L'ancienne députée et militant
féministe Farkhunda Naderi, sous le choc de la prise de pouvoir par les
talibans, espère un sursaut de la communauté internationale pour éviter un
désastre. Depuis Tachkent, en Ouzbékistan, où elle se trouve bloquée, elle
répond aux questions de l’Humanité. ENTRETIEN
Quel est votre sentiment en voyant les talibans camper aux portes de Kaboul
et s’installer au pouvoir ?
FARKHUNDA NADERI : Je me sens vidée. Il
est temps d’agir pour éviter de nouvelles atrocités. J’empêche les sentiments
qui m’envahissent de prendre le dessus. Nous avons une responsabilité, celle
de sauver des vies autant que faire se peut, prévenir des nouvelles violences,
les haines et la destruction des villes, du pays et du peuple. Je me dis dans
le même temps que pendant toutes ces années nous n’avons pas suffisamment élevé
la voix pour dénoncer la corruption.
Je me dis aussi que dans le monde, après toutes les décisions qui ont été
prises concernant l’Afghanistan, on sait que notre pays appartient à cette communauté
mondiale. Que les Afghans ne sont pas des êtres imaginaires mais qu’ils
existent vraiment. Il s’agit donc de faire en sorte que l’histoire ne se répète
pas en termes de désastre pour ce pays. Tout le monde regarde Kaboul. La ville
est comme en observation.
Les talibans négociaient au Qatar tout en menant la guerre qu’ils ont
gagnée. Que faut-il faire ?
FARKHUNDA NADERI : Les talibans ne veulent
pas diriger un pays qui n’aurait aucune légitimité et en l’absence de connexion
avec ses voisins, avec la région et avec le monde. Rien n’est impossible. Au
début de la pandémie, personne ne savait comment faire et maintenant il y a des
vaccins. C’est pareil pour l’Afghanistan. S’il y a une volonté commune de faire
quelque chose, ce n’est pas impossible. Les talibans sont des êtres humains
comme n’importe qui. Ils ont leurs vues, leur logique, leur philosophie
politique. Mais nous savons tous que l’Afghanistan est un pays dépendant. Un
peu comme si le pays était sur une table d’opération et que les autres nations
se rassemblaient autour, dans une situation d’urgence, parce qu’il serait entre
la vie et la mort. Il est possible d’intervenir, d’arrêter cette guerre et de
trouver un accord.
Et si personne ne se préoccupe de savoir s’il y a la paix en Afghanistan,
je pose la question au monde entier : pensez-vous vraiment que, dans ces
conditions, vous aurez la paix dans n’importe quel endroit de la planète ? Les
talibans sont assis à la table des discussions. Ce qui veut a priori dire
qu’ils veulent aller vers l’instauration de la paix. C’est le moment pour eux
de le prouver. Je sais que c’est dur et difficile, mais ce n’est pas
impossible. Je suis une femme afghane, j’ai été membre du Parlement, j’ai
travaillé pour ce pays, je suis née dans la guerre, j’ai grandi dans la guerre.
Je n’ai cessé de voir l’Afghanistan s’effondrer. Dans le même temps, je veux
rester optimiste et pleine d’espoir. Et le monde peut faire plus que moi. Je
n’accepte pas d’entendre que la communauté internationale ne pourrait rien
faire.
Les talibans ont avancé très vite, pratiquement sans combats. Comment en
est-on arrivé là ?
FARKHUNDA NADERI : Je pense que
l’extrémisme se nourrit de la pauvreté et du manque d’éducation. Quel sentiment
peut exister chez ces milliers de gens déplacés ? Que peuvent-ils penser s’ils
ne rencontrent aucune attention humaine ? Il n’est pas normal que 25 à
30 millions de personnes souffrent à cause de la corruption et du combat
entre les deux camps. L’un et l’autre sont responsables de la situation du
peuple. Je crois néanmoins qu’en ce moment, il faut prendre soin de
l’Afghanistan, et ne pas se tourner vers des tribunaux pour juger des
responsables. Il est temps de redonner de l’espoir et de la prospérité.
Nous sommes tous
comptables. Je pense à tous ces déplacés qui n’ont même pas de quoi manger. Le
monde doit vraiment agir. Je sais qu’il en va avant tout de notre
responsabilité. Mais à égalité avec nos partenaires qui se trouvaient en
Afghanistan et qui n’ont pas été assez persévérants pour imposer des réformes
et faire suffisamment pression pour ne pas quitter le pays en le laissant
dans cette situation. C’est honteux. L’extrémisme n’existe pas qu’en
Afghanistan, le monde entier est menacé. Personne ne peut prétendre qu’il est à
l’abri.
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