dimanche 4 juillet 2021

Réforme. La retraite à 64 ans, une mesure inutile, injuste et impopulaire



Cyprien Boganda

Emmanuel Macron n’aurait pas renoncé à allonger la durée de la vie professionnelle, malgré l’absence de justification économique. Explications.

À ce niveau-là, ce n’est plus de l’ardeur mais de l’acharnement. Malgré l’opposition des syndicats et de l’opinion publique ; malgré la crise sociale qui menace toujours ; malgré les réticences de plusieurs députés de la majorité, la réforme des retraites pourrait faire son grand retour avant la présidentielle. C’est ce qu’affirment certains médias, à la suite des Échos du 28 juin. Difficile de savoir s’il s’agit d’un énième ballon d’essai ou d’une intention ferme et définitive, mais Emmanuel Macron, qui doit recevoir les syndicats et le patronat ce mardi, hésiterait entre plusieurs scénarios. Première option, un recul de l’âge légal de départ, de 62 ans aujourd’hui à 64 ans. Seraient concernées la génération née en 1961 (qui partirait à 62 ans et demi), puis celles de 1962 (63 ans), 1963 (63 ans et demi) et, enfin, celle de 1964 (64 ans). Gain financier espéré : 14 milliards d’euros dès 2026.

Autre option, l’accélération du calendrier de la réforme Touraine de 2014, qui porte progressivement la durée de cotisation pour une retraite à taux plein de 41 annuités et trois trimestres aujourd’hui à 43 annuités en 2032.

Dans tous les cas, c’est bien un allongement de la durée du travail qui serait programmé.

1/ UNE RÉFORME INUTILE

Depuis des années, la justification d’un tel recul tient en une phrase : « il faut sauver un régime au bord de l’implosion. » Problème : l’argument ne tient pas la route et c’est le Conseil d’orientation des retraites (COR) lui-même qui le dit, dans son rapport annuel de juin : « Malgré le contexte de la crise sanitaire et le vieillissement progressif de la population, les évolutions de la part des dépenses de retraite dans le PIB resteraient sur une trajectoire maîtrisée à l’horizon 2070. » En effet, le vieillissement de la population serait compensé par la baisse programmée du niveau des pensions rapportée aux revenus d’activité : en clair, ces dernières augmenteraient moins vite que les salaires, du fait des réformes précédentes (indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires à partir de 1987, hausse de la CSG, etc.).

Résultat logique, le poids économique des retraites dans le PIB diminuerait, passant de 14,7 % l’an dernier à 13,7 % environ d’ici à 2030, et jusqu’à 11,3 % seulement en 2070 (fourchette basse de l’estimation) ou 13 % (fourchette haute). Autrement dit, même si le déficit du régime s’est creusé sous le choc de la crise actuelle, ce trou d’air n’est que temporaire.

2/ UNE RÉFORME INJUSTE

L’allongement de la durée d’activité entraîne toujours des effets pervers. Il renforce tout d’abord les inégalités liées à l’espérance de vie : les ouvriers vivant en moyenne six ans de moins que les cadres (l’écart est de trois ans chez les femmes), ils profiteront moins de leur retraite.

Par ailleurs, lorsqu’on allonge la durée d’activité, on prend le risque d’augmenter la précarité des seniors, met en garde l’économiste Michaël Zemmour : « Il semble que le gouvernement veuille reculer l’âge légal à un rythme très brutal : six mois de plus par an, c’est inédit à ma connaissance. Or, quand on déplace l’âge légal, cela a pour effet d’accroître la précarité des personnes âgées. En effet, la moitié des personnes qui prennent leur retraite ne sont plus dans l’emploi à ce moment-là, soit parce qu’elles ont perdu leur poste, soit pour des raisons de santé. Elles peuvent alors se retrouver au chômage, au RSA ou en situation d’inactivité, etc. »

La réforme Fillon de 2010 (augmentation de deux ans de l’âge d’ouverture des droits, à raison de quatre puis cinq mois par an entre les générations 1951 et 1955) s’est bien traduite par une augmentation du chômage des seniors. Selon l’Insee, la probabilité de se retrouver sans emploi à 60 ans s’est accrue de 7 points pour les hommes (à 0,11 %) et de 6 points pour les femmes (à 0,10 %) à l’issue de la réforme.

« Le gouvernement veut concentrer ses économies sur les personnes qui se retrouvent aujourd’hui aux portes de la retraite, souligne Michaël Zemmour. Ce sont des personnes qui, pour certaines, sont à deux ans du départ et qui seraient condamnées à patienter six mois de plus, alors même qu’elles ont déjà des projets. »

3/ UNE RÉFORME impopulaire

Pour l’exécutif, la bataille de l’opinion est (très) loin d’être gagnée : 66 % des Français se disent toujours opposés à un recul de l’âge de départ à la retraite, dont 72 % des 50-64 ans, selon un récent sondage BVA pour Orange et RTL. Quant à l’ensemble des syndicats, ils continuent de tirer à boulets rouges sur une réforme d’ici à la fin du quinquennat. « Ce serait une erreur de la part du président de la République, estimait Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, début juin, sur RMC. Il y a d’autres problématiques plus urgentes, les questions d’emploi, de salaire, la question de la jeunesse. » Avant de conclure : « Reculer l’âge de la retraite, cotiser plus de trimestres… le résultat est le même, ils veulent nous faire travailler plus longtemps. Donc, il faut rester mobilisés. »

Même son de cloche du côté des autres organisations syndicales. « Nous ne resterons pas l’arme au pied, prévient Michel Beaugas, secrétaire confédéral de FO. Si le gouvernement décide de persister, nous appellerons à la manifestation sans hésiter. »

 

 

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