mercredi 11 août 2021

Cinéma. Un polar environnemental qui n’occulte pas le social



Rouge oppose un délégué syndical à sa fille, désireuse de dénoncer la dangerosité de l’usine chimique qui les emploie.

ROUGE FARID BENTOUMI

Signe que la question environnementale a de beaux jours devant elle dans le 7e art, le Festival de Cannes a inauguré cette année une section le Cinéma pour le climat. Rouge, label Cannes 2020, aurait pu y figurer s’il avait été sélectionné cette année, même si l’immense majorité des films présentés – six sur sept – étaient des documentaires.

Si Farid Bentoumi s’est nourri du réel pour ce deuxième long métrage, il réalise une fiction qui, en assumant sa part roma­nesque, tend vers le polar écologique. Il suit ainsi les traces du magnifique Dark Waters, de Todd Haynes, dans lequel un avocat, incarné par Mark Ruffalo, luttait contre son ancien cabinet pour défendre des paysans confrontés à la pollution d’une multinationale. Que dire du splendide Erin Brockovich, de Steven Soderbegh, l’un des plus beaux rôles de Julia Roberts, mère célibataire et fer de lance d’une bataille contre une entreprise d’empoisonnement délibérée ? On peut aussi citer Promised Land, de Gus Van Sant, bras de fer entre les représentants d’une compagnie de production d’énergie et un militant écologiste. Sans le dénigrer, Rouge n’a pas l’ampleur des œuvres précédemment évoquées. Il demeure néanmoins un film sacrément intéressant.

Le cinéaste ancre son récit dans une nature montagneuse si imposante qu’elle apparaît immuable. Et pourtant, s’y niche une usine chimique où Nour (Zita Hanrot), une infirmière, effectue ses premiers pas. Elle est cependant en terrain connu puisque son père, Slimane (Sami Bouajila), délégué syndical, fait partie des meubles. Mais les mauvaises surprises s’amoncellent. Dossiers de santé des salariés incomplets, visites médicales pas à jour, manquements répétés à la sécurité, la soignante veut remettre de l’ordre. Or, son père l’invite à ne pas faire de vagues car un contrôle en cours pourrait mettre en péril l’agrément de l’usine et sa pérennité. Emma (Céline Sallette), une journaliste indépendante, n’a pas les mêmes préventions. Elle enquête sur des rejets de déchets poten­tiellement dangereux. Et demande à Nour de l’aider à trouver des preuves.

Sauvegarde de l’emploi ou respect des normes sanitaires

Apportant une distorsion à la trame classique de David contre Goliath, Farid Bentoumi complexifie les oppositions, expose des logiques inconciliables. C’est l’une de ses qualités. Rouge captive lorsqu’il touche à la question sociale et au dilemme apparemment insoluble de l’ambi­valence entre la sauvegarde de l’emploi et le respect des normes sanitaires.

La bonne idée du cinéaste est de placer cette contradiction au sein d’une famille. C’est paradoxalement là que le bât blesse en raison d’un pathos superflu. Reste que ce Rouge a quand même des côtés séduisants. Il interroge la pratique syndicale, les rapports intergénérationnels et donne à voir des Français issus de l’immigration sans les caractériser ni les cantonner à cette identité.

Le cinéaste signe un polar écologique qui ne prend pas parti. Certes, le regard porté sur les désastres sanitaires et environnementaux inscrit le long métrage dans un questionnement sur l’avenir de la planète. Et le fait même qu’il oppose la jeune génération à ses aînés qui ont épuisé les ressources sans vergogne est déjà édifiant. Mais le cinéaste prend soin de poser des questions sans apporter de réponses infaillibles. Il éloigne ainsi son œuvre du film militant, tout en invitant le spectateur à l’indispensable réflexion susceptible de faire bouger les lignes.

 

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