L’astrophysicien Pierre
Léna nous rappelle ce qu’est la science, dans une période où elle se voit
bousculée. Entretien.
La dernière période a mis en lumière une difficulté à partager les données
scientifiques. Qu’est-ce que cela traduit ?
Pierre Léna : Le jugement des Français sur les sciences est paradoxal.
Les découvertes scientifiques les intéressent, et même les passionnent. Dans le
même temps, le manque de confiance dans la science est manifeste. L’épidémie de
Covid-19 l’a clairement renforcé. Celle-ci a donné à voir une science en train
de se faire, une science qui n’a pas encore construit de solide, qui ne peut
pas dire : voilà ce qui marche. Cette science en train de se faire est devenue
sujet de conversation. On a assisté en direct aux hésitations, aux combats
d’ego, les uns disant blanc, d’autres disant noir, sans que l’on sache qui
croire. Cela a conduit à entretenir l’idée fausse que la science serait une
opinion. Cela a également conduit à rendre invisible le processus de validation
des connaissances. Le tout crée de la défiance.
S’est-il passé le même phénomène avec les sciences du climat, longtemps
confrontées au doute quant à la réalité du réchauffement ?
Pierre Léna : L’article fondateur de la problématique des gaz à effet
de serre a été posé par Charney dans un rapport rendu en 1979. Il y décrivait
déjà ce qui a été plus finement analysé au cours des quarante années suivantes.
Il est naturel que ce qu’il avançait ait suscité le besoin d’être vérifié. Le
Giec s’attache à le faire depuis sa création, en 1988. Mais ce qui était une
intuition est devenu une connaissance solide. Le changement climatique n’est
pas une opinion. La science, en général, n’est pas une opinion. C’est une
construction laborieuse, collective, parfois hésitante, qui consiste à poser
des hypothèses et à prendre le temps nécessaire pour les vérifier. Cette
construction permet d’établir du vrai. Non pas la vérité, la science n’est pas
dogmatique, mais de la vérité, c’est-à-dire des éléments solides sur lesquels
s’appuyer. Lorsqu’on embarque dans un avion, nous faisons confiance à la
mécanique des fluides, à la résistance des matériaux… cette confiance repose
sur le fait que lorsque des données sont sérieusement établies, elles
s’imposent comme une vérité. Il en va de même avec le climat : il s’impose tout
autant que le fait qu’un avion vole.
Les débats restent vifs quant aux changements à opérer pour y faire face…
Pierre Léna : La
science, de nos jours, est une source majeure de transformation de nos
sociétés. C’est singulièrement le cas avec le changement climatique. Ce qu’elle
nous apprend appelle à faire des choix qui affectent nos modes de vie, de
consommation, de mobilité. Or, cette transformation et la rapidité avec
laquelle elle est appelée à se faire inquiètent. Pourtant, ces choix ne sont
plus du ressort de la production du solide : ils appartiennent au domaine de
l’éthique, de l’application, de l’agir, des valeurs et de la justice. Est-il
juste ou injuste, humain ou inhumain de faire telle ou telle action ? Ce n’est
pas à la science de dire s’il faut choisir entre l’explosion du nombre de réfugiés
climatiques ou le maintien des profits de telle ou telle entreprise. La
vaccination contre la Covid nous place de la même manière face à des choix
déterminants. Celui, par exemple, défendu par l’OMS d’utiliser les capacités
vaccinales mondiales pour soutenir les pays pauvres plutôt que pour assurer une
3e dose ou vacciner les enfants dans les pays riches. Tout cela relève d’un
questionnement éthique. Il interroge des valeurs, qui elles-mêmes sont sources
de choix politiques et économiques.
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