Alors que le retour de
la croissance devrait être plus rapide que prévu dans les économies
développées, il risque d’être ralenti dans les pays émergents, en raison
notamment de la distribution insuffisante des vaccins.
La machine économique repart… mais pas partout. « Tu vois, le
monde se divise en deux catégories : il y a ceux qui tiennent un pistolet
chargé et ceux qui creusent. » La phrase culte du film de Sergio
Leone résonne à la lecture des études publiées par le Fonds monétaire
international (FMI), l’Organisation mondiale du commerce mais aussi par le
Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), l’Organisation
mondiale de la santé (OMS) ou encore l’université d’Oxford. Leur constat est
unanime : « L’accès aux vaccins est devenu la principale ligne de
rupture divisant la reprise mondiale en deux blocs », affirme le FMI.
Ses derniers chiffres sont catégoriques. Si la photo d’ensemble reste la
même, avec une croissance attendue de 6 % en 2021 et de 4,9 % l’année
prochaine, la croissance pour les pays émergents et en développement se réduit
de 0,4 point de pourcentage à 6,3 %, alors qu’elle progresse d’un demi-point
à 5,6 % pour les économies avancées. Des prévisions qui sont corrélées aux
chiffres de vaccination, puisque « près de 40 % de la population des
économies avancées a été entièrement vaccinée, contre 11 % dans les économies
émergentes et une infime partie dans les pays en développement à faible
revenu », a déclaré Gita Gopinath, économiste en chef du FMI, dans la
présentation du rapport.
Les États-Unis s’annoncent comme les grands gagnants
Résultat, en moyenne, les pays développés mettront deux ans à
retrouver leur niveau de PIB de 2019, contre cinq ans pour la crise de
2008, alors que seuls 40 % des pays émergents ou en développement y
parviendront.
Une reprise à deux vitesses où le grand gagnant est les États-Unis. Avec
son double alliage : « Un vaccin qui diminue l’incertitude, éclaircit
l’horizon, mais aussi un plan de relance massif keynésien qui permet de nourrir
la croissance, analyse Léo Charles, maître de conférences à
l’université Rennes-II. La machine se relance. Les anticipations (les
perceptions de l’avenir – NDLR) vont devenir positives, les entreprises
investissent, l’État investit, les ménages consomment, la croissance est de
nouveau alimentée. Le cercle vertueux s’enclenche. » En prenant en
compte le plan Biden, l’économie américaine devrait ainsi croître de 7 %
cette année et de 4,9 % en 2022, en hausse respectivement de 0,6 et 1,4
point de pourcentage par rapport aux prévisions d’avril.
Si le scénario se rapproche, il n’est pas tout à fait le même en Europe. En
France, le « quoi qu’il en coûte » a permis de préserver
l’emploi. Mais, le gouvernement est aujourd’hui « prêt à serrer la
vis », alerte l’économiste, citant notamment les réformes de l’assurance-chômage
ou des retraites. Avec une croissance de 5,8 % en 2021 et de 4,2 % en 2022, si
l’économie repart « très vite », les « deux, trois points
qui manquent pour retrouver le niveau post-Covid seront difficiles à capter ».
Or, la rallonge de 70 milliards d’euros, confirmée hier par Bruno Le
Maire, n’est qu’ « un grain de sable » qui ne garantit
nullement un retour au niveau de 2019, estime Léo Charles. « Beaucoup
d’incertitudes et de doutes, notamment sur le commerce international, en raison
de la fragilité des économies des pays avancés ou en développement » peuvent
compromettre le scénario tant espéré. Ces derniers vont devoir affronter les
différentes vagues de Covid, sans avoir les moyens d’y faire face.
C’est la deuxième fracture qui sépare les deux blocs. Tout autant que
l’accès universel à la vaccination, la dette demeure un sujet hautement
sensible. Alors que les pays riches financent la relance de leurs économies à
hauteur de milliers de milliards de dollars grâce aux conditions avantageuses
de leur banque centrale, les pays en développement ont un accès extrêmement
limité pour se financer. « Dans cette logique marchande où rien n’est
gratuit, faire un investissement pour les pays en développement semble tout
simplement impossible, relève Léo Charles. Cette fable de la
mondialisation heureuse, du “gagnant-gagnant” déraille à chaque grain de sable
pour revenir au chacun pour soi. »
Les fonds pour les pays émergents sont mal répartis
Pourtant, selon le FMI, un investissement mondial de 50 milliards de
dollars permettrait de vacciner au moins 40 % de la population dans chaque
pays d’ici fin 2021 et au moins 60 % d’ici à la mi-2022, « tout en
garantissant des moyens diagnostiques et thérapeutiques suffisants »,
affirme l’organisation.
Le FMI vient de s’autoriser à émettre 650 milliards de dollars de
droits de tirage spéciaux (la monnaie émise par le FMI), dont
250 milliards de dollars pour les pays émergents et les pays en
développement. Une somme historiquement élevée mais qui reste très insuffisante
et mal répartie. De cette enveloppe, par exemple, l’Afrique ne bénéficierait
que de 34 milliards de dollars (voir ci-contre).
Or, « l’émergence
de variants du virus extrêmement contagieux pourrait compromettre la reprise et
priver le PIB mondial d’une valeur cumulée de 4 500 milliards de dollars
d’ici 2025 ». Le calcul coût/bénéfice semble pourtant des plus
facile.
Avec les troisièmes doses préemptées par les pays riches, les inégalités
vont encore se creuser
À partir du 20 septembre, les
États-Unis administreront une troisième dose, quels que soient l’âge ou les
conditions du patient déjà vacciné. L’Organisation mondiale de la santé
maintient son opposition ferme (lire notre édition du 11 août) :
« Les données actuelles n’indiquent pas que les rappels sont nécessaires »,
déclare sa scientifique en chef, Soumya Swaminathan. Son collègue Mike Ryan
accuse : « La réalité éthique fondamentale, c’est qu’on va distribuer des
gilets de sauvetage supplémentaires à des personnes qui en ont déjà un, pendant
que nous laissons d’autres personnes se noyer sans le moindre gilet de
sauvetage. »
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