Marie-José Sirach. Stéphane Guérard
Classés parmi les
activités non essentielles lors des confinements précédents, les théâtres,
cinémas, musées et bibliothèques doivent appliquer les nouvelles mesures
sanitaires dix jours avant les commerces, cafés et restaurants. Le secteur
dénonce une discrimination.
Il y avait la joie des retrouvailles perceptible dès le premier soir, dans
la cour d’Honneur du palais des Papes où les applaudissements ont ovationné les
trompettes de Maurice Jarre avant même que le spectacle commence. Et puis la
douche froide. Glacée. Les annonces présidentielles, en plein milieu des
festivals de l’été, alors que tout était en place pour veiller au bon
déroulement de ces événements culturels. Macron parle. Macron dégaine son
passe. Et ça fait mal. Théâtres, cinémas, musées, concerts, festivals, en plein
air ou pas, aucun lieu de culture et de création n’est épargné. Le couperet est
tombé : au-dessus de cinquante personnes, passe sanitaire ou test négatif
obligatoires.
Aucune concertation
Retour à la case départ. Les rues d’Avignon ne frémissent pas comme à leur
habitude. Beaucoup de spectateurs ont renoncé, annulé leur séjour. Pour les
théâtres du off, les compagnies, c’est l’abattement, la tristesse qui
l’emportent. Comment se retourner quand, depuis des mois, on se prépare à jouer
dans le strict respect des mesures sanitaires ? Quand, depuis plus d’un an, la
culture est à l’arrêt, les artistes empêchés d’exercer leur métier ? Passé les
premiers instants de stupeur, l’incompréhension grandit. Et le constat
s’impose : une fois de plus, c’est la culture qui est sacrifiée.
Si le Syndeac (syndicat des employeurs de théâtre) regrette « un
énième revirement gouvernemental », le Synavi (syndicat des arts
vivants) s’oppose fermement à une décision « annoncée sans la moindre
concertation et dans un délai de mise en œuvre qui s’apparente à de la
maltraitance pour l’ensemble des équipes chargées de l’appliquer. (…) Nous ne
voulons pas contrôler, entre collègues, notre état sanitaire. Nous ne voulons
pas refuser à qui que ce soit l’accès à la culture (…) La décision du président
de la République, estime ce syndicat qui regroupe de très nombreuses
compagnies, va à l’encontre de ces principes fondamentaux et elle est,
une fois de plus, discriminatoire ».
Recours devant le Conseil d’État
Ce n’est pas tant l’application des mesures barrières que l’absence de
concertation qui provoque l’ire de ces professionnels. Ceux-ci ont fait leur
les mesures barrières dès le premier confinement passé. Ils appliquent déjà le
passe sanitaire pour les événements regroupant plus de mille personnes. La
colère provient de l’imposition abrupte et précipitée de la nouvelle jauge
au-dessus de laquelle ces restrictions s’appliquent (50 personnes). Or,
cette contrainte est imposée aux seuls cinémas, théâtres, salles de concert,
musées ou bibliothèques, en plus des lieux de loisirs et autres parcs
d’attractions. Pour les restaurants, bars et commerces, ce sera début août. Le
sentiment d’injustice est d’autant plus vif que ces obligations s’abattent à
peine huit jours après l’allocution du chef de l’État, alors que le décret
d’application n’a été publié que ce mardi. Le tout dans la plus grande
incompréhension. Au grand dam de certains épidémiologistes, le décret n’impose
en effet plus le port du masque aux spectateurs détenant le passe… sauf avis
contraire des préfets.
Ce contexte d’improvisation n’a pas manqué de susciter ces dernières heures
de nouveaux recours déposés en urgence devant le Conseil d’État. Déjà, en fin
de semaine dernière, la Fédération nationale des cinémas français et huit
autres organisations du septième art avaient saisi la haute autorité
administrative pour demander d’« aligner les délais de mise en œuvre
du passe sanitaire pour tous les secteurs » et « mettre fin à
la nouvelle discrimination subie par le secteur culturel ».
Un éventuel délai ne mettra cependant pas fin à la colère. À Sarlat, Arnaud
Vialle, exploitant du cinéma le Rex avec ses six salles et ses douze salariés,
craint la mesure de trop alors que la saison estivale est à peine lancée. « Le
gouvernement se rend-il compte qu’il prend la décision de réduire l’accès aux
salles alors que sort Kaameloot ? Ce film, c’est
600 préventes rien que chez nous. Mieux que Star Wars !
C’est grâce à ce genre de film attendu d’un nombreux public que l’on finance et
projette des œuvres comme Titane, Annette ou Benedetta qui
ont brillé à Cannes. Des gens m’ont déjà dit qu’ils ne viendraient plus. C’est
du mépris vis-à-vis du cinéma ! »
Les aides ne suffisent pas
Les diffuseurs s’alarment d’autant plus qu’ils ont perdu 1,2 milliard
d’euros entre mars 2020 et mars 2021, malgré les prêts et aides
d’État. Même très progressive, la réouverture des fauteuils en juin offrait à
pas moins de 400 films en souffrance l’espoir de rencontrer leur public.
La hausse de fréquentation espérée était censée, par ricochet, abonder le fonds
de soutien du CNC, amputé de moitié l’an dernier.
« On fera les comptes ensemble et ce qui aura besoin d’être aidé sera
aidé », a assuré la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot en marge des Vieilles
Charrues. La problématique ne s’arrête cependant pas à quelques aides demandées
par les employeurs. « Les artistes et techniciens intermittents du
spectacle, les autrices et auteurs, déjà durement touchés par la perte d’emploi
ou d’activité depuis mars 2020, mais aussi les salariés permanents
pourraient voir leur activité entravée, avec suspension du contrat de travail
pour les CDI et interdiction de travailler pour les CDD, du fait de cette
mesure », rappelle la CGT culture. Emmanuel Macron leur a en effet
promis l’application de la réforme de l’assurance-chômage au 1er octobre.
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