prise en charge médicale et à la vaccination des
plus démunis, c’est la barrière de la langue. Pièce maîtresse du dispositif de
MSF, Elias, le traducteur, n’arrête pas une seconde. Le jeune Afghan de
27 ans fait la navette entre le point d’accueil, les barnums de
vaccination, ceux des infirmiers et le camion du médecin, passant d’une langue
à l’autre avec une facilité déconcertante. Il en parle huit ! « Français,
turc, anglais, arabe, grec, italien et les deux langues de mon pays, le dari et
le pachto… », énumère le jeune réfugié politique qui a été traducteur pour
les soldats français et américains avant de devoir quitter l’Afghanistan, où sa
vie était menacée. Il a travaillé dans le camp de Lesbos, en Grèce, et enchaîne
désormais les missions pour MSF. Encouragés par son visage souriant et
profitant de pouvoir (pour une fois) se faire comprendre, beaucoup d’étrangers
lui confient leurs interrogations concernant le passe sanitaire. « Les
personnes à la rue ne savent pas si elles vont encore pouvoir entrer dans un
café pour recharger leur téléphone ou aller aux toilettes, si elles auront
encore accès aux hébergements d’urgence, aux accueils de jour et même si elles
pourront encore entrer dans les bâtiments publics comme la préfecture ou la
caisse d’allocations familiales… les restrictions les inquiètent énormément », rapporte
le traducteur.
Ce qui choque les personnes qui font la queue, c’est la brutalité de la
mise en place des mesures restrictives, parfois appliquées de manière un peu
trop zélée par leurs employeurs. « Quand mon patron a entendu Macron
parler du passe sanitaire à la télé, il m’a dit le lendemain que si je ne me
faisais pas vacciner, je ne pourrai plus travailler. Lui se fiche de ma santé,
mais il a peur des contrôles », témoigne Blerdi, Albanais de 38 ans
qui vend des tapis sur les marchés.
C’est aussi pour garder son emploi que René, responsable sûreté à la Cité
des sciences, est venu se faire vacciner « en voisin » ce matin-là. « Je
viens sur mon temps de travail et les collègues n’arrêtent pas de m’appeler car
ils ont besoin de moi, je ne pensais pas qu’il y aurait autant d’attente… mais
je n’ai pas le choix », peste-t-il. Pas le choix non plus pour Aicha, qui
garde des enfants. « Les parents ne veulent pas d’une nounou qui ne
serait pas vaccinée, mais je le fais aussi pour ma propre santé », assure
la jeune Guinéenne. « C’est un scandale, ce passe sanitaire ! »,
lance Parwaiz, très en colère. Récemment arrivé à Paris après plusieurs années
à Toulouse, où il a été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance à son
arrivée en France en 2008, le jeune Afghan, polyglotte, vient chaque jour
à la clinique mobile de MSF pour « donner un coup de main ». Tandis
qu’il garde le vélo d’un jeune livreur en train de se faire vacciner, il
explique : « J’ai des amis qui sont descendus dans le Sud pour
travailler au ramassage des fruits. Là-bas, on ne leur demande pas de vaccin,
d’ailleurs, ils n’ont même pas de contrat. Mais comment vont-ils faire pour
rentrer à Paris en train à la fin de la saison ? Sans passe sanitaire, ce ne
sera pas possible. Ou alors, ils vont payer une amende ? C’est
vraiment du racket, et on cible toujours les mêmes ! » s’énerve le
jeune homme.
« Pallier les manquements de l’État »
Mêmes interrogations chez les bénévoles de la Chorba, qui distribuent les
repas quelques dizaines de mètres plus loin. « Moi, j’incite nos
bénéficiaires à aller se faire vacciner, c’est important de ne pas ajouter la
maladie à tout ce qu’ils subissent déjà », assure Marie en tendant un sac
plastique contenant un repas froid à Ali, un chibani qui vient ici tous les
jours. La jeune retraitée, qui œuvre dans plusieurs associations d’aide aux
plus pauvres « pour pallier les manquements de l’État », alerte
cependant sur les problèmes d’accès au vaccin pour le public de son
association : « Si les jeunes ont tous des téléphones portables, ce
n’est pas le cas des plus âgés et des plus abîmés de nos habitués. Certains de
nos SDF ne sont pas en mesure de conserver un certificat de vaccination,
d’autres sont si désorientés qu’ils auront du mal à venir pour la deuxième
dose, même si on leur fixe un rendez-vous après la première… »
Faute de vaccin et donc de passe sanitaire, la survie de ceux qui peinent
déjà à se loger et à se nourrir va donc se compliquer. « Le midi, nous
distribuons environ 750 repas à emporter, ça, on va pouvoir continuer à le
faire, mais le soir nous servons des repas chauds à l’intérieur. Là, il va
peut-être nous falloir trier les gens et refouler ceux qui ne sont pas
vaccinés. » Un crève-cœur pour la bénévole, alors même qu’en plein
mois d’août plusieurs lieux de distribution alimentaire et d’accueil de jour
sont fermés. « Le passe sanitaire me paraît en totale contraction avec
l’accueil inconditionnel, qui est notre ADN », conclut-elle.
« Les gens qui font la queue pour se faire vacciner ce matin ne sont pas
venus par hasard, c’est le fruit d’un gros travail de sensibilisation sur les
lieux d’hébergement, de domiciliation ou même dans la rue, en partenariat avec
le Samu social ou d’autres associations comme les Restos du cœur,
Aurore, etc. », insiste Cristiana. Hélas, plutôt que de renforcer les moyens dédiés aux
plus marginalisés de nos concitoyens, le gouvernent a délibérément choisi la
répression. « Le passe sanitaire rajoute de l’injustice à l’injustice », résume
la cadre de MSF.
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