La cérémonie d’ouverture des jeux Paralympiques de Tokyo a lieu ce mardi 24 août. Entretien avec le psychologue Hubert Ripoll, spécialiste du mental des champions et de la résilience par le sport.
Spécialiste en neurosciences, l’universitaire Hubert Ripoll a créé à
l’Institut national du sport et de la performance (Insep) le premier
laboratoire français de psychologie cognitive appliquée au sport. Auteur de
nombreux livres sur le mental des champions et leur psychologie, il a notamment
publié en 2016 de la Résilience par le sport (Odile Jacob)
et les Champions et leurs émotions (Payot) en 2020. À
l’occasion des jeux Paralympiques qui s’ouvrent à Tokyo, il décrypte pour l’Humanité les
différents ressorts psychologiques des athlètes handicapés.
Comment et par quels processus les athlètes paralympiques parviennent-ils à
dépasser leur handicap pour réaliser de telles performances sportives ?
Hubert Ripoll : C’est l’aboutissement d’un long processus qui commence avec le
handicap lui-même, et c’est encore plus vrai pour les handicapés au cours de la
vie, à la suite d’un accident, d’une maladie… La résilience est un rebond.
Mais, plus qu’un rebond, la résilience c’est faire quelque chose de sa
souffrance, d’un événement qui vous a jeté à terre. Ce processus de résilience
est singulier chez les handicapés. Tout va dépendre du rapport qu’ils vont
avoir au corps. Un certain nombre vont très rapidement dépasser le corps que
l’on soigne, avec des soins qui sont source de déplaisir, pour parvenir à
retrouver une activité au cours de laquelle, pour la première fois, le corps ne
sera plus douleur, mais source de plaisir, le plaisir de faire. Le corps que
l’on va appareiller, manipuler, n’est plus inerte. À partir de là s’engage une
quête vers plus de plaisir, plus d’autonomie et à un moment donné le besoin du
dépassement et le besoin de rêver. Et, au bout de ce rêve, il y a le
dépassement de soi. Bien sûr que les athlètes paralympiques font de la
compétition pour gagner mais c’est plus pour gagner sur eux-mêmes que pour
gagner sur les autres.
Et ceux qui sont nés avec un handicap ?
Hubert Ripoll : Pour ceux nés handicapés, le processus est un peu différent.
L’environnement va jouer un rôle important. Les parents d’un enfant handicapé
doivent d’abord être des accompagnants et des incitateurs. Et ce rapport au
sport va se passer dans ce compagnonnage. On est plus proche de ce que l’on va
trouver chez les athlètes valides avec comme toujours le corps qui amène du
plaisir et permet de s’épanouir. Mais aussi faire des rencontres dans des
clubs, généralement où il y a d’autres personnes handicapées, et où on n’est
plus l’exception mais la norme. Ce sont des rencontres à la fois humaines et
avec son propre corps.
Qu’est-ce qui pousse les athlètes paralympiques à transcender leurs
blessures ?
Hubert Ripoll : Ils trouvent cette force dans leur histoire. Le parcours d’une
personne handicapée, c’est d’abord un parcours psychologique qui à un moment va
permettre à la personne de se transcender. C’est le psychologique qui va tirer
le corps. Avant de monter sur un podium, il y a une histoire qui a duré des
années, durant laquelle ils se sont construits et ont eu le besoin de se dépasser.
La notion de dépassement est une notion psychologique : je fais mieux que ce
que j’étais capable de faire. Chez les handicapés, il y a quelque chose que
l’on trouve beaucoup moins chez les valides, qui est le plaisir de faire et le
besoin d’améliorer ce qui dysfonctionne en quelque chose qui fonctionne
parfaitement. Le sportif handicapé qui monte sur un podium avec sa prothèse,
c’est quelqu’un qui, à un moment de sa vie, a caché sa prothèse. Brusquement
cette prothèse, qui était le support d’une stigmatisation, devient quelque
chose d’ostentatoire. Il va montrer sa prothèse, il va vaincre avec sa prothèse
qui fait partie de lui et lui permet de devenir un « héros ». Le sport est un
moyen de sublimer la blessure et pour certains de la révéler aux yeux de tout
le monde.
Le regard des autres, de la société, joue-t-il un rôle important dans le
parcours du sportif handicapé ?
Hubert Ripoll : Oui, mais moins que pour les sportifs valides. Cela n’arrive que
très tard chez les athlètes handicapés, ce n’est pas ce qui les amène à
concourir et à se dépasser. Mais, lorsqu’ils montent sur la première marche du
podium, ils vont utiliser le regard de l’autre vis-à-vis d’eux-mêmes pour
changer celui porté par la société sur le handicap et améliorer la condition
sociale des personnes handicapées. En vingt ans, j’ai rencontré une bonne
centaine de champions valides qui doivent totaliser entre 200 et
300 médailles, je n’en ai connu que deux qui souhaitaient s’engager pour
les autres, c’est-à-dire utiliser leur position, leur statut social pour faire
avancer les autres. Les sportifs valides se disent avant tout comment vais-je
pouvoir monnayer ma médaille ? Alors que les sportifs handicapés, lorsqu’ils
sont sur la plus haute marche ou dès qu’ils ont connu des succès notables,
pensent à l’image qu’ils donnent du handicap et tous, je dis bien tous sans
exception, sont des porte-parole de la condition du handicap, ce sont des
militants, ils font des conférences, vont dans les écoles, ils sont actifs dans
le milieu associatif… Ils sont moins tournés vers eux-mêmes et plus tournés
vers les autres parce qu’ils ont besoin des autres et qu’ils veulent les aider.
Quelle analyse faites-vous de l’évolution de la société sur la question du
handicap ?
Hubert Ripoll : Le regard de la société a évolué, mais il changera toujours trop
lentement. Quand voit-on des sportifs handicapés à la télé ? Une fois tous les
quatre ans. La société est plus prévenante, il y a enfin des places de
stationnement, des trottoirs plus larges, des accès dans les transports ou les
établissements publics mais, si l’on compare avec les pays du nord de l’Europe,
on est encore très loin du compte… Néanmoins, on voit désormais des marques
commerciales (Maif, Engie…) utiliser l’image de sportifs handicapés, cela
signifie qu’aujourd’hui l’image du handicapé peut valoriser un produit, ce qui
montre une évolution importante des mentalités.
Dans votre livre la Résilience par le sport, vous dites
que les sportifs handicapés sont plus heureux que les valides…
Hubert Ripoll : Durant les entretiens que j’ai eus avec des sportifs handicapés, et
qui ont duré parfois jusqu’à une dizaine d’heures, où des sujets profonds,
intimes ont été abordés, j’ai tout le temps eu le sentiment que les athlètes
handisport étaient plus heureux que les valides. Ça m’a surpris, car j’ai
travaillé avec des personnes qui avaient des handicaps très lourds. Je pense
que celui qui a été abattu et qui réussit à faire quelque chose de son
traumatisme vit différemment et peut-être plus fort. Dans ce livre, j’ai aussi
mené une autre enquête sur des handicapés qui pratiquent le sport comme loisir.
Je leur ai posé deux questions : « Pensez-vous avoir atteint le bonheur ? » Et
« Pensez-vous vous être accompli ? » Les résultats sont exactement les mêmes
que pour les champions paralympiques. Ce qui signifie qu’il n’y a pas besoin
d’être médaillé pour avoir un processus de résilience. Investir son corps et en
faire quelque chose permet de se transcender, car le sport a cette vertu
résiliente.
Entretien réalisé par
Nicolas Guillermin
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