vendredi 20 août 2021

Économie. L’inégal accès aux vaccins entraîne une reprise à deux vitesses



Alors que le retour de la croissance devrait être plus rapide que prévu dans les économies développées, il risque d’être ralenti dans les pays émergents, en raison notamment de la distribution insuffisante des vaccins.

La machine économique ­repart… mais pas partout. « Tu vois, le monde se divise en deux catégories : il y a ceux qui tiennent un pistolet chargé et ceux qui creusent. » La phrase culte du film de ­Sergio Leone résonne à la lecture des études ­publiées par le Fonds monétaire international (FMI), l’Organisation mondiale du commerce mais aussi par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou encore l’université d’Oxford. Leur constat est unanime : « L’accès aux vaccins est devenu la principale ligne de rupture divisant la reprise mondiale en deux blocs », affirme le FMI.

Ses derniers chiffres sont catégoriques. Si la photo d’ensemble reste la même, avec une croissance attendue de 6 % en 2021 et de 4,9 % l’année prochaine, la croissance pour les pays émergents et en développement se réduit de 0,4 point de pourcentage à 6,3 %, alors qu’elle progresse d’un ­demi-point à 5,6 % pour les économies avancées. Des prévisions qui sont corrélées aux chiffres de vaccination, puisque « près de 40 % de la population des économies avancées a été ­entièrement vaccinée, contre 11 % dans les économies émergentes et une infime partie dans les pays en développement à faible revenu », a déclaré Gita ­Gopinath, économiste en chef du FMI, dans la ­présentation du rapport.

Les États-Unis s’annoncent comme les grands gagnants

Résultat, en moyenne, les pays développés mettront deux ans à retrouver leur niveau de PIB de 2019, contre cinq ans pour la crise de 2008, alors que seuls 40 % des pays émergents ou en développement y parviendront.

Une reprise à deux vitesses où le grand gagnant est les États-Unis. Avec son double alliage : « Un vaccin qui diminue l’incertitude, éclaircit l’horizon, mais aussi un plan de relance massif keynésien qui permet de nourrir la croissance, analyse Léo Charles, maître de conférences à l’université Rennes-II. La machine se relance. Les anticipations (les perceptions de l’avenir – NDLR) vont devenir positives, les entreprises investissent, l’État investit, les ménages consomment, la croissance est de nouveau alimentée. Le cercle ­vertueux s’enclenche. » En prenant en compte le plan Biden, l’économie américaine devrait ainsi croître de 7 % cette année et de 4,9 % en 2022, en hausse respectivement de 0,6 et 1,4 point de pourcentage par rapport aux prévisions d’avril.

Si le scénario se rapproche, il n’est pas tout à fait le même en Europe. En France, le « quoi qu’il en coûte » a permis de préserver l’emploi. Mais, le gouvernement est aujourd’hui « prêt à serrer la vis », alerte l’économiste, citant notamment les réformes de l’assurance-­chômage ou des retraites. Avec une croissance de 5,8 % en 2021 et de 4,2 % en 2022, si l’économie repart « très vite », les « deux, trois points qui manquent pour retrouver le niveau post-­Covid seront difficiles à capter ». Or, la rallonge de 70 milliards d’euros, confirmée hier par Bruno Le Maire, n’est qu’ « un grain de sable » qui ne garantit nullement un retour au niveau de 2019, estime Léo Charles. « Beaucoup d’incertitudes et de doutes, notamment sur le commerce international, en raison de la fragilité des ­économies des pays avancés ou en développement » peuvent compromettre le scénario tant espéré. Ces derniers vont devoir affronter les différentes vagues de Covid, sans avoir les moyens d’y faire face.

C’est la deuxième fracture qui sépare les deux blocs. Tout autant que l’accès universel à la vaccination, la dette ­demeure un sujet hautement sensible. Alors que les pays riches financent la relance de leurs économies à hauteur de milliers de milliards de dollars grâce aux conditions avantageuses de leur banque centrale, les pays en développement ont un accès extrêmement limité pour se financer. « Dans cette logique marchande où rien n’est gratuit, faire un investissement pour les pays en développement semble tout simplement impossible, relève Léo Charles. Cette fable de la mondialisation heureuse, du “gagnant-gagnant” déraille à chaque grain de sable pour revenir au chacun pour soi. »

Les fonds pour les pays émergents sont mal répartis

Pourtant, selon le FMI, un investissement mondial de 50 milliards de dollars permettrait de vacciner au moins 40 % de la population dans chaque pays d’ici fin 2021 et au moins 60 % d’ici à la mi-2022, « tout en garantissant des moyens diagnostiques et thérapeutiques suffisants », affirme l’organisation.

Le FMI vient de s’autoriser à émettre 650 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux (la monnaie émise par le FMI), dont 250 milliards de dollars pour les pays émergents et les pays en développement. Une somme historiquement élevée mais qui reste très insuffisante et mal répartie. De cette enveloppe, par exemple, l’Afrique ne bénéficierait que de 34 milliards de dollars (voir ci-contre).

Or, « l’émergence de variants du virus extrêmement contagieux pourrait compromettre la reprise et priver le PIB mondial d’une valeur cumulée de 4 500 milliards de dollars d’ici 2025 ». Le calcul coût/bénéfice semble pourtant des plus facile. 

Avec les troisièmes doses préemptées par les pays riches, les inégalités vont encore se creuser

À partir du 20 septembre, les États-Unis administreront une troisième dose, quels que soient l’âge ou les conditions du patient déjà vacciné. L’Organisation mondiale de la santé maintient son opposition ferme (lire notre édition du 11 août) : « Les données actuelles n’indiquent pas que les rappels sont nécessaires », déclare sa scientifique en chef, Soumya Swaminathan. Son collègue Mike Ryan accuse : « La réalité éthique fondamentale, c’est qu’on va distribuer des gilets de sauvetage supplémentaires à des personnes qui en ont déjà un, pendant que nous laissons d’autres personnes se noyer sans le moindre gilet de sauvetage. »

 

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