Rouge oppose un délégué
syndical à sa fille, désireuse de dénoncer la dangerosité de l’usine chimique
qui les emploie.
ROUGE FARID BENTOUMI
Signe que la question environnementale a de beaux jours devant elle dans le 7e art, le Festival de Cannes a inauguré cette année une section le Cinéma pour le climat. Rouge, label Cannes 2020, aurait pu y figurer s’il avait été sélectionné cette année, même si l’immense majorité des films présentés – six sur sept – étaient des documentaires.
Si Farid Bentoumi s’est nourri du réel pour ce deuxième long métrage, il
réalise une fiction qui, en assumant sa part romanesque, tend vers le polar
écologique. Il suit ainsi les traces du magnifique Dark Waters, de
Todd Haynes, dans lequel un avocat, incarné par Mark Ruffalo, luttait contre
son ancien cabinet pour défendre des paysans confrontés à la pollution d’une
multinationale. Que dire du splendide Erin Brockovich, de Steven
Soderbegh, l’un des plus beaux rôles de Julia Roberts, mère célibataire et fer
de lance d’une bataille contre une entreprise d’empoisonnement délibérée ? On
peut aussi citer Promised Land, de Gus Van Sant, bras de fer entre
les représentants d’une compagnie de production d’énergie et un militant
écologiste. Sans le dénigrer, Rouge n’a pas l’ampleur des
œuvres précédemment évoquées. Il demeure néanmoins un film sacrément
intéressant.
Le cinéaste ancre son récit dans une nature montagneuse si imposante
qu’elle apparaît immuable. Et pourtant, s’y niche une usine chimique où Nour
(Zita Hanrot), une infirmière, effectue ses premiers pas. Elle est cependant en
terrain connu puisque son père, Slimane (Sami Bouajila), délégué syndical, fait
partie des meubles. Mais les mauvaises surprises s’amoncellent. Dossiers de
santé des salariés incomplets, visites médicales pas à jour, manquements
répétés à la sécurité, la soignante veut remettre de l’ordre. Or, son père
l’invite à ne pas faire de vagues car un contrôle en cours pourrait mettre en péril
l’agrément de l’usine et sa pérennité. Emma (Céline Sallette), une journaliste
indépendante, n’a pas les mêmes préventions. Elle enquête sur des rejets de
déchets potentiellement dangereux. Et demande à Nour de l’aider à trouver des
preuves.
Sauvegarde de l’emploi ou respect des normes sanitaires
Apportant une distorsion à la trame classique de David contre Goliath,
Farid Bentoumi complexifie les oppositions, expose des logiques inconciliables.
C’est l’une de ses qualités. Rouge captive lorsqu’il touche à
la question sociale et au dilemme apparemment insoluble de l’ambivalence entre
la sauvegarde de l’emploi et le respect des normes sanitaires.
La bonne idée du cinéaste est de placer cette contradiction au sein d’une
famille. C’est paradoxalement là que le bât blesse en raison d’un pathos
superflu. Reste que ce Rouge a quand même des côtés
séduisants. Il interroge la pratique syndicale, les rapports
intergénérationnels et donne à voir des Français issus de l’immigration sans
les caractériser ni les cantonner à cette identité.
Le cinéaste signe un
polar écologique qui ne prend pas parti. Certes, le regard porté sur les
désastres sanitaires et environnementaux inscrit le long métrage dans un
questionnement sur l’avenir de la planète. Et le fait même qu’il oppose la
jeune génération à ses aînés qui ont épuisé les ressources sans vergogne est
déjà édifiant. Mais le cinéaste prend soin de poser des questions sans apporter
de réponses infaillibles. Il éloigne ainsi son œuvre du film militant, tout en
invitant le spectateur à l’indispensable réflexion susceptible de faire bouger
les lignes.
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