Deux explosions à Kaboul
ont fait, jeudi, des dizaines de morts parmi les milliers de familles bloquées
aux portes de l’aéroport, dans l’attente de quitter le pays. La France devait
cesser les évacuations ce vendredi, les autres pays avant mardi.
« On est entrés ensemble et on part ensemble ». À
écouter Joe Biden, qui s’exprimait ainsi le 20 août, l’évacuation étrangère
se passerait dans les meilleures conditions. 88 000 personnes ont été emmenées
hors d’Afghanistan depuis la mise en place du pont aérien le 14 août, à la
veille de l’entrée des talibans dans Kaboul et de leur prise du pouvoir, selon
la Maison-Blanche. Elles seraient près de 60 000 du seul fait des États-Unis,
si l’on en croit le général Hank Taylor de l’état-major américain. Les
opérations se sont intensifiées ces dernières heures : près de 19 000
personnes, au total, ont été exfiltrées entre mardi et mercredi, dont 11 200
par les États-Unis et 7 800 par les autres pays. Des scènes similaires ont
également lieu à la frontière de Spin Boldak, dans le sud du pays, non loin de
Kandahar.
Le compte à rebours à commencer alors que les incertitudes demeurent, après
la confirmation du président américain, Joe Biden, de la fin des évacuations la
semaine prochaine. Des milliers d’Afghans, angoissés, sont massés depuis des
jours devant l’aéroport de la capitale, sécurisé par plus de 6 000 soldats
états-uniens, dans une atmosphère tendue. Certains y campent par familles
entières. Parmi ces dizaines de milliers de personnes, beaucoup ont fui parce
qu’elles craignaient pour leur vie pour avoir travaillé pour le gouvernement
déchu, des forces ou des civils occidentaux au cours des vingt ans de guerre.
Daech suspecté de l’attentat
Tous espèrent arriver à entrer dans le complexe et à prendre un avion.
Mais, même ceux qui ont une autorisation ne parviennent pas à faire valoir leur
droit. Un professeur de l’université de Kaboul, que nous avons pu joindre par
téléphone, est ainsi bloqué avec toute sa famille. Les soldats américains
l’empêchent d’entrer si une personne de l’ambassade du pays supposé
l’accueillir ne vient pas le chercher. Mais les communications sont d’autant
plus compliquées que les personnels diplomatiques sont eux-mêmes rapatriés au
fur et à mesure.
Comme si la confusion n’était pas assez forte, la France, ainsi que les
Pays-Bas, a annoncé qu’elle mettrait fin à ses vols ce vendredi soir. Cette
date butoir est « imposée par les Américains », prétend le Premier
ministre français, Jean Castex. Plusieurs pays occidentaux ont appelé leurs
ressortissants à s’éloigner au plus vite de l’aéroport de Kaboul en raison de
menaces « terroristes » et, plus précisément, de
l’organisation dite de l’« État islamique » (EI), Daech. L’EI est suspecté
d’être à l’origine des deux explosions qui ont fait des dizaines de morts,
jeudi après-midi, près du tarmac. Peu après la proclamation par Daech
d’un califat en Irak et en Syrie en 2014, d’anciens membres du
Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP, les talibans pakistanais) ont prêté allégeance
au chef du groupe, Abou Bakr Al Baghdadi. Ils ont ensuite été rejoints par
des Afghans déçus par les talibans et ayant fait défection. Début 2015, l’EI a
officiellement reconnu la création de sa province (wilaya) du Khorasan : l’ISKP
(« État islamique » province du Khorasan). Bien qu’affaibli, cette branche de
l’EI possède des cellules dormantes dans plusieurs villes afghanes, dont
Kaboul.
Joe Biden tient son cap
La Belgique a cessé ses activités depuis mercredi. La Turquie, quant à
elle, a annoncé le retrait de ses soldats, qui gardaient l’aéroport de Kaboul
au côté des militaires états-uniens, abandonnant ainsi sa proposition de
continuer à en assurer la sécurité après l’évacuation des forces étrangères.
Le chef de la diplomatie des États-Unis, Antony Blinken, a assuré,
mercredi, que les talibans se sont engagés à laisser partir les Américains et
les Afghans à risque encore dans le pays après le 31 août. Mais il n’a pas
spécifié comment leur départ s’effectuerait. Lors d’un sommet virtuel organisé
mardi avec les autres dirigeants du G7, Joe Biden a écarté l’idée de
prolonger au-delà du 31 août la présence militaire américaine. Pour que le
retrait soit effectif ce jour-là, il faudra avoir interrompu les évacuations
plus tôt, les États-Unis devant rapatrier leur dispositif militaire.
Visiblement, la rencontre organisée lundi entre William Burns, chef de la CIA
(une agence de renseignement), et le mollah Abdul Ghani Baradar, nouvel homme
fort du régime, n’a pas donné grand-chose. En tout cas dans ce domaine. Les
États-Unis, suivant en cela leur feuille de route contenue dans l’accord passé
avec les talibans en février 2020, cherchent avant tout à obtenir des
gages pour que l’Afghanistan ne serve pas de base opérationnelle pour des
groupes tels que al-Qaida ou Daech.
Les talibans face aux sanctions
Parallèlement, ces mêmes talibans doivent s’appuyer sur les structures
administratives existantes, n’ayant pas dans leurs rangs l’expertise nécessaire
pour gouverner seuls le pays, et notamment relancer une économie dévastée par
la guerre et très dépendante de l’aide internationale. Ils auraient entamé des
négociations avec Ankara pour que la Turquie continue à gérer l’aéroport,
précieuse fenêtre d’entrée pour les aides internationales. L’Organisation
mondiale de la santé a déjà prévenu que la situation sanitaire risquait de
s’aggraver d’ici à une semaine. La Banque mondiale a annoncé mardi avoir
suspendu ses aides à l’Afghanistan, tout en explorant « les moyens de
rester engagés pour (…) continuer à soutenir le peuple afghan ». Le Fonds
monétaire international a déjà gelé sa participation.
Les talibans n’ont
toujours pas formé de gouvernement, disant attendre que le dernier soldat
étranger ait quitté le pays. Sans lois valables sur tout le territoire, les
règles diffèrent d’une région à l’autre. Signe qui ne trompe pas : le site de
la présidence afghane n’a pas été modifié. Sur la page d’accueil, on y voit deux
photos, celle d’Ashraf Ghani, en fuite aux Émirats arabes unis, et celle de Joe
Biden. Tout un symbole.
Ces syndicalistes méprisés par le quai d’orsay
Depuis des semaines, Imamudin Hamdard,
syndicaliste qui a également travaillé pour le centre culturel français de
Kaboul, tente de quitter l’Afghanistan. Les autorités françaises ont finalement
accédé à sa demande ainsi qu’à celle du président de l’Union nationale des
travailleurs et des employés afghans (Nuawe), Maroof Qaderi. En France, le
secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, est intervenu plusieurs fois.
La Confédération syndicale internationale aussi. « Nos camarades
syndicalistes afghans, qui ont pris une large place dans le combat contre les
talibans, ne doivent pas être oubliés par le gouvernement français »,
explique le syndicat. Tout semblait réglé, y compris avec des assurances du
Quai d’Orsay. Mais Hamdard et Qaderi n’ont pas pu entrer dans l’enceinte de
l’aéroport alors qu’ils se trouvaient devant avec tous les papiers nécessaires.
Les soldats américains ont refusé de les laisser passer sans la présence d’un
membre de l’ambassade de France. Personne n’est venu à leur rencontre. Pis, via
WhatsApp, sous l’identité French Ambassy Airport 2, un diplomate français s’est
permis de les apostropher – « Vous vous moquez du monde ? (...) Tant
pis , vous êtes en train de louper le coche » –, de les
insulter – « Mais vous n’avez pas envie de partir, au
fond » – et les a punis : « Bon, je vous bloque ».
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